Tant qu'il nous reste une seconde de souvenir dans le crâne - Slavina

Etre contre elle me suffit même si elle dort. C'est dingue comme la perspective d'avoir failli crever remet les priorités dans l'ordre. Mon ego blessé m'a paru soudain bien moins important que le fait de ne jamais la revoir par exemple. La peur de la perdre m'a sauté au visage et encore maintenant. Alors sa phrase soudain, me fait tout à la fois vibrer et en même temps me fait peur sans que je sache pourquoi. Je réponds contre elle, mon souffle chaud sur ses vêtements, "Alors ne me laisse pas. Ne me laisse pas mon ange, j'ai besoin de toi." Et je ne parle pas de maintenant, parce que je suis blessé mais de façon générale, du quotidien. J'ai cru - quand je suis parti - j'ai bêtement cru que je m'en sortirais seul, que ce n'était pas grave puisqu'elle aurait une chance d'avoir une vie meilleure (Nina m'achèverait si elle savait ça ) et que surtout, on finirait dans le mur si on continuait, mais j'ai menti, à elle, à moi, aux autres. La vérité c'est que j'ai besoin d'elle pour vivre. Il faut juste l'accepter et aujourd'hui c'est le cas, j'ai accepté ce que d'aucuns - moi aussi avant - peuvent considérer comme une faiblesse parce que j'ai réalisé que loin d'être une faiblesse, c'était ma plus grande force. Bien sur j'ai encore mon amour propre, mon éducation et la pression sociale qui me jouent encore des tours au point qu'on s'engueule encore mais je ne remets absolument plus en cause le fait que j'ai besoin d'elle et que je suis une meilleure version de moi-même quand elle est à mes cotés

Je lutte contre l'angoisse, contre les larmes, contre la colère depuis trop longtemps. Et je sais que la seule chose qui me permet de tenir encore le coup maintenant, ce sont les cachets qui font encore effet. La lutte malgré tout n'est pas facile, encore moins lorsqu'il me répond de cette voix rauque, basse que j'ai rêvé d'entendre cent fois durant mes nuits solitaires. Sur sa nuque, mes doigts se crispent comme si je tentais de m'accrocher à lui, tout en étant consciente que je ne peux pas réellement le faire sans lui faire mal. Mais je ne fais que te blesser... Ma protestation n'est qu'un murmure mais il n'y a pas l'ombre d'une plaisanterie dans ma voix. Je ne crois pas qu'il soit heureux avec moi, je ne sais que le heurter sans cesse, au point qu'il finisse toujours par ressentir le besoin de s'éloigner de moi, au point de ne pas lui manquer quand il s'en va. Il finit toujours par se mettre en colère contre moi, par se montrer distant et froid, et depuis qu'on s'est retrouvés si je suis tout à fait honnête, on s'est bien plus souvent déchirés que ce qu'on a été heureux ensemble. Personne ne veut de moi ici, pas même lui je crois, il me tourne toujours le dos avec une telle facilité à la moindre contrariété (et même sans contrariété lorsque les Tigrovi l'appellent) que je ne sais pas pourquoi je fais encore semblant de ne pas voir la vérité en face. Je crois qu'il ne m'aime plus, qu'il s'accroche à moi comme à un vieux souvenir qui le rendrait mélancolique. Il a tenté de refaire sa vie sans moi et je suis revenue m'accrocher à lui comme une espèce de sangsue indésirable. On en revient toujours au même point : s'il m'aimait, il ne serait pas parti. Je ne t'apporte jamais rien de bien... C'est la conclusion de Jelenko, c'est en train de devenir la mienne.

"C'est complètement faux ça..." Je ne prends pas encore la mesure de son mal être à la première phrase. Ok, elle se sent coupable que je me sois fait tirer dessus, mais j'aurais pu être blessé sans elle à n'importe quel moment. Je grogne en plaisantant "C'est pas de ta faute si ce connard tirait vite et bien..." Ce sont les aléas de la vie, de ma vie en tout cas à toujours flirter avec le danger. Oui ça fait mal, oui j'ai failli crever mais on va pas en faire tout un plat. Je vais guérir, c'est déjà oublié.

Sa seconde remarque me fait gronder et froncer les sourcils "Mais qu'est-ce que tu racontes Zlato ?! Bien sur que tu m'apportes du bon ! Si tu savais comme je t'aime, comme j'ai besoin de toi. Tu le sais pas srce ? C'est toi qui me donne envie de vivre..." Sans elle le monde est si différent. Il est en noir et blanc, en gris. Nina c'est la couleur, c'est la vie, le mouvement, les espoirs, les rêves, la gaieté. Elle est un tourbillon de bonheur. Comme dans tous les tourbillons, parfois c'est trop fort, ça nous malmène, mais ça vaut la peine. "tu es mon moj andjeo, moja dusa. Je veux pas que tu sois triste srce...dis moi ce qui va pas, je ferais tout pour toi."

