Tant qu'il nous reste une seconde de souvenir dans le crâne - Slavina

On n'arrêtera jamais de s'engueuler, c'est la certitude que j'ai à cet instant précis. Non, ça ne cessera jamais, parce qu'il sera toujours coupé en deux entre sa famille qui me hait, et moi. Et parce qu'il finira toujours par les choisir plutôt que moi. Je ne peux même pas dire que je suis surprise tant je m'attendais pourtant à ce genre de réactions de sa part, mais la blessure n'en est pas moins douloureuse. Je crois que son père pourrait me faire n'importe quoi, il finirait toujours par conclure que ce n'est pas grave. Parce que c'est finalement de ça qu'il s'agit, rien n'est grave, rien ne compte. Il prétend me défendre, veiller sur moi, mais si c'est sa famille qui s'en prend à moi il reste les bras croisés, il se contente de tourner la tête en feignant de ne pas avoir vu ce qu'il se passait.

Les larmes me montent aux yeux, je mords l'intérieur de ma joue, secouant la tête. On a déjà essayé ça, tu crois pas ? Toi t'as déménagé, moi j'ai changé de vie. Et il est juste devenu... Encore moins combatif qu'avant, parce que c'est de ça qu'il s'agit, de se battre pour nous. Je pince les lèvres, la gorge nouée. Non, c'est faux. Si tu voulais qu'on construise une famille, tu parlerais au futur, tu parlerais pour toujours. Non parce que faire un enfant, c'est juste quelque chose qui vous lie à jamais, hein, que vous le vouliez ou non, et même si vous divorcez. Là tu te contentes de mettre une deadline. Pour satisfaire ton père, encore. Et si le jour où elle arrive, on est dans une mauvaise passe, alors quoi ? On me réexpédie direct aux USA ? Je serre les poings, peinant à retenir mes larmes cette fois, et je vois bien la fatigue, la lassitude je crois sur son visage. Moi aussi je suis fatiguée. Je suis fatiguée de me battre toute seule contre tous, j'ai cru que les choses seraient différentes ici mais c'est pire, et je suis fatiguée de n'être à ma place nulle part, que mes moindres faits et gestes soient scrutés et utilisés contre moi. On en revient toujours là mais c'est lui qui est parti, c'est injuste que ce soit à moi de me battre pour prouver que je mérite une place dans sa vie. J'essuie les larmes sur mes joues d'un geste agacé. Je pensais que cette fois je pourrais compter sur toi... Mais tu ne sais pas me défendre, tu n'as jamais su, peut-être parce que t'as jamais eu envie d'essayer. On m'accuse de ne pas savoir m'intégrer mais tout le monde fait tout pour que je reste en-dehors, et malgré tout ce que je peux penser, malgré tout ce qu'ils ont pu faire je n'ai jamais attaqué aucun des membres de ta famille. J'en ai assez d'être attaquée, je veux plus de cette vie-là.

Je fronce les sourcils, m'efforçant franchement de comprendre quand je perds pied sous le flot de paroles "mais...je parle au futur..." A quel moment, elle a cru que je ne parlais pas d'avenir ? "Personne te ré-expédiera nulle part, mais bon sang ... Peut-être qu'on restera ici, ou j'en sais rien, qu'on retournera à NY... ou se tirera ailleurs... " Il y a plein de possibilités. Mais en attendant j'ai un an pour réussir à concilier Nina et Tigrovi. A moi de saisir ma chance, mais Nina ne semble pas le comprendre ou vouloir m'en laisser la possibilité.

Je trouve ses paroles injustes "Mais à quel moment je t'ai pas défendu Nina ? Quand ? Mon père est furieux contre moi, il ne veut pas me revoir pour l'instant sauf comme mon commandant ! J'ai dit que ces putains de photos c'était pas grave, alors que tu m'as pas dit que tu voyais Rauera ou Yulian, ici à Sarajevo. A quel moment c'était pas te défendre quand j'ai dit que je voulais une maison avec toi, une chance de pouvoir te redemander en mariage, d'avoir une famille avec toi ? Putain, mais qu'est-ce que je peux faire de plus que ça ? " Là je ne vois pas. Je ne sais plus. Je crispe les mâchoires à m'en faire grincer les dents sous l'assaut d'émotions qui menace de me submerger. Dans tous les cas, je suis collé à ce canapé duquel je serais bien incapable de bouger mon cul.

Oh lui il est furieux contre toi ?! Putain mais c'est le monde à l'envers ! Je ne comprends pas, non, et je crois que je ne comprendrais jamais comment il peut les laisser se comporter comme ça avec lui, avec moi ! C'est bien ça le problème, c'est qu'encore une fois il est là à essayer de marchander pour qu'on veuille bien de moi, est-ce qu'il pense vraiment que c'est ce dont j'ai envie, ce à quoi j'aspire, m'intégrer au sein d'une famille qui ne rêve que de me voir disparaître à nouveau ? Ça devrait être à lui d'être furieux, de s'emporter et d'être en colère, de ne pas vouloir voir son père. Je n'aurais rien du lui dire, parce que je savais qu'il ne réagirait pas, ou si peu. Comment ne voit-il pas que je ne veux pas à tout prix obtenir l'approbation d'un homme qui ne me veut que du mal ?

Je ne veux pas de famille avec lui, je n'élèverais pas un enfant dans sa famille de cinglés où ils tenteront tous de s'accaparer mon enfant pour en faire un bon petit soldat, le digne descendant de la lignée Drazavic. Je ne ferais pas d'enfant avec un homme sur lequel je ne peux pas compter, qui se comporte bien plus souvent comme un môme que comme un homme d'ailleurs, qui n'est pas capable de me soutenir réellement. Je n'ose même pas imaginer l'enfer que ce serait de vivre une grossesse ici, et pire d'être mère ici, au milieu d'eux tous qui tenteront de me dire quoi dire, quoi faire, sans que jamais Slavenko n'y mette un terme. Il ne réalise pas, parce qu'il vit dans un autre monde. Je suis encore en larmes quand je réponds à sa question, que j'imagine rhétorique pourtant. Ne pas mettre une putain d'épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Arrête de faire semblant de ne pas comprendre, tu sais très bien que tu ne quitteras jamais Sarajevo, et je ne peux pas passer ma vie à me battre contre ta famille ! Je secoue la tête, me laisse glisser contre le mur pour m'asseoir au sol, ramenant mes jambes contre moi. Il dit que je fous ta vie en l'air, que t'allais mieux avant que j'arrive ici, que si tu choisissais une autre femme les Tigrovi la protégeraient. Pas moi. Comment est-ce que je suis censée me pointer à vos repas de famille après ça ? C'est injuste... Et c'est déjà suffisamment difficile pour moi sans devoir en plus prouver que je mérite une place dans ta vie. Je pose mon front sur mes genoux, étouffant mon envie de hurler dans de nouveaux sanglots.

