Starting all over again - Slavina

6 mars ; 09h12

Faute d'avoir bien voulu laisser Slavenko conduire, je suis installée sur le siège conducteur, les yeux rivés sur la route rendue à peine visible à cause de la pluie battante qui se fracasse sur le pare-brise. Je ne connais pas le pays, encore moins la route, et la voiture de Dimitri a beau être équipée d'un GPS, je dois avouer que je peine quand même à trouver mon chemin. Heureusement, Slavenko me sert de copilote. Je crois aussi que les visites me rendent légèrement anxieuse. J'ai fait pas mal de recherches, mais je n'ai à priori pas vraiment eu de coup de cœur... Or c'est un achat important, et donc ce n'est pas un choix que je veux faire à la légère. Bien-sûr j'ai trouvé des villas absolument magnifiques, luxueuses au possible qui m'ont fait rêver durant quelques heures... Mais en toute honnêteté je ne m'imagine pas y vivre. La plupart d'entre elles sont beaucoup trop grandes, et c'est sans doute plaisant pour des vacances mais pas pour y habiter à l'année ! Qu'est-ce que je ferais d'une baraque pareille, pour nous deux en plus, je n'aurais même pas la patience de l'entretenir ! J'ai un peu perdu espoir durant mes recherches en finissant par me dire que le seul moyen d'avoir quelque chose qui me plaise vraiment, ce serait d'acheter un terrain et de faire construire dessus... Mais là, je ne suis pas sûre d'en avoir la patience, ça prend beaucoup trop de temps.

Donc, je me suis finalement arrêtée avec moi-même sur un compromis... Trouver une bâtisse qui me plaise, et envisager d'éventuels travaux à l'intérieur pour en faire quelque chose qui nous ressemble mieux. La première visite est à trente minutes de Sarajevo, mais de ce que j'ai pu voir sur les photos c'est déjà la campagne... Et ça je dois admettre que ça me plaît, j'ai envie qu'on soit au calme. Pestant une fois de plus contre la météo, je préviens : Si y a pas de cheminée, on en fera installer une... Il fait trop froid dans ce pays.

Le GPS m'indique que nous sommes presque arrivés, et on emprunte un chemin boueux, qui en été doit être recouvert d'herbe, pour se garer dans l'allée qui jouxte une jolie maison aux airs de chalet. Je me gare, et me penche par-dessus le slave pour récupérer mon sac à main. Comme je suis une femme très organisée, j'en sors les papiers que j'ai imprimés pour annoncer d'emblée : Alors voyons il y a... Trois chambres, et deux salles de bain, c'est parfait non ? J'ai un sourire en levant le nez sur l'immense jardin. Bon, il n'y a pas de piscine mais... Il y a largement la place. On y va ?

Je suis heureux de sortir et je n'ai presque pas râlé parce que je n'avais pas le droit de prendre le volant. Je vais bien mieux et même si je marche encore avec précaution, et pas des distances faramineuses, je n'ai plus besoin de rester cloitré, c'est ce que j'ai essayé de faire comprendre à mon dragon de femme. Elle n'a cédé que parce que ça concerne une maison à visiter et qu'elle est avec moi. "Il fait meilleur qu'à NY zlato, sois pas mauvaise langue, en ce moment ils sont en train de se peler les couilles sous de la neige et du verglas." Ici, même s'il pleut, on a un joyeux 10° !

Sur le chemin, je clope, sans me rendre compte d'un détail que je ne remarque que lorsqu'elle me signifie que nous sommes arrivés. "c'est ici ?" Je dois afficher un air désolé. La maison est jolie et le coin on ne peut plus sympa, j'aime bien la campagne surtout quand elle se trouve seulement à 30mn de la ville. "Non mais elle a l'air parfaite srce et c'est bien le genre que j'aime mais... Elle est pas du bon coté ! " Non je ne parle pas de Feng shui ! "On n'est pas dans a bonne fédération, on n'est pas en Republika Srpska." Ai-je dit que j'étais têtu voire borné sur le sujet ? Pourtant c’est à peu près ma seule exigence avec le fait que je veux une maison.