C'est de ma faute s'il était là. Et c'est suffisant, c'est à cause de moi qu'il s'est pointé, parce que je ne me suis pas montrée assez méfiante, parce que j'ai voulu lui tenir tête. Si j'avais été capable, rien qu'une fois dans ma vie, de ne pas complètement vriller, ça ne serait jamais arrivé. Lui s'en est bien sorti. Il s'est contenté de squatter le QG pour ne pas rentrer chez nous, c'est le constat que je fais. Moi je plonge, toujours trop fort, toujours trop profondément, et s'il plongeait aussi autrefois... Aujourd'hui il s'en sort. Il est devenu plus fort sans moi, plus maîtrisé aussi, plus réfléchi je crois. Tout le monde semble s'accorder à dire qu'il allait très bien avant que je n'arrive à Sarajevo. Moi j'allais mal, sans lui je me suis effondrée avant de parvenir enfin à remonter la pente. Lui a juste enfin trouvé la place qui était la sienne, dans un tableau dont je ne fais pas partie. Dont je ne ferais jamais partie.

Je secoue la tête, caresse sa mâchoire du bout des doigts, tout doucement. Dis pas ça... Je sais que c'est faux. Il m'aime peut-être encore, d'une façon étrange sans doute, mais ce n'est pas moi qui lui donne envie de vivre, autrement il n'aurait jamais pu se détourner de moi. Or il est parti, et loin en plus de ça. Je ferme les yeux, inspire longuement, parce que j'ai envie de lui en parler, tout en étant presque convaincue que c'est une très mauvaise idée. Pourtant je finis par souffler tout bas, sans doute parce que je n'ai jamais su lui mentir réellement : Jelenko veut que je m'en aille...

"Et alors ? ça change rien Zlato. L'autre jour, c'est moi qui t'es mise en danger...c'est comme ça, nos vies sont dangereuses, mais on le sait. Tu crois vraiment que je t'en veux de ça ? Allons, srce...mais non. " Elle est une cambrioleuse et tient une agence de putes - appelons un chat un chat. Quant à moi, j'appartiens à une organisation criminelle. La violence c'est notre quotidien, et se prendre une balle est une possibilité, je ne vois rien d'anormal à ça.

J'ai une bouffée d'amour fou parce qu'elle grattouille ma barbe dans ce geste de tendresse qui me rend complètement dingue d'elle. Je la tiens contre moi, écoute les battements affolés de son cœur, tente de la cajoler, de la rassurer. Je vais bien, tout va s'arranger. Pourtant je sens qu'il y a quelque chose mais quand elle me dit quoi, ça ne colle absolument pas avec ma vision de la situation. Jamais mon père ne m'a parlé de Nina. La communication triangulaire étant reine dans ma famille, on ne discute que très peu de nos histoires personnelles. C'est juste arrivé quand j'ai demandé du pognon et des horaires décents (et encore je sais que Nina les trouve déjà trop chargés). Je buggue à ces quelques mots. J'ai du mal comprendre ou j’interprète mal. Je ne dois surement pas comprendre correctement ce qu'elle dit. Je fronce les sourcil avec déjà un frémissement de colère qui ne demande qu'à être confirmé "Quoi ?"

Le pire, c'est que je sais que lui ne m'en veut pas, mais il est bien le seul malheureusement. Et j'en suis consciente, du fait que lui aussi me met en danger constamment, tout comme il me mettait en danger dans le Bronx. Je n'oublie pas qu'Ivo m'a kidnappée, ou que je me suis également fait tirer dessus par les russes au Stan's, même si ma blessure n'était pas aussi grave que la sienne. Mais là encore, Jelenko est parvenu à me faire croire que j'étais fautive. Je serais toujours au mauvais endroit au mauvais moment tant que je serais avec lui. Tu devrais m'en vouloir. Je réponds en reniflant, parce que moi je m'en veux. Il a failli mourir par ma faute, comment pourrait-il prétendre que ce n'est pas grave ?

Et quand j'ose énoncer à voix haute ce qu'il se passe réellement, je le sens se raidir contre moi. Je me crispe, l'anxiété grimpant en flèche parce que je crains d'avoir dit le mot de trop. Je suis au fond persuadée qu'il ne me croira pas, qu'il trouvera à son père des circonstances atténuantes, qu'il tentera de déformer la réalité... Et sans que je sache comment, je finirais par passer pour une folle. C'est pour ça que je ne voulais pas lui en parler. La colère, perceptible dans sa voix, me fait tiquer parce que je la pressens tournée contre moi. Je répète, un ton plus bas : Ton père veut que je quitte la ville... Le pays, en fait.

"Pas du tout !" Non, je ne suis absolument pas d'accord. De nous deux, je la mets bien plus en danger que elle ne me met en danger. J'explique calmement cette fois après m'être offusqué "C'est toi et moi srce, mes ennuis sont les tiens, et les tiens, les miens, et franchement la balance est plus en ta faveur, je peux pas t'en vouloir. J'ai mal évalué la situation. Deux fois. J'aurais pas du te laisser avant, et j'aurais du laisser ce type prendre le fric... Ne t'en veux pas moj andjeo...je vais vite me remettre sur pied, je te promets." Franchement, je ne considère pas ça comme étant de sa faute, ni vraiment grave même si les conséquences auraient pu l'être. C'est passé et c'est déjà une affaire quasiment classée; il ne me reste qu'un peu de convalescence à tirer.