Evidemment que mon père es furieux, comme je suis furieux après lui. Nous nous somme quittés en mauvais terme pour le dire simplement, et une nouvelle fois je ne comprends pas le problème que ça lui cause dans ma formulation des faits. "L'épée est sur nous deux en l’occurrence, et même plutôt sur moi... Tu as tort Nina, je ne renoncerais pas à toi. Mais je ne peux pas quitter les Tigrovi comme ça... Je peux pas faire ça, j'ai besoin... de leur laisser une chance à eux aussi. Tu ne comprends pas que je voudrais que ça marche ? Toi, moi et aussi ma famille ? Pourquoi ce serait trop demander ?" Pourquoi je ne pourrais pas avoir tout ce que je désire ? Est-ce que c'est réellement trop demander qu'on me foute la paix et vivre ma vie avec la femme que j'aime et ma famille ?

Je me lève dans un effort surhumain pour ensuite venir à genoux devant elle, ignorant la douleur physique que ça provoque. De toute façon, la douleur morale est bien plus forte. "Zlato...Je suis désolé de ce qu'il a dit ou fait. S'il te plait, regarde moi mon ange. Je t'aime, tu es celle que je veux à mes côtés, et je lui ai dit. Y en aura jamais d'autres que toi et ils t'accepteront ou ils nous perdront tous les deux. Y a pas d'autres issues que ça. "

Je réponds d'un ton querelleur : C'est à ton père qu'il faut demander ça. Je commence à en avoir assez, sérieusement, qu'on m'accuse sans arrêt de l'éloigner des Tigrovi, de l'empêcher de faire son boulot ou de vouloir le détourner de sa famille. Je n'ai jamais cherché à l'en écarter lorsque nous étions dans le Bronx, il a même fini par se retrouver à la tête du Klan, et je crois quand même que merde, si je cherchais réellement à le séparer d'eux, je ne serais pas venue m'installer dans cette putain de ville de merde ! Eux, en revanche, essaient sans cesse de l'éloigner de moi, et j'en ai la preuve plus que tangible aujourd'hui même ! D'ailleurs je finis par le dire à voix haute parce que je vais imploser si ça continue. Je te jure, Slavenko, si tu sous-entends encore une fois que je n'ai pas laissé leur chance aux Tigrovi ou que je t'empêche d'en faire partie, je résoudrais tous tes problèmes en décollant direct pour NY. Est-ce que là, comme ça, c'est clair ou pas ? Ma voix, et mes mains, tremblent de colère contenue. Oui, je peux pleurer et être en colère en même temps, les deux vont d'ailleurs très souvent de pair.

Je me mords la joue en relevant sur lui mes yeux emplis de larmes quand il me demande de le faire, et même si la douleur que je lis dans son regard me peine, je suis trop blessée moi-même compatir réellement cette fois. Et son affirmation, loin de me réconforter, m'effraie parce que je ne vois pas d'issue. Ils ne pourront pas m'accepter, ils ne l'ont jamais fait mais ils le feront encore moins si Slavenko leur donne raison en disant qu'il partira avec moi si les choses se passent mal. Je secoue la tête, mords ma lèvre au sang dans une énième tentative pour retenir mes larmes. Je n'ai jamais cherché à t'éloigner d'eux, ni à New-York, ni ici... Je suis dans un pays que je ne connais pas, où on fait tout pour que je ne me sente pas chez moi, et je m'y retrouve toute seule parce que tu es en mission constamment. J'ai abandonné tout ce que j'avais pour ne finalement te voir que quelques heures par semaine... J'ai jamais voulu de cette vie-là, c'est en train de me rendre folle et le pire c'est que ça ne leur suffit pas... Je ne sais pas ce que je peux faire de plus que ça, je sais même pas... Je sais même pas si je suis capable de plus que ça. Ou même seulement de vivre ça encore, éternellement.

Je répond gravement "mais c'est pas ce que j'ai dit srce." Non vraiment, je ne pense pas avoir dit ça ! Je ne comprends pas comment je peux tellement me faire mal comprendre. "Et je te signale que c'est bien ce que j'ai dit à mon père. De nous laisser une vraie chance, pas juste en faisant semblant."

Sa tristesse me peine énormément "Je sais que tu as fait beaucoup srce. Tu n'as pas besoin de me convaincre et je ne te demande de convaincre personne, ok ? C'est moi, c'est moi qui les convaincrais.". Je me laisse tomber de coté dans un grognement pour pouvoir appuyer une épaule sur le mur et lever un bras pour l'enrouler autour des épaules de Nina. "Je sais que j'ai beaucoup travaillé...Je vais lever le pied, Nina. Laisse-moi une chance je t'en prie. Je ne te demande pas plus que ça." Un an, c'était histoire de respirer, qu'on puisse avoir une chance de se concentrer sur nous plutôt que sur des agressions extérieures. On a déjà pas mal de batailles à régler entre nous et j'ai négocié, manipulé pour avoir la paix. Je n'en ai pas honte. Je ferais tout pour atteindre mon idéal. J'ai seulement peur à présent que ce ne soit pas celui de Nina. J'enveloppe sa joue de ma main, essuie ses larmes du pouce. "Tu vois, tu as mis des rêves dans ma tête Nina. Toi, moi, une maison, une famille, avec la mienne en parallèle et les tigrovi aussi. Tout ça c'est ma place. Mais je réalise que je ne suis même pas sur que ce soit ton rêve aussi. Dis-moi toi, qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu vois ?"