Comme je peux être têtue moi aussi, je réponds d'un ton boudeur : Il fait plus froid qu'en Louisiane. Rappelons quand même qu'à la base, je ne suis pas new-yorkaise, j'ai beau y avoir vécu plusieurs années, ce n'est pas là-bas que j'ai grandi et ce n'est pas à ce genre de températures que je suis habituée. Je suis cela dit toute contente de ma trouvaille, et je cille en fonçant les sourcils quand il me dit qu'on est hors secteur. Tu plaisantes ? Je me tourne vers lui en écarquillant les yeux. Mais enfin tu pouvais pas le dire quand j'ai rentré l'adresse dans le GPS ? Ou mieux, avant que j'appelle pour visiter ! Je ne lui crie pas dessus hein, loin de là, mais je suis vraiment déçue d'être venue pour rien... Je soupire, parce que dehors devant la voiture, la nana de l'agence nous salue de la main. Bon ben tant pis, on va faire la visite quand même, on va pas lui dire de faire demi tour maintenant.

"Il fait plus froid partout qu'en Louisiane, ribica, si tu vas par là ." Je me moque gentiment d'elle, mon petit poisson tropical. "Tu sais quoi ? Peut-être qu'on peut partir quelques jours au soleil avant que je reprenne le taf ? Non ? Je peux prendre l'avion là, j'ai cicatrisé..."

Je souris et lève la main pour saluer l'agence immobilière qui apparaît plus loin dans mon champ de vision comme me l'a fait remarquer Nina. "Oui, on va y aller, j'aime bien ce genre de baraque, comme ça on verra ce qui est bien ou pas. Désolé mais j'ai pas fait gaffe à l'adresse..." Je pensais qu'on était d'accord sur le principe et j'ai mal évalué le fait que Nina s'emmêlait les pinceaux avec la géographie et l'histoire de mon pays compliqué. "Il faut plutôt cible le Sud, Sud-Est de Sarajevo moj andjeo...Je ferais plus attention la prochaine fois." Je m'extirpe de la voiture avec moins de difficultés qu'on pourrait penser. Je marche lentement, d'un air précautionneux mais je m'échauffe à chaque pas et franchement, je me sens bien aujourd'hui. Pourtant il pleut et je ne me sens pas de me mettre à courir pour me foutre à l'abri.  "va te mettre à l'abri zlato, je te rejoins" Moi je vais à mon rythme, ce qui me permet de regarder la maison dans son ensemble. c'est vraiment dommage qu'elle soit mal située, parce qu'elle me plait beaucoup au premier coup d’œil.

Une partie de moi regrette toujours la Louisiane, peut-être de la même façon que Slavenko a pu regretter Sarajevo... Mais moi je n'ai pas de famille qui m'attend là-bas. J'aurais voulu pouvoir l'emmener avec moi lorsque j'y suis enfin retournée après tous ces mois à me cacher, tétanisée par la peur. C'était un voyage salvateur et nécessaire à ma reconstruction, vraiment, les choses ont été différentes après mon retour. Je fronce les sourcils. T'es censé être en convalescence... Tu crois que les Tigrovi vont accepter que tu partes en vacances au lieu de revenir bosser ? Je n'en suis pas sûre du tout, d'autant que ça conforterait son père dans l'idée que je le tiens éloigné de son objectif, de ses missions... Bref, je ne m'emballe pas encore même si bien-sûr, la proposition est tentante.

Je fronce le nez, dépitée d'avoir chopé une baraque du mauvais côté de la frontière. Oui ben écoute quand j'ai cherché frontière RS sur Google il a même pas compris ce que je demandais ! La prochaine fois tu me feras une carte, hein... J'espère que la deuxième maison est au bon endroit... Je soupire et ouvre la portière pour poser mes bottes dans la terre boueuse en sortant de la voiture. Je presse le pas jusqu'à être à l'abri, à côté de l'agent que je salue, en serbe s'il vous plaît, avant de me tourner vers Slavenko qui avance vers nous, doucement mais sûrement. L'entrée est abritée par la terrasse de l'étage au-dessus, mais on entre rapidement à l'intérieur dès que le slave nous a rejoint, parce qu'il fait pas un temps à rester dehors. On se retrouve directement dans le salon, plutôt grand avec de larges fenêtres qui donnent sur l'immense terrain qui fait le tour de la maison. C'est dommage, ça aurait fait un joli jardin...

"Pourquoi pas ? Je peux être en convalescence partout...j'suis pas obligé de rester à la maison." Surtout pas, je commence à aller mieux et donc je commence à ronger mon frein parce que je suis encore limité par ce que je peux faire mais je ne dors plus toute la journée et je m'ennuie fermement. Nina passe le plus de temps possible avec moi et de ça je lui suis reconnaissant. Pourtant elle doit bien sortir, s'occuper de son affaire, faire des courses aussi, et moi je suis inutile. C'est ce sentiment d'inutilité qui m'insupporte. Je préfère être mort qu'inutile ! Bon sauf que le second état ne sera pas permanent normalement, ha ha.