Je cille, sous le coup de l'étonnement. Aucune conversation entre eux devant moi ne m'a préparé à ça. Mais l'insistance de mon père à vouloir que je reste au QG ou même que j'aille chez lui me revient en mémoire. Je me redresse dans le lit comme je peux, en ignorant le tiraillement de ma blessure. "Jebote c'est quoi ce délire ? Passe moi mon téléphone zlato, je vais mettre les choses au clair. Il a rien à dire sur le sujet." Nina et moi ne concerne que Nina et moi, les autres peuvent aller se faire foutre. J'ai toujours tout fait pour les Tigrovi et je ne crois pas qu'on puisse me reprocher mon implication alors ma vie privée le concerne, père ou pas ! C'est après Jelenko que je suis furieux parce que je sais que Nina n'aurait rien inventé de tout ça.

Je cille légèrement, en fronçant les sourcils, parce que le discours qu'il a, je l'ai déjà eu pour lui, pas exactement dans ces termes-là cela dit... Mais lorsqu'il culpabilisait suite au passage à tabac orchestré par Ivo, juste après notre mariage. C'est plus ou moins ce que je lui avais répondu, que j'avais accepté de l'épouser en connaissance de cause, et qu'il ne pouvait pas séparer ses ennuis des miens, que ce qui le blessait lui me blesserait forcément. Seulement aujourd'hui, par ma faute, nous ne sommes plus mariés. Et je ne crois pas qu'il avait vraiment signé pour ça... Je promets d'une voix vibrante : Je vais prendre soin de toi, je te le promets, tu vas vite guérir... Je ferais tout ce que je peux pour l'aider, en tout cas.

Ma gorge se noue quand il se redresse brusquement dans le pieu, je blêmis légèrement sous le coup de l'angoisse. Et je suis très franchement surprise qu'il ne me pose pas de questions, ne me demande même pas si j'ai mal compris, tente de prendre la défense de son père... Je m'attendais à une réaction plus violente de sa part, violente envers moi ! J'écarquille les yeux en secouant la tête. Excellente idée, comme ça en plus de penser que je ne suis bonne qu'à te détourner de ta famille, il pensera que je ne sais pas la fermer, je suis sûre que ce sera un motif suffisant pour me faire expédier en Russie direct. Il a quand même été jusqu'à menacer de mentir pour faire croire à son fils que je le trompais, je suis sûre qu'il n'a pas abandonné l'idée d'ailleurs. Je fronce les sourcils en avouant : Il m'a fait suivre, depuis mon arrivée je crois, ou presque...

Et puis il y a une partie de moi, toujours en colère, qui ne peut s'empêcher de penser que si Jelenko s'est permis de le faire, c'est parce que Slavenko n'a rien fait pour leur faire comprendre à tous qu'ils n'avaient pas leur mot à dire. Il ne s'est jamais battu pour moi, pour que je sois acceptée parmi eux, il a toujours fait profil bas pour éviter les conflits, me laissant prendre de plein fouet ce rejet dont je suis la cible depuis le premier jour. Personne voulait de moi dans ta vie à New-York, ils veulent encore moins de moi ici. Je secoue la tête, bascule sur le dos pour me redresser à mon tour. Et moi je ne suis pas sûre de vouloir vivre dans une ville où les Tigrovi veulent ma peau.

"Mais zlato, tu peux pas me dire ça et que je laisse passer. Je veux savoir ce qu'il t'a dit et surtout je veux qu'il arrête de se croire permis de te le dire. C'est parce que je suis dans le coaltar qu'il peut régenter ma vie privée." J'hallucine de ce qu'elle me dit mais je ne peux même pas remettre en cause ce qu'elle dit, mon père est tout à fait capable de la faire suivre, ou plutôt mon oncle Mirko, ce qui revient au même. Je blêmis, furieux "Il t'a fait suivre ? Mais il est pas bien ?! Je vais lui dire d'arrêter. Srce, je suis désolé, j'te jure que je savais pas." Parce que je ne veux pas qu'elle croit que j'étais de mèche. Ce n'est pas le cas.

Je suis déçu et j'ai peur à présent que Nina se dise que ça vaille pas le coup. Je n'ai pas envie de rentrer à NY, je ne me vois pas quitter Sarajevo et je ne me vois pas non plus sans elle. Je sais que ma famille est spéciale, dysfonctionnelle sans doute mais ici j'ai une place. J'ai ardemment besoin que Nina ait la sienne aussi. "Nina...Nina, s'il te plait, laisse moi arranger ça. Ils te connaissent pas, mais ils ont pas le droit de nous séparer, d'accord ? Je vais arranger ça...Je veux de toi, j'ai besoin de toi. Tu ne me laisses pas, pas vrai ?" Oui je suis en train de paniquer.