Très sincèrement il ne vaut mieux pas pour lui qu'il me demande de convaincre qui que ce soit, en effet. Parce qu'en l'état actuel des choses je suis trop en colère pour ne serait-ce qu'envisager de croiser Jelenko de nouveau. Je n'ai plus envie de mettre les pieds au QG, encore moins à leurs réunions de famille et je ne vois vraiment pas comment je pourrais m'intégrer si je disparais purement et simplement. Mais c'est la seule chose à laquelle j'aspire, ne plus jamais les voir. Le sentiment d'injustice est une chose qui m'a toujours mise hors de moi et ce soir il est si prégnant que c'en est étouffant. Ce devrait être à eux de me convaincre qu'ils méritent une énième chance, et je peux vous assurer que c'est extrêmement mal parti.

Je fronce les sourcils, inquiète de le voir s'asseoir dans un mouvement qui doit être atrocement douloureux. Son corps chaud se glisse contre le mien, ce qui ne m'aide pas du tout à me ressaisir, son contact me rendant toujours trop vulnérable. Il ne demande qu'une seule chance, j'ai l'impression de lui en avoir déjà laissé des dizaines mais je ne dis rien. Je retiens mon souffle quand ses doigts effleurent ma joue mouillée, et je réponds avec sarcasme pour tenter de dissimuler ma douleur. Ta famille ne fait plus exactement partie de ce que je visualise quand je pense à mon avenir rêvé, Slavenko. Elle en a déjà fait partie un jour, pourtant, avant que sa mère ne décède, quand son père était encore derrière les barreaux et que j'imaginais, naïve, que la prison aurait fait de lui un homme nouveau. J'ai toujours voulu avoir une famille, j'aurais tué pour ça. Les familles n'ont jamais voulu de moi, finalement ce qui arrive aujourd'hui n'est rien d'autre que la suite logique à ce que j'ai vécu toute mon enfance. Je voudrais seulement être enfin à ma place quelque part... Être auprès de quelqu'un qui me soutient envers et contre tout, qui se bat pour moi, avoir une famille à moi, compter réellement à ses yeux. Pourquoi ce serait trop demander ?

"Mais srce, tu as ta place à mes cotés... et dans notre maison, et dans notre lit aussi. Ja volim te, moj andjeo..." Je ronronne ce surnom dans un soupir épuisé. "Je ne peux pas te promettre que ce sera facile ou tout rose. Hummm... tu me connais hein, j'ai tendance à tout compliqué, mais c'est pas pour ça qu'on y arrivera pas. Je te demande pas de leur pardonner ou quoique ce soit. Je sais bien que c'est à eux de faire des efforts. Mais c'était ça le compromis. Il va faire des efforts. C'est déjà mieux que rien." Je soupire, finis par hausser les épaules. "de toute façon on s'en fout non ?" J'ai un léger rire en m'appuyant complètement contre le mur, reposant mes mains à plat sur le sol pour me tenir " Ce sera toi et moi zlato, et les autres, ben ils s'adapteront...On va faire comme ça pour une fois et on va commencer par se chercher une maison." A force de vouloir ménager tout le monde, je n'arrive à rien et j'ai bien trop peur de perdre Nina. "Vois le bon coté des choses, tu m'as au moins pendant un mois pour toi toute seule. Tu pleureras pour que je retourne en mission. "

Pour être tout à fait honnête, je ne crois pas avoir eu réellement cette impression d'être à ma place une seule fois depuis mon arrivée à Sarajevo... Et je commence à désespérer de me sentir chez moi un jour, où que ce soit, et plus encore avec lui. Ses paroles me rassurent néanmoins parce que je crois que j'avais mal compris, quand il a dit que si dans un an ça ne marchait pas, on verrait ce qu'on ferait, je pensais que ça voulait dire qu'on se séparerait. Encore. En fait je crois qu'il parle des Tigrovi et de moi. Mes pleurs cessent peu à peu, mon angoisse s'apaise enfin, peut-être lorsqu'il mentionne de nouveau la maison qu'on doit acheter ensemble. Je lève le visage vers lui une nouvelle fois, fronce les sourcils. Je crois pas, non... Ça fait un mois que je pleure pour t'avoir un peu avec moi. Je ne suis pas prête de me lasser de sa présence à mes côtés. La vraie difficulté va être de trouver comment l'occuper pour qu'il ne vire pas fou. Je soupire. Je veux faire ma vie avec toi Slavenko, j'ai pas besoin de réfléchir pour savoir ça...

J'essuie mes joues, mes yeux encore mouillés. On devrait aller s'installer dans le lit pour que tu puisses dormir, tu devrais rester allongé mon amour.

Je suis rassuré de voir que Nina se calme, je ne suis pas sur d'avoir d'autres arguments à lui donner. Il est fou qu'elle se sente systématiquement agressée quand je dis quelque chose. J'ai une vraie incapacité à communiquer avec elle sur nos sentiments, nos désirs, nos aspirations, c'est indéniable. Pourtant je fais des efforts, je vous jure mais si une parole peut être interprétée de deux façons différentes, Nina prendra systématiquement la façon la plus pessimiste sans me laisser le bénéfice du doute. C'est une règle universelle. Notre seule chance aujourd'hui c'est que je suis tellement épuisé que je n'ai pas la force de m'énerver ou de sur-réagir. Même le sujet des photos dans la cuisine reste en suspend, je n'ai pas envie d'en parler, je ne suis pas en état. Je suis juste déprimé quand je pense à ça, mais je n'ai pas ce sursaut de rage qui me boufferait trop d'énergie que je n'ai pas.