C'est bien ça le problème, il se croit permis de le dire. Parce qu'il règne en maître sur les Tigrovi, et donc sur la ville, il pense qu'il peut contrôler l'intégralité de ses habitants, et moi plus encore puisque je "fréquente" son fils, c'est bien ainsi qu'il me voit, comme une copine, une amourette de passage comme si on était encore adolescents tous les deux. J'ai d'ailleurs appris que Slavenko n'avait jamais parlé de mon avortement, à personne, j'aurais sans doute du m'en douter, s'ils avaient su que j'étais enceinte, ils ne l'auraient jamais laissé partir. Pas sans leur héritier. Je secoue la tête, bénissant cette fois les cachets qui m'aident à ne pas montrer à quel point ça me blesse. Non, je sais... Bien-sûr qu'il ne savait pas, sinon Jelenko n'aurait pas pu me menacer de lui montrer les photos.

Je suis très ambivalente face à la situation. Une partie de moi a forcément été touchée par les mots de son père, parce que je ne peux pas être indifférente à la blessure de Slavenko, parce que l'idée même de le blesser me tue, parce que je suis encore au fond de moi convaincue qu'il était bien mieux sans moi... Mais à côté de ça, l'autre partie est révoltée qu'une fois encore ce soit à moi d'encaisser, de prendre sur moi, de m'adapter. Je suis révoltée qu'on m'accuse de lui faire du mal quand son départ a failli me tuer, qu'il ait osé me reprocher de ne pas lui offrir de famille quand Slavenko m'a forcée à avorter. Et je suis révoltée d'avoir du tout quitter pour un pays qui ne veut pas de moi, de devoir m'intégrer à une famille qui veut à tout prix me voir partir, apprendre une langue qui n'est pas la mienne, de devoir faire tous ces efforts, toutes ces concessions qui me tuent... Et pour quoi ? Pour le voir quelques heures par semaine, le reste de son temps étant passé dans des missions qui l'emmènent loin de moi. Nos disputes récentes avaient déjà remué beaucoup de choses en moi, mais le discours de son père a achevé de briser toutes mes certitudes. Je secoue la tête, encore. Je crois pas que tu puisses arranger ça... Pour obtenir quoi ? Que son père fasse semblant de me tolérer ? Je hausse les épaules, comme si ça ne comptait pas. J'aurais pas du t'en parler maintenant, c'était pas le moment... Tu dois penser à toi, et à te remettre sur pied.

J'ouvre la bouche pour une fois de plus protester mais je la referme. Mon cerveau patauge dans la semoule, pourtant là je suis bien réveillé, l'abrutissement des cachets passant dans le coup d'adrénaline et d'angoisse. "Attends... Attends...." Je secoue la tête négativement, tout se révolte en moi et la peur domine, très haut. "Qu'est-ce que ça veut dire pas le moment ?" Elle m'a dit deux minutes plus tôt qu'elle ne voulait pas me laisser mais j'ai le sentiment à présent que c'est comme une excuse du fait qu'elle va partir. Elle attend seulement que j'aille mieux et puis elle partira. "Qu'est-ce que...."

Je secoua la tête réfutant cette possibilité qu'elle me laisse parce que ma famille le voudrait. C'est insensé ! "Bien sur que si tu as bien fait de m'en parler. Tu n'allais pas garder ça pour toi. C'est dément ! Je vais lui parler Nina, je..." Qu'est-ce que tu vas faire Slavo ? Menacer, crier, il faut que je trouve quelque chose pour le convaincre c'est une évidence. Mais je suis prêt à tout même à jouer leur putain de jeu, les manipuler comme ils tentent de manipuler. Je me bouge le cul hors du canapé pour m'asseoir tant bien que mal. J'arrive à saisir mon téléphone dans les affaires qui sont avec les médocs. "Je vais lui dire de passer, c'est mieux si je lui parle de vive voix. Tu devrais peut-être aller faire un tour ? Je ne veux pas que tu sois au milieu de tout ça. Nina, je les laisserais pas te dire de partir, personne a le droit de faire ça. Srce, je la veux cette vie avec toi, notre maison...tout. Crois-moi mon ange."

Contrairement à ce qu'il pense, je n'ai vraiment pas envie de le laisser ! Seulement je commence à douter de plus en plus qu'il soit réellement possible qu'on construise quelque chose ensemble, ici à Sarajevo. Et je sais que si ce n'est pas dans cette ville, alors ça ne sera nulle part, parce qu'il ne quittera plus jamais son pays, pas même pour moi. C'est pas le moment de te battre, de te mettre en colère... Il a besoin de repos, et surtout de bouger le moins possible. Le médecin l'a laissé partir mais il est loin d'être rétabli, je me souviens très bien à quel point il était blême en arrivant à l'appartement, et j'ai encore la crainte que la fièvre ne revienne, ou qu'il tombe dans les pommes à nouveau. Puisque j'en suis là j'explicite, autant aller au bout des choses : C'est pour ça que je n'ai pas pu rester au QG. Il voulait... Enfin il voulait que je te laisse te reposer. Quelle jolie façon de tourner la chose, je ne sais même pas pourquoi je prends encore des gants pour le dire, alors qu'il m'a clairement fait comprendre que je n'avais rien à faire au Pussynight, et que je n'avais rien à faire non plus avec les Tigrovi.