"Tu vois, on est d'accord sur le principal. Être ensemble." Je trouve que c'est une grande avancée. A nouveau j'ai un petit rire amusé. "Je crois pas que je vais réussir à me lever srce...Tu me files un coup de main ?" Bon, en rassemblant mes forces et avec l'aide de Nina, je parviens à me foutre debout, la douleur fusant comme un coup de poignard mais je serre les dents pour ne pas inquiéter Nina. Il faut ensuite se bouger jusqu'à la chambre et je suis en nage le temps qu'on y parvienne. Je n'ai jamais été aussi content de m'effondrer dans le pieu. Je remarque l'écran, comment le souffle court teinté d'ironie parce que c'est un bon mode de défense contre la douleur "t'as acheté une tv ? On va pouvoir mater des films de cul alors ? Génial. "

Je l'aide à se lever, puis à se déplacer jusqu'à la chambre du mieux que je peux. J'ai songé un moment à trouver un fauteuil roulant pour lui faciliter la vie, mais je doute vraiment qu'il accepte d'en utiliser un, et j'ai peur que le simple fait d'énoncer l'idée le vexe. Alors je ne dis rien, pour l'instant en tout cas... Mais je suis indéniablement inquiète pour lui, et voir à quel point chaque mouvement lui est douloureux me fait mal comme si j'étais blessée moi aussi. Je souris en avisant la télévision. Tu peux regarder ce que tu veux, j'irais acheter des DVD, et si tu veux du porno hm... Ça doit se trouver aussi. Je voulais qu'il puisse rester au lit sans trop souffrir de l'ennui. Je sais que mater la télé n'est pas vraiment une activité exceptionnelle mais comme on ne la regarde jamais, je me dis que l'attraction de la nouveauté nous fera peut-être gagner un peu de temps avant qu'il pète un plomb.

Pendant qu'il s'installe, je vais dans la cuisine chercher une autre bouteille d'eau, ainsi que ses cachets, je ramène également un paquet de chips et un autre de biscuits au cas où il aurait faim. Je remarque sans être réellement surprise les photos qui jonchent le sol, je m'attendais à ce coup bas de la part de Jelenko. Dans un Soupir je les ramasse et les pose sur le coin de la table, je sais qu'il faudra qu'on en parle... Mais pas ce soir. Je prendrais le temps de lui faire un vrai repas demain, et même un vrai petit-déjeuner demain matin. Je me déshabille enfin, passant une nuisette pour m'allonger à côté de lui. Tu veux de l'aide pour te déshabiller ou tu préfères dormir comme ça ? Tu sais à quelle heure vient le médecin demain ?

C'était une plaisanterie, que j'affine dans un commentaire amusé "c'est plutôt pour toi le porno srce...pour t'occuper." Je l'admets, j'ai pas la forme pour envisager quoique ce soit, c'est triste. Là tout de suite, je suis juste content d'être allongé. Quand Nina revient, c'est surtout mes cachets sur lesquels je louche. J'essaye de ne pas abuser des antalgiques, mais cette fois, je les prends avec le reste des médicaments, antibio, anticoagulant et tout le tatouin. "Merci" Je secoue la tête, j'ai pas la volonté de bouger, même pour enlever mes fringues. "Non c'est bien comme ça. Le Doc passera demain matin, vers huit heures sans doute... avant qu'il aille au QG sauf s'il se passe un truc cette nuit." Je n'ai pas faim, même les chips n'attirent pas mon attention. Je m'enfonce dans les coussins avant de ne plus bouger, seulement concentré à faire refluer la douleur avant que les cachets ne fassent effet. Je m'endors sans m'en rendre compte. C'est pas ce soir qu'on matera la tv !

Je dors comme une souche, pas un rêve n'effleure ma conscience, pas un seul élément extérieur. Je suis trop crevé pour ça. Il est pathétique le soldat censément vigilant. C'est là qu'on voit que l'âge me ramollit, je récupère moins vite. C'est la visite du médecin qui me réveille. "j'aimerais prendre une douche avant qu'on change le pansement, je pue le fennec mort."

Loin d'être déçue, je suis au contraire soulagée que le désir l'ait déserté parce que je suis trop inquiète pour lui pour envisager quoi que ce soit, et je n'aurais pas voulu devoir le repousser. En revanche il me manque énormément, le contact physique, la tendresse me manque, parce que ça commence à faire longtemps qu'on ne se voit plus, qu'on ne s'est pas retrouvés, et j'ai toujours ce sentiment très présent d'insécurité. Ça n'a pour une fois rien à voir avec le sexe, notez l'exploit. Il s'endort très rapidement, ce qui me permet de me relever pour aller prendre mes propres "cachets" et espérer dormir à mon tour. Je pense seulement à mettre un réveil pour ne pas me laisser surprendre par la visite du médecin le lendemain matin. Moi non plus, je ne fais ni rêves, ni cauchemars, en même temps j'ai tellement augmenté les doses de tout que je suis à moitié anesthésiée, même physiquement. C'est de toute façon l'usage premier de la ketamine en médecine, à la base, alors ce n'est pas surprenant.

La sonnerie de mon téléphone me réveille en sursaut, de même que Slavenko qui semble cela dit moins surpris que moi. Je soupire, tends le bras pour couper l'alarme, et ne fais pas de gestes vers lui puisqu'il n'en fait pas vers moi. J'imagine que ce n'est toujours pas vraiment le moment... Oui, bien-sûr, je pense qu'on a le temps. Et après la visite, tu mangeras, je te préviens. Je me lève du lit et l'attends pour l'aider à venir avec moi dans la salle de bain, ce sera plus pratique dans la douche que dans la baignoire je crois. La veille, j'ai pensé à y foutre un tabouret, parce que je me souviens qu'il l'avait fait pour moi lorsque je m'étais fait tirer dessus. Je m'inspire de ses gestes figurez-vous, je n'ai pas l'habitude de m'occuper des blessés. J'imagine qu'il faut éviter de mouiller le pansement, mh ? Tout en parlant, je retire ma nuisette, dévoilant les hématomes encore visibles sur mon ventre et mes flancs. Bouge pas, je vais t'aider à te déshabiller. Je m'approche de lui pour retirer ses vêtements lentement, avec une précaution exagérée.

Mon visage change à la vue du tabouret, s'ombrant de contrariété. Ça me déplait d'être si faible mais en toute franchise, je suis soulagé de pouvoir m'asseoir. "Si c'est possible, mais c'est pas très grave, Le Doc va le changer de toute façon." La vue des bleus sur le corps de Nina m'effrayent et je m'assombris brusquement avant de tendre les mains vers elle, me fichant bien qu'elle ôte mes affaires. "Viens par là" Je me suis concentré sur moi, à ma façon égoïste mais elle a été bien plus amochée que ce que je pensais. Je la gronde en posant le bout de mes doigts sur les bleus, en douceur "Mais mon ange ! Tu aurais du me dire. Tu devrais montrer ça au médecin. Ça peut être grave zlato !" Je l'examine, observe sa peau, cherche des signes d'hémorragie interne ou d'une autre merde du genre.

Je pose un instant ma joue contre son ventre, dans un geste doux, consolateur sans doute. Sa peau sent drôlement bon et je l'embrasse délicatement. Ce n'est qu'après que j'accepte qu'elle m'aide à enlever ma veste de sport et mon bas de jogging. Ce faisant, je grogne avec mécontentement, parce que je ne suis pas vraiment en position de faire quoique ce soit ce qui est très frustrant. "Je n'ai toujours pas compris ce qui s'est passé srce... Enfin dans les grandes lignes mais... Comment diable t'as fait pour te foutre ce gars à dos ? Et pourquoi ces bleus ? Je suis pas sur que y avait que ce type. " Brusquement j'ai un rire avant d'expliquer pourquoi. "Mon père m'a demandé au moins trois fois où tu avais appris à tirer ! Je crois que tu l'as impressionnée srce ! Je te jure que c'est pas si facile. J'ai dit que tu avais beaucoup de talents cachés."

Son regard s'assombrit, il semble surpris à la vue des bleus et j'avais oublié qu'en fait, on ne s'est pas vus nus tous les deux depuis... Depuis que je suis partie en Italie, finalement. Nous connaissant ça semble complètement surréaliste. Je fronce les sourcils en approchant de lui. Mais non, c'est pas grand chose, je t'assure, ça fait seulement mal au toucher, c'est tout. Ça ne m'empêche pas de me déplacer ou autre, et ça n'est pas si douloureux que ce qu'on pourrait penser. Les hématomes ce n'est rien, j'y suis malheureusement bien trop habituée. Ça a commencé gamine, quand je suis tombée dans une famille dont le paternel était violent, avant que les services sociaux ne s'en rendent compte et lui enlèvent la garde. Et puis plus tard, bien-sûr, lorsque j'ai rencontré Tobias. J'ai l'habitude d'être couverte de bleus.

Je glisse une main dans ses cheveux dans un soupir face à ses inquiétudes. J'ai appris à vaguement me servir d'une arme quand j'étais ado, ensuite  Tobias m'a appris à réellement tirer quand j'ai commencé à bosser pour lui... Et l'année dernière, aussi, avec Dimitri, je me suis pas mal améliorée je crois. C'est devenu beaucoup plus naturel et j'ai, sans vouloir me vanter, toujours eu une certaine facilité à viser juste. C'est... Presque comme si c'était deux soirées complètement différentes, je sais pas quoi te dire... D'abord je me suis retrouvée à une table de poker avec ces mecs-là, sauf que je compte les cartes, tu sais bien... Leur jeu était truqué et j'ai perdu beaucoup de pognon... Que j'ai pas voulu leur donner parce qu'ils avaient triché ! Forcément, ça leur a pas plu... Je n'arrive même pas à me sentir vraiment coupable, ils m'ont prise pour une proie facile mais ça ne fonctionne pas avec moi. Quant aux bleus c'est autre chose... J'étais complètement défaite, je me suis retrouvée à me battre dans l'arène, contre une nana qui m'a mis une raclée, c'est tout.

Les choses ont mal tourné, je veux bien l'admettre, mais en ce qui concerne les coups que j'ai pris, il n'y a pas de vendetta à mener, j'ai voulu jouer, et j'ai perdu, c'est aussi simple et ridicule que ça. Je ne sais pas ce que je cherchais, peut-être que je voulais attirer l'attention de quelqu'un, n'importe qui puisque la seule personne qui compte réellement ne se souciait pas de moi. Je répète en glissant ma main dans son dos, tendrement. Je t'assure que ce n'est rien de grave, allez, laisse-moi m'occuper de toi... Je m'écarte à nouveau, pour attraper le pommeau de douche cette fois et faire couler l'eau, tiède, c'est-à-dire trop fraîche pour moi, parfaite pour lui.

Je ne la lâche pas tout de suite, je regrette mon attitude infantile qui m'a poussée à la fuir durant de trop nombreux jours. Bien sur j'étais jaloux, blessé qu'elle ne réponde pas ou si peu à mes appels, à mes je t'aime, blessé qu'elle me laisse à distance, et je sais très bien que c'était une punition de mes jours en mission. Je n'ai pas su mettre mon ego de coté et c'est Nina qui a payé le prix qui se lit encore sur son corps à la peau dalmatien. "tu aurais pu m'appeler tu sais. Si tu allais si mal, plutôt que d'aller aux arènes, ou de te mettre en danger. Tu aurais pu... Nina, tu sais, même si je prends mal certains trucs, même si je...heu...boude ? - je grogne d'un ton dépité le mot infantilisant - si tu as besoin de moi je serais là pour toi...pas...enfin...pas comme avant quoi..." Pas comme quand je suis parti. J'ai volontairement coupé tout contact. Mais là c’est totalement différent il me semble ! Une nouvelle fois je ne suis pas sur de m'exprimer correctement, c'est ce que j'essaye de lui faire comprendre avec mon attitude à la fois circonspecte et désolée.

Je la relâche et je ravale ma fierté une nouvelle fois pour la laisser s'occuper de moi, impotent comme c'est pas permis ! Je soupire intérieurement, vaguement déprimé à l'idée du temps de convalescence. La seule consolation c'est qu'elle se lave avec moi et que je peux toucher sa peau et son corps. Même si ça n'éveille pas franchement de désir, tué à coups de médocs et de douleur, c'est agréable. J'ai toujours adoré la tripoter, la caresser, elle a une peau merveilleusement douce. Je lui demande de me laver les cheveux, j'en ai marre de la sueur aigre qui s'obstine à s'accrocher à moi et je finis par demander grâce. De retour dans la chambre, j'enfile seulement un caleçon, il fait assez chaud pour que j'attende le Doc comme ça. Il ne tarde d'ailleurs pas, plutôt ponctuel parce qu'il va ensuite au QG pour la journée.