Je suis dépitée et peu convaincue. Bien-sûr que Jelenko a tous les droits, il me menace et tout ce qu'il récoltera en retour c'est une discussion houleuse avec un fils mécontent, et je suis prête à parier qu'il fera taire Slavenko en quelques minutes. Je cille en fronçant les sourcils à sa demande, je crois aussi qu'il vaut mieux que je ne sois pas là mais quelque chose me gêne pourtant. Je ne veux pas que tu restes seul... Le temps que son père arrive, et encore, s'il vient tout de suite ! On ne sait pas ce qu'il peut se passer et je rechigne à le laisser sans surveillance. Quant à la vie dont il parle, cet avenir qu'il dit vouloir pour nous, je ne renchéris pas, parce que non, je ne suis pas sûre de le croire, en tout cas je ne sais pas quel prix il est prêt à payer pour l'avoir.

Pour ce qui est de me mettre en colère c'est trop tard. Quant à me battre, j'espère ne pas en arriver là. C'est mon père, j'espère bien qu'on va s'entendre. Je suis encore plus furieux d'apprendre qu'il a forcé Nina à ne pas rester avec moi au QG, qu'il l'a éloignée de moi en profitant de ma faiblesse. J'en blêmis de rage. Est-ce que quelqu'un a compris comme je tiens à elle? Je ne comprends pas Nina, pourquoi ce soudain retrait, on dirait qu'elle ne veut pas que je m'explique avec Jelenko, qu'elle a déjà lâché l'affaire mais moi pas.

"Comme tu veux. Mais je préférerais lui parler en tête à tête." C'est à moi de régler ça, je n'ai pas à me cacher derrière elle surtout si ça va au clash. Je reprends mon souffle, encaisse une vague de douleur pour pouvoir ensuite appeler mon père. C'est d'un ton froid annonciateur de tempête que je lui demande s'il peut passer. Je crois qu'il comprend directement pourquoi parce qu'il me répond un truc du style, toi tu as parlé avec Nina. Je réitère pas demande d'un ton têtu malgré ses assertions à ne pas m'emballer. "J'ai pas besoin que tu m'explique maintenant, j'ai besoin que tu passes, papa" J'insiste sur le papa, parce que c'est bien mon père que je souhaite voir et pas mon commandant. S'il se mêle de ma vie privée, je considère que ça n'a rien à voir avec la hiérarchie. Je brûle de rage quand je raccroche. Mes mains sont moites et mon dos colle à la veste de training que je porte. "Il arrive d'ici une demi-heure."

J'acquiesce parce que moi aussi, je préférerais qu'il lui parle en tête-à-tête, je ne tiens pas à être là. Non pas parce que j'ai peur d'affronter son père, mais parce que je sais que Jelenko n'aura pas le même discours s'il est seul avec son fils, ou s'il est face à nous deux. De façon très masochiste, en fait, je veux laisser une chance à Jelenko de convaincre son fils sans m'avoir dans les pattes, parce que je ne veux pas lutter pour rien. Si Slavenko flanche, s'il est prêt à se laisser manipuler, s'il est si influençable... Alors je veux le savoir maintenant, pas vivre de faux espoirs qui s'écrouleront trop fort le jour où finalement il changera d'avis. Peut-être qu'il en profitera pour lui montrer les photos, et que Slavenko décidera que j'ai été infidèle, que ça ne vaut pas la peine de se battre. Je n'en sais rien mais je ne veux pas être là pour le voir. En fait quand il me demande de partir, je ne suis pas certaine qu'ensuite il m'appelle pour me demander de rentrer. Il a raison, peut-être que j'ai lâché l'affaire, parce que je ne peux pas me battre à la fois contre lui, contre moi-même et contre sa famille. On se fait suffisamment de mal seuls, sans l'aide de personne. Si quelqu'un s'en mêle c'est foutu.

D'accord, je partirais dans un quart d'heure... Je crains trop que son père soit en avance, mais je peux m'attarder un peu. Je soupire, à la fois triste, en colère et inquiète de la tournure que tout ça va prendre. Je me lève du canapé pour aller remettre mes chaussures, et en revenant dans le salon je fronce les sourcils. Essaie... Essaie de ne pas trop bouger jusqu'à ce qu'il arrive, d'accord...? Je ne veux pas que tu te fasses mal...

"T'inquiète pas, je me sens mieux, j'vais pas tomber dans les vapes." La colère me porte trop pour que j'ai un malaise. Je fume une clope, assis au bord du canapé tandis que Nina s'habille, enfile ses godasses. Je pense comme elle qu'il vaut mieux que je parle seul avec mon père pour ne pas biaiser la conversation. Je veux le fond de sa pensée et je ne veux pas que ça heurte Nina. S'il y a une chance de lui faire accepter ma relation avec Nina, je ne veux pas que ça ne puisse pas marcher parce que des mots durs auront été échangés. Le passif est déjà assez chargé comme ça ! Avant qu'elle ne parte, je lui pose tout de même la question. "Nina ? Tu crois en nous, pas vrai ?" J'ai besoin de savoir que je me bats pour quelque chose de concret.