La culpabilité se lit sur mon visage parce que je sais bien, au fond de moi, que j'aurais probablement dû l'appeler. C'est un réflexe que j'avais avant, même en colère contre lui, si ça n'allait vraiment pas je l'appelais malgré tout parce que j'étais capable de reconnaître que j'avais besoin de son aide. Mais les choses ont drastiquement changé aujourd'hui et je baisse les yeux en secouant doucement la tête. Je sais, je suis désolée... D'aucuns trouveront sans aucun doute que j'ai surréagi, que je me suis mise dans un état lamentable pour pas grand chose. Mais il a quitté notre appartement, sans plus donner de nouvelles ensuite, et à mes yeux ce n'était pas rien.

Je ne sais plus faire face à ses fuites ou à la distance qu'il met entre nous, et si je l'ai tenu à l'écart en retour, ce n'était pas pour le punir contrairement à ce qu'il croit, mais pour me protéger. A la moindre réaction négative de sa part, les pires scénarios se bousculent dans mon esprit et je ne sais pas les faire taire. J'avoue dans un souffle, confuse de remettre le sujet sur le tapis mais je ne sais pas comment expliquer autrement le fait que je ne l'ai pas appelé : J'avais peur que tu ne répondes pas... Et c'était... C'était plus facile de ne pas t'appeler que de me heurter à ta messagerie... Je me souviens encore de l'aplomb arrogant avec lequel j'ai dit aux médecins du centre d'appeler mon mari, qu'il leur dirait de me laisser sortir, et de la pitié dans leurs yeux quand ils sont venus me dire que le numéro que je leur donnais n'existait plus.

Je garde le silence le temps de le laver, avec une précaution infinie, démêlant ses cheveux en douceur, profitant de l'instant pour renouer avec sa peau qui me manque douloureusement, même si une fois de plus je n'en dis rien. Je ne veux pas traîner dans ses pattes pendant que le Doc' s'occupe de lui parce que je sais qu'il n'aime pas se montrer vulnérable, alors je leur laisse la chambre, et j'en profite pour aller dans la cuisine préparer le petit-déjeuner. Je sais très bien qu'il ne mangera pas grand chose, mais je prépare plein de trucs malgré tout pour qu'il ait du choix, en espérant qu'au moins un plat lui donne envie. Je fais des œufs, du bacon, des toasts, j'ouvre des biscuits, je prépare du café et du jus de fruits aussi. Je laisse, volontairement, les photos sur la table, le sujet ne sera pas agréable dans tous les cas, autant crever l'abcès le plus tôt possible, non ?

Bien sur que je me doute de ses raisons. Chacun de ses actes aujourd'hui renvoie à mon manquement passé. Je ne suis pas stupide - pas totalement - et elle m'a bien expliqué plus d'une fois ce qui s'est passé quand je suis parti, ce qu'elle a enduré et ses mécanismes de défenses actuels. Je n'espère pas avoir regagné sa confiance en seulement 6 mois, surtout qu'ils n'ont pas été calmes. Je hoche la tête signifiant par là que je comprends. Je ne peux pas prendre cette décision à sa place, je peux juste lui dire que je serais là le jour où elle voudra prendre le risque.

Le Doc change mon pansement, vérifie que ça se passe bien, et c'est le cas, rien de notable à signaler dans le processus de guérison, j'en suis content ! Quand le docteur s'en va, je me sens mieux avec mon pansement propre. Je réussis même à enfiler un tee-shirt même si ça me demande de ruser. Je n'ai pas envie d'exposer mon pansement qui sans cesse rappelle à Nina que j'ai la couenne trouée. Je me déplace précautionneusement vers la cuisine d'où provient la délicieuse odeur. Je me pose sur une chaise, avise le paquet de photos en fronçant les sourcils. Je lève le regard vers Nina d'un air interrogatif, préférant me taire dans le cas présent. Hier, ramasser les photos était simplement impossible, me pencher déjà c'était techniquement impossible mais j'ai espéré que Nina les jette simplement. Je m'empare d'un verre de jus de fruit comme une protection contre l'explication que je pressens. Chaque photo me blesse et je ne suis pas sur de vouloir aller sur ce terrain là.

Je suis soulagée lorsque le médecin s'en va en me garantissant que tout va bien. Il semblerait que Slavenko cicatrise normalement, et j'ai bien l'intention de m'assurer qu'il ne fasse pas l'idiot et s'attire des complications. Je sais que le risque zéro n'existe pas et qu'il ne faudrait pas se réjouir trop vite. En fait je ne pense de toute façon pas qu'il quittera l'appartement avant la fin de la semaine, au minimum. Marcher lui demande trop d'efforts, et il a tout ce dont il a besoin ici. J'espère seulement qu'au moins Camenko passera lui rendre visite parce que s'il ne voit que moi pendant plusieurs jours, il va devenir fou. Je ne m'attends pas à ce que Jelenko revienne, et je ne l'espère pas vraiment, bien au contraire. J'aimerais qu'il puisse oublier tout ça, au moins le temps de se remettre.

Mais pour ça, je sais aussi qu'il faut qu'on aborde les photos. Je m'installe sur le tabouret à côté du sien, les sourcils froncés par la contrariété. Je suis désolée de ne pas t'en avoir parlé... Il me semble important de commencer par là. Je ne savais pas que Yulian était ici, il ne m'a pas prévenue, il est venu voir sa famille en ville... On s'est croisés complètement par hasard, une seule fois, juste avant que je parte en Italie... L'occasion ne s'est pas vraiment présentée pour que je te le dise... Tout allait déjà si mal entre nous, je ne sais pas comment j'aurais pu amener la chose ! Les photos sont prises sous un angle qui nous donne l'air bien plus proches que ce que nous étions en réalité. Mais on ne se touche sur aucune d'entre elles, pas même un effleurement. Rauera est plus tactile, en revanche, et celle où il replace une mèche de mes cheveux peut troubler, j'en conviens. Quant à Rauera je ne savais pas comment t'en parler... Il est venu pour accompagner Legence, et nos relations sont... Tendues... Il ne comprend pas ce que je fais ici, et je crois... Je ne voulais pas te faire de peine...

Je baisse le regard, je n'ai pas envie de lire dans le sien je ne sais quelle compassion, colère ou autre chose qui me blesserait encore plus. J'ai bien compris que j'ai perdu la plupart de mes droits à me plaindre quand je suis parti, c'est pour autant que je cautionne la main de Rauera dans ses cheveux après qu'on se soit remis ensemble. Je commence volontairement par le plus simple aussi étonnant que ça puisse être quand on connait mon inimité naturelle avec Yulian. "Je sais pour Yulian parce que je l'ai croisé... Humm avant la mission, je sais plus quand exactement. Il m'a dit qu'il allait te contacter mais je sais pas...c'était pas grave parce qu'on venait de parler d'une maison et puis à ce moment là ça allait. " Peut-être est-ce différent maintenant. Chaque faille dans notre couple est une porte ouverte pour d'autre, c'est ce que je ressens, c'est toujours extrêmement angoissant. "Je sais pourquoi tu m'en as pas parlé. C'est pas pour pas me faire de la peine. Tu as peur que je m'énerve, qu'on s'engueule."

Je pose la main sur le tas de photo, extrait celle avec Rauera, la plus douloureuse de toute "j'aime pas qu'il te touche. Je veux pas qu'il te touche" Comme elle n'a pas aimé quand j'ai été trop familier avec Sonja. "Je m'en fous qu'il s'inquiète, qu'il croit pas en nous, c'est pas le problème. Ça, ça nous regarde. Il a rien à dire ! Non, en vrai, le problème c'est qu'il te veut à toi, je le tuerais pour ça." Je suis hyper sérieux, ce ne sont pas des paroles en l'air. Faut pas qu'il me cherche, qu'il détourne Nina de moi. Oh, je le tuerais p'tre pas maintenant entendons nous bien, encore que...j'ai beau être éclopé, je suis doué avec un fusil de sniper, et j'ai aucun remord à tuer comme ça. L'honneur c'est un truc pour ceux qui veulent crever.

Je fronce les sourcils, je ne savais pas qu'il avait vu Yulian, ni l'un ni l'autre n'a jugé bon de me tenir au courant. Je secoue la tête, peinée quand il dit que les choses ont changé, parce que j'ai de nouveau cette peur qu'il ne veuille plus faire de projets avec moi. J'ai désespérément besoin de projets, je n'ai toujours pas réussi à digérer son annonce de la conversation avec son père. J'ai vraiment la sensation d'une année test qui m'attend et je ne veux pas de ça, j'en ai des bouffées d'angoisse rien que d'y penser. Je veux toujours une maison avec toi... Je réponds d'une voix basse, un peu triste sans doute, anxieuse également malgré tous mes efforts pour le dissimuler. C'est pas vrai, ce n'est pas pour éviter une engueulade que je n'en ai pas parlé... C'était vraiment pour ne pas te blesser, je ne sais pas quelles mauvaises intentions tu me prêtes... Je soupire, je ne suis pas manipulatrice, enfin si, mais pas avec lui. C'est juste... Tu peux pas nier que ces dernières semaines n'étaient pas vraiment propices à la discussion.

Je dois être complètement malade parce que la jalousie farouche dont il fait preuve à l'égard de Rauera ne me met pas du tout en colère, en fait elle me rassure. Étant donné les circonstances, elle est la preuve qu'il tient encore à moi, qu'il me veut encore à lui. Il me touchera pas, Slavenko... Je me suis écartée, il sait bien qu'il peut plus me toucher comme ça... Seulement forcément, le mec qui m'a suivie allait pas photographier ça... Non, il avait pour mission de prendre des photos compromettantes. Je pivote pour lui faire face, tends une main pour la poser sur son bras. Je suis à toi, je n'ai toujours été qu'à toi et... Je t'assure que Rauera le sait... Sans doute mieux que personne, parce que même quand on aurait pu créer une vraie relation tous les deux, je n'ai jamais cessé de parler de Slavenko et d'espérer son retour. Je répète : Je suis à toi si tu me veux...

Non mais, ne pas vouloir s'engueuler est une raison valable à mes yeux, aussi valable que celle de ne pas me faire de peine. Ce n'est pas un reproche, juste une constatation. Je sais à quel point c'est usant de se disputer sans cesse. Je pense que si je n'étais pas blessé, apprendre qu'elle voyait Rauera me ferait imploser. C'est une évidence. "Des mauvaises intentions ? " Je répète surpris en levant les yeux vers elle. Je ne lui en prête pas, seulement Nina va toujours se réfugier dans des bras amis et surtout terriblement ambigus quand ça va pas. Comme moi je me réfugie dans la violence. "Je sais ça, je sais. Si mon père m'avait montré ça y a une semaine, tu sais que j'aurais pété un plomb..." En pleine tourmente dans notre couple, ce genre de photos aurait pu faire des dégâts. Je soupire, elle a raison je ne sais pas prendre de recul quand ça va mal. Je réagis tout de suite dans l'agressivité parce que c’est un mode de défense, de survie.

Je lâche mon verre et j'attire brusquement Nina contre moi, tant pis pour le geste brusque qui me fait mal. La serrer contre moi est indispensable à cet instant précis. "t'es à moi, je veux pas qu'il te touche. Je veux pas qu'il se croit encore autorisé à te toucher." Encore, j'ai bien compris qu'il avait eu certains droits en mon absence, mais j'espère vraiment qu'elle a remis les pendules à l'heure comme je l'ai fait avec Sonja. Je gronde farouchement, entre l'enfant exigeant et l'homme possessif. "On va chercher une maison, tu m'as à dispo un mois tout entier, autant le mettre à profit." J'ai un objectif bien dessiné devant moi, la reconquête complète de Nina et un rêve à réaliser. J'ai beau être blessé, je suis motivé pour l'atteindre, en mode bulldozer.