Je sais qu'une fois que son père sera là, je n'aurais pas à m'inquiéter de sa sécurité, s'il y a bien une chose que je suis prête à admettre c'est que Jelenko tient à son fils. De façon extrêmement tordue, malsaine et tout ce que vous voulez, mais il tient à lui et l'aime malgré tout. J'ai seulement peur qu'il se retrouve seul, mais ça ne devrait pas durer longtemps, il a dormi, pris ses cachets également... J'espère que ça ira et qu'il ne se sentira pas mal. Vraiment, je regrette, parce que ce n'était pas le moment d'avoir cette conversation, il n'est physiquement pas en état pour ça, et j'ai peur qu'il soit trop épuisé également pour trouver des arguments à opposer à son père. Mais je n'ai pas su garder ça pour moi plus longtemps.

Sa question pleine d'inquiétude me heurte parce que je sais, quoiqu'il arrive, que quelque chose est brisé... Je me sentais déjà intruse mais je crois que je n'oserais tout bonnement plus jamais mettre les pieds au QG, comme je sais que je m'excluerais d'office de toutes les réunions de famille qu'ils pourront faire par la suite, fêtes religieuses comprises. Va construire un avenir sur ces bases-là. Je prends ses mains dans les miennes en approchant de lui, m'agenouillant devant le canapé. En nous, oui... Je ne serais pas ici, je n'aurais pas vendu mon appartement si je ne croyais pas en nous... J'ai juste... J'ai peur que ça ne suffise pas... De la même façon que, dans le Bronx, ça n'a pas suffit.

Je me redresse, me tends pour venir chercher sa bouche de la mienne sans qu'il ait à se plier en deux, dans un baiser plus voluptueux que ceux qu'on a échangés jusqu'alors. Je glisse une main sur sa nuque, pose mon front sur le sien. Je t'aime... S'il te plaît ne l'oublie pas... Je m'arrache à lui parce qu'il le faut bien, et je prends mes affaires pour sortir de l'appartement, décidant de passer à l'agence puisqu'il est temps que j'y aille de toute façon.

Je vibre quand elle vient vers moi, quand elle m'embrasse. Je pose mes mains sur ses épaules, m'enivre au contact de sa bouche. "J'oublie pas srce, j'oublierais jamais. Laisse la porte entrouverte en partant s'il te plait" Une fois qu'elle est partie, je n'ai plus qu'à attendre mon père. Je me lève pour aller m'asseoir sur une chaise de la cuisine, histoire de ne pas être en position de faiblesse. Il arrive dix minutes plus tard et je ne le laisse pas m'endormir. J'entre directement dans le vif du sujet.

La discussion est houleuse, explosive même pour autant que je puisse exploser dans mon état. Bien sur il me montre les photos, elles volent dans la cuisine, s'éparpillent, le visage de Nina avec les autres partout sur le sol. Quand mon père finit par partir, je suis vanné, je me traîné dans le canapé où je m'écroule. J'avale deux cachets contre la douleur, effondré par la confrontation. Roulé en boule autour de ma douleur,les cheveux collés de sueur je m'endors malgré la colère sourde qui persiste, trop épuisé pour lutter davantage.

Je rejoins l'agence où tout a été remis en ordre, il ne reste plus aucune trace de la confrontation, je sais que Dimitri s'est chargé de tout. Les locaux sont vides, et la solitude me fait du bien même si revenir sur les lieux du crime me blesse, parce que j'ai la sensation de revivre la scène. Je repense au bouquet de roses qu'il avait apporté pour moi, attention qui pourrait sembler ridicule mais qui me touche pourtant profondément parce qu'elle vient de lui, et que je ne suis indifférente à rien de ce qu'il fait pour moi. Et je pense, bien-sûr, à la façon dont je lui ai demandé, dans l'angoisse et la précipitation, s'il voulait m'épouser à nouveau. Il a dit oui, toujours, mais peut-être était-ce seulement du aux hallucinations induites par la douleur. A chaque instant depuis qu'il s'est fait tirer dessus, je regrette de ne plus être sa femme.

Je passe le temps en faisant du tri dans mon courrier, en lisant et répondant aux mails que j'ai en retard, mais au bout de deux heures je n'ai toujours aucune nouvelle de Slavenko et je commence à m'inquiéter sérieusement. S'il veut que je m'en aille, je ne le laisserais pas le faire par téléphone, ni par lettre cette fois, et il va devoir m'affronter en face. Je laisse passer encore un peu de temps avant de me décider à retourner à l'appartement, trop anxieuse pour rester dehors. La porte est fermée mais il n'y a plus Jelenko à l'intérieur, parce que je n'entends pas de bruit. Je fronce les sourcils, vais directement dans le salon et je trouve Slavenko ramassé sur lui-même, sur le canapé. Je me précipite vers lui, l'angoisse refaisant surface bien trop fort. Je m'agenouille à ses côtés, tends la main pour effleurer son front. Slavo...?