Je ne peux pas lui reprocher, après tout lorsque je l'ai vu avec Ymke j'ai moi aussi pété les plombs, et plus encore après avoir vu les messages qu'elle lui envoyait. Parce que contrairement à lui, j'ai réellement remis les choses à leur place avec Rauera, de façon assez violente pour lui je crois d'ailleurs, je n'ai pas été tendre, je n'ai pas pris de pincettes... Mais justement parce que j'ai bien senti qu'il pensait avoir certains droits sur moi. Or il n'en a aucun. Je sais, je t'assure qu'il l'a compris, et que je ne l'ai pas laissé faire... Seulement là-dessus je ne pouvais pas non plus lui coller une gifle parce qu'il a glissé une main dans mes cheveux ! Notre relation était très... tactile, à New-York et certaines habitudes sont difficiles à perdre. Je n'ai pas le droit de juste le rejeter en bloc parce que Slavenko est de retour dans ma vie, ce ne serait pas juste pour lui. Mais ne pas le laisser me toucher, ça je peux faire.

J'ai un couinement de surprise quand il m'attire à lui, je ne m'y attendais tellement pas que je sursaute presque en me retrouvant sur ses genoux. Dans un éclair de lucidité, j'essaie de ne surtout pas m'appuyer sur sa blessure, évitant soigneusement le côté de son ventre où il est blessé. Ses élans de possessivité me font vibrer toute entière, et pour la première fois depuis qu'il a été touché le désir gronde dans mon ventre. Je m'efforce de le faire taire parce que je sais qu'on ne peut rien faire encore, et je souffle d'une voix rauque : Personne ne me touche, seulement toi... Je n'ai jamais voulu que ses mains sur ma peau, et même dans les bras des autres, c'est son odeur que je cherchais sans cesse. Je glisse une main sur sa nuque, plonge mes doigts dans ses cheveux. D'accord mon amour, on va chercher une maison... T'auras largement le temps de fouiller tous les recoins d'internet pour nous en trouver une... Et dès que tu marcheras un peu mieux, on ira visiter, mh ?

Alors, les hommes qui côtoient Nina, moi le premier, ont souvent du mal à comprendre le message de la laisser. Oh, je me risquerais pas à analyser le pourquoi du comment mais c'est un fait. On ne renonce pas si facilement à elle, j'en sais quelque chose, je n'ai jamais pu l'oublier. Alors je ne suis pas du tout sur qu'il ait compris, malheureusement je sais aussi que je ne peux pas insister, Nina se braquerait. Disons que je fronce les sourcils, pas convaincu et surtout enragé de ne rien pouvoir faire en l'état. Je grogne, dépité "tu es trop convoitée srce i ti si moje zlato !"

Je me moque bien d'avoir mal si c'est pour la serrer contre moi, je me fous de ma blessure, je reste accroché à elle, mes mains glissant sous sa nuisette pour toucher sa peau de soie. "Je peux marcher... En plus Dimitri t'a prêté une voiture." Durant toute ma convalescence, je vais seulement toucher la prime minimale pour les Tigrovi, c'est pas avec ça que je vais faire fortune, mais je réfléchis déjà à pouvoir faire du pognon autrement. Le problème c'est que j'ai besoin de récupérer physiquement, tous les boulots que je fais sont physiques, je ne sais rien faire d'autre que me battre ou intimider ou ce genre de truc... Je crois que je vais attendre un peu avant de racheter une caisse. La maison passe avant. Je me niche contre Nina, ma tête entre son ventre et ses seins. Je n'ai absolument plus faim de nourriture, seulement de m'enivrer de son odeur et de son contact. Je suis encore en manque de ces derniers jours beaucoup trop chaotiques et surtout beaucoup trop loin d'elle. "Je mangerais plus tard, viens avec moi dans le divan"

Je n'arrive pas à me faire à l'idée que je suis convoitée, comme il le dit si bien. J'ai trop longtemps été une sorte de propriété publique que tout le monde pouvait s'offrir à sa guise contre quelques dollars qui ne finissaient même pas dans mes poches. J'ai tendance à penser que ce n'est pas moi, que tous les hommes sont ainsi, avec toutes les femmes. Si j'analyse un peu pourtant, je sais bien que mon comportement peut être assez.... Disons ambivalent, peut-être ? D'avoir été trop souvent utilisée contre mon gré, je sais être très dissuasive et même agressive, féroce envers les hommes qui me manquent de respect ou posent trop facilement les mains sur moi. En revanche il suffit d'y mêler de l'affect et là je perds mes moyens. Non pas que je songe à tromper Slavenko, jamais de la vie, mais j'ai beaucoup de mal à repousser les gestes tendres, les attentions qu'on peut avoir à mon égard, je suis encore trop souvent naïve sur le sujet, et j'en ai surtout trop manqué dans ma vie je crois. Pourtant je trouve ça incroyable qu'il ne réalise pas à quel point il ne peut y avoir que lui, à quel point les autres m'indiffèrent en comparaison de l'effet qu'il me fait. Son souvenir est si profondément gravé dans ma chair que j'ai halluciné sa présence à mes côtés durant des semaines, qu'il a hanté mes rêves chaque jour qu'a duré son absence...

Ma peau frémit bien trop fort au contact de ses doigts, toujours brûlants contre moi. Je ferme les yeux quelques secondes, fourre mon nez dans ses cheveux pour inspirer son odeur. Je ne suis pas du tout certaine qu'il puisse marcher, à mon sens c'est encore trop tôt mais je ne veux pas le braquer alors je me tais. Je me contentais de réserver les visites plus tard, il n'y verra que du feu. Je ne résiste pas à son appel et me lève pour qu'on abandonne les tabourets au profit du canapé-lit. Dieu que je suis triste quand je songe qu'il ne pourra pas me soulever dans ses bras avant longtemps ! Je le laisse s'allonger le premier, et je viens me couler contre son flanc, mes mains remontant vers ses épaules. Je pose mon front sur le sien, gronde tout bas, sans réelle conviction puisque je l'ai laissé me berner. Tu n'as rien mangé depuis hier... Faut que tu reprennes des forces moja duša...