Je crève de froid à cause de la sueur qui retombe, de la fièvre aussi sans doute mais je n'ai pas la force de sortir de ma somnolence, du sommeil agité où je suis. C'est quand Nina me touche que je me réveille dans un sursaut douloureux, contraint. Mon regard noir, agressif, sur la défensive s'éclaire quand je réalise qu'il s'agit de Nina. Je serre les dents en me tournant difficilement. "hé, t'es rentrée..." Non ça n'était pas sur. Pas après tout ce qui s'est dit, pas après le doute qui plane, cette ombre entre nous. Les mots échangés avec mon père ont été d'une rare violence, pas forcément dans la manière de les dire - alors que d'habitude je m'emporte facilement - mais réellement dans le fond du problème. Je suis éreinté, physiquement et moralement aussi. Bien sur les photos m'ont miné, c'est un coup rude pour moi qui suit toujours si peu sur de moi, de nous, et puis il y a le reste, nos disputes incessantes, nos séparations, nos engueulades, ce poids permanent de porte la faute passée. Mais j'ai tellement envie d'être avec elle encore plus après ces jours loin de ses bras que j'occulte le problème. Je me tends vers elle, quémandant sans doute du réconfort dans un geste silencieux. "Est-ce qu'il est tard ?"

Je n'ai pas la moindre idée de son état d'esprit quand je rentre, mais je sais que je ne le laisserais pas se dérober une seconde fois. Quoiqu'il décide, quoiqu'il veuille faire ou que son père lui ait dit, il va falloir qu'il me le dise en face. Je n'avais pas de nouvelles, je m'inquiétais... Pour être tout à fait honnête, j'attendais vraiment qu'il m'appelle, ou au moins m'envoie un message pour me prévenir que son père était parti, pour me demander de rentrer ou au contraire pour me demander de rester à l'écart. Contrairement à lui, je n'ai aucune envie d'occulter le problème parce qu'il me ronge depuis trop longtemps maintenant et que j'ai un besoin vital d'être fixée, de crever l'abcès une bonne fois pour toutes. Mais il est blessé, fatigué et je ne veux pas non plus le brusquer.

Je n'ose même pas enlever mes chaussures, seulement ma veste, parce que j'ai cette impression étrange de ne plus vraiment être chez moi. Je m'assieds à côté de lui sur le canapé, fronce légèrement les sourcils. Il est 22 heures passées. Mon regard sur lui est inquiet, parce qu'il semble encore épuisé et qu'il était en train de dormir, mais j'imagine que c'est normal si on considère son état. Je ne peux pas attendre plus longtemps pour demander : Qu'est-ce qu'il s'est passé...?

Je m'assieds et fait une place à Nina avant de me tenir tranquille, le plus tranquille possible. J'ai du mal à sortir du sommeil à cause des antalgiques qui m'assomment mais paradoxalement l'anxiété affûte mes sens. Le mélange donne une drôle sensation d'irréalité. "Pas très bien, tu imagines..." J'ai une moue amère en essayant de reprendre de le fil. "On est parvenu à une sorte de ... je sais pas comment appeler ça, un compromis ? Tu sais je veux pas le défendre et je dis pas que je comprends ou que je cautionne ce qu'il a fait mais c'est de ma faute aussi."  

J'attrape la bouteille d'eau qui est sur le guéridon que Nina a placé près du canapé-lit. Je bois longuement avant de soupirer et poursuivre. "J'ai merdé quand je suis parti de NY. La façon dont je suis parti, et puis j'ai jamais rien dit de... " Je cille, esquive le mot avortement ou bébé, je ne sais pas trop. "C'est le rêve de mon père d'avoir le nom qui perdure tu vois...je vois pas comment j'aurais pu lui dire. J'ai envenimé les choses en disant rien...mais je lui ai dit tout à l'heure parce que il a pas le droit de t'en vouloir à toi. Enfin... il l'a...mal pris."

Bien entendu je me crispe à la mention d'un compromis dont je suis persuadée qu'il ne peut pas exister. En revanche, je suis d'accord lorsqu'il dit que c'est de sa faute, je suis d'accord avant même qu'il ne me dise pourquoi il est fautif. J'ai toujours su qu'il ne faisait pas suffisamment d'efforts pour imposer ses choix de vie à sa famille, et si j'ai tant peiné à me faire une place c'est parce qu'il ne m'a jamais aidée à m'en faire une. Il m'a toujours tenue à l'écart de tout ça, cloisonnant sa vie comme il sait si bien le faire... Ce qu'au passage son père a fini par me reprocher à moi ! De ne pas m'intégrer, de ne pas prendre part à leurs traditions ou à leurs règles. Il m'a demandée en mariage très vite mais ne m'a finalement jamais traitée comme sa femme, jamais imposée comme telle auprès des siens non plus. Ce faisant il a donné le droit à Jelenko et à tous les autres de s'en prendre à moi, parce que tous ont eu ce sentiment (à raison peut-être) que ce n'était pas important, que ce qu'ils pouvaient me faire ne comptait pas.

Je pâlis un peu lorsqu'il fait référence -sans le nommer- à l'avortement. Je ne m'en suis jamais remise, son départ précipité ne m'a d'ailleurs pas aidée à faire mon deuil. Mais je me doutais que le sujet viendrait sur le tapis, j'ai fait de lourds sous-entendus à son père, il ne pouvait pas y rester sourd. Je ne sais pas quoi dire, sinon que je ne comprends pas bien où il en est, où on en est. Et...? C'est quoi le... compromis ?

"C'est pas vraiment un compromis...." Je ne sais pas comment lui dire sans la blesser, la vexer, ou la braquer. Je sens intuitivement que je vais encore m'expliquer de travers ou que je n'ai pas vu quelque chose qui va la froisser. "On a finalement discuté. Je crois qu'il y avait beaucoup de trucs à remettre dans le bon sens. Je lui ai dit - et je te dis aussi - que j'ai changé depuis qu'on s'est remis ensemble, et aussi durant ces quatorze mois avant. Maintenant je sais ce que je veux Nina. Je sais que c'est souvent dur nous deux, compliqué et que c'est souvent ma faute hein...je reviens pas la dessus, tu as raison et j'admets tout ça. " Bon je ne sais même plus moi-même où j'en suis et je me perds dans mes phrases, mes précautions oratoires. J'affiche un air un peu perdu avant de reprendre le fil. "Je lui ai parlé de nos projets, que je veux une maison avec toi, et peut-être aussi qu'on se remariera un jour, si tu veux bien. Que je suis prêt pour autre chose.... Peut-être même... un bébé ? J'ai quarante balais Nina, et je viens de me faire tirer dessus alors je me dis que c'est con. Alors bon... un an, un an et on voit si ça marche vraiment toi et moi. Pendant un an il fera pas de remarque, tu ne seras plus suivie. Tu viens aux fêtes, tu es ma fiancée. Tu seras de la famille et si dans un an toi et moi ça fonctionne pas, on verra à ce moment là. Est-ce que tu trouves ça...dingue ?"

Je ne m'attends pas du tout à tout ça, je ne vois pas comment qui que ce soit pourrait s'attendre à un discours pareil. Et peut-être que je serais censée trouver ça... je ne sais pas, mignon ? D'une certaine façon ? Mais ce n'est pas du tout le cas. En fait je pâlis, nauséeuse soudain, la gorge nouée. Je ne crois pas qu'il s'exprime mal, c'est peut-être ça la vérité, il n'y a peut-être pas de problèmes de compréhension entre nous. Seulement lui qui dit des choses hallucinantes et qui ne comprend jamais pourquoi ça dérange. Je ne crois pas qu'il y aurait une façon de me dire ça sans me braquer.

Volontairement, j'occulte le bébé, je ne peux pas croire qu'il ait réellement dit ça et je ne veux pas entrer dans ce débat parce que je crois qu'il me ferait vraiment sortir de mes gonds. La façon dont il formule les choses, le fait qu'il parle encore de "voir si nous deux ça fonctionne", comme si on venait de se rencontrer, comme si finalement, contrairement à ce qu'il dit, il ne savait toujours pas ce qu'il voulait ! Si je trouve ça dingue ? Je répète d'une voix blanche. Mes mains sont moites, j'ai l'impression d'avoir chaud et froid à la fois, signes de l'angoisse qui grandit dans mon ventre, pour ne pas laisser la colère prendre la place sans doute. Alors quoi je suis censée... Je suis en sursis pendant un an, c'est ça ? Je fais semblant que tout va bien et on voit si je passe les tests de la famille Drazavic ? Quoique je fasse, les émotions prennent le dessus, enflent dans ma poitrine, me faisant hausser le ton, et finalement me lever du canapé. J'ai tout quitté pour toi. J'avais... J'avais vraiment refait ma vie, et j'ai tout balancé pour te rejoindre ici, alors que personne ne veut de moi dans ta vie ! Ton père me fait suivre, il manipule des photos pour te faire croire que je te trompe, il me menace, essaie de me faire peur... Et c'est toi qui a besoin de voir "si ça marche vraiment toi et moi" ?

Je la regarde se mettre en colère et je ne suis même pas étonné. Elle se lève et s'énerve, me crie dessus et moi, non je ne comprends pas. Je ne comprends pas du tout. Elle transforme mon "on" en je et je ne sais même pas comment expliquer ma vision des choses. Je secoue la tête avant de répondre d'une voix basse, inquiète "C'est pas ce que j'ai dit." Une nouvelle fois, l'incompréhension surgit entre nous. J'essaye quand même de m'expliquer, je visage levé vers elle "Moi j'y crois Nina, je sais que ça peut marcher et que dans un an, on sera ensemble, on vivra ensemble. Et si jamais...si par malheur on n'arrêtait pas de s'engueuler encore et toujours, alors il sera p'tre tant que nous deux on avise si on doit pas changer quelque chose. Déménager ou changer de vie, arrêter ce boulot, j'en sais rien..." Je lève la main pour effacer la fatigue en frottant mon visage. Je suis épuisé et les subtilités me passent à mille lieues au dessus de la tête (déjà en temps normal mais alors là c'est le pompon) Je croyais que c'était une bonne nouvelle "Je te propose qu'on construise réellement un truc, une famille...pour nous. Je vois pas pourquoi ça te fout en rogne."
Mon père est fou de rage contre moi, Nina est également en pétard, putain mais quelle journée de merde...