Durant la visite, je colle Nina, comme souvent dans ces cas là. Mon pas emboite le sien et ma main se pose sur son cou, en contact intime. Je pose des questions à la femme e l'agence de voyage, en me montrant aimable et curieux. Je peux être très sociable si je veux ! C'est vrai que la maison est joli, fonctionnelle et le terrain agréable. Elle est dans un village mais la maison n'est pas collée à d'autres et j'aime bien qu'elle soit indépendante. C'est vraiment dommage qu'elle soit du mauvais coté mais je n'ai pas envie de faire de compromis là-dessus. Ce serait aller à l'encontre de mon idéologie. Je me penche sur Nina qui regarde dans le jardin avec un petit air dépité et je souffle en anglais "on trouvera l'équivalent, j'aime bien ce genre en tout cas"

Comme il semble tenir à l'idée, je plisse le nez, demandant d'un ton mutin : Hum... Alors on peut partir à Bali ? Comment expliquer à quel point j'ai dérivé lors de mes recherches de logement ? Je ne sais même pas comment c'est possible ! Je crois que je voulais trouver des photos de maisons typiquement slaves sur pinterest, et une chose en entraînant une autre, j'ai vu passer une photo d'une villa absolument incroyable... En Inde, ok. Et je crois que c'est là que je me suis demandée "tiens, et là-bas, ils ont quoi comme maison ?" Et là vous n'imaginez pas les locations de vacances complètement dingues sur lesquelles je suis tombée ! Oui, je sais, je suis passée de maisons à acheter à locations de vacances, bon, on fait ce qu'on peut. Cela dit je suis assez lucide sur ce qui est possible ou non, donc je demande, plus raisonnable : Non, franchement, où est-ce que tu voudrais aller ? Y a quoi comme coin ensoleillé pas trop loin d'ici ?

Depuis qu'on a crevé l'abcès et qu'il a pu parler avec son père, on a retrouvé une forme de complicité qui me manquait beaucoup. Je vibre de joie seulement parce que ses mains me touchent, que son corps est près du mien, que sa chaleur m'enveloppe sans qu'il ait besoin de me serrer contre lui. Je suis attentive durant la visite mais je m'efforce de ne pas y mettre trop d'émotionnel, pour ne pas attiser un peu plus la déception, je sais bien qu'on ne vivra pas ici. Je ne tiens pas à faire de concessions sur le lieu parce que c'est vraiment hyper important pour moi, depuis toujours, qu'il s'implique dans ce genre de choix. Il a déjà très peu d'exigences alors je peux vous assurer que j'ai l'intention de toutes les respecter à la lettre. Je m'en fais pas, j'en ai trouvé plein des maisons, on finira bien par tomber sur une qui nous plaise à tous les deux. Je souris, profite que l'agent immobilier tourne le dos pour l'embrasser sur la joue.

"Hummm Bali !" Je ris brièvement mais je suis sérieux en fait "Tu as vu la vague de froid sur l'Europe ? Y a du soleil au Sud mais les températures restent fraiches." Je note son air surpris "ouai bon je m'ennuie alors je regarde la tv, srce...y a la météo. ça m'occupe." J'ai parfois de la visite de mes amis, de Camenko, mais je suis aussi souvent seul ou à ruminer et je n'ai jamais autant regardé la tv qu'en ce moment !

"Je m'en fait pas srce, on a aussi la possibilité de construire si on ne trouve vraiment rien. Et vu comme tu retournes la région, non je ne m'inquiète pas." J'ai un autre léger rire et mon regard la caresse quand elle m'octroie un baiser volé. Je laisse l'agent immobilier emmener Nina visiter l'étage, renonçant à me taper les escaliers alors même qu'on sait déjà qu'on ne prendra pas cette maison. Je préfère fumer une clope sur la terrasse à l'abri de l'avancée du toit. Je me surprends à nous projeter Nina et moi en train de faire un barbecue dans le jardin et dans cette image étrange, elle est enceinte, son ventre arrondi dans une robe à fleurs. Bon Dieu, je débloque complètement je crois. Un petit peu perturbé par cette "vision", je dévisage Nina d'un drôle d'air quand elle revient de l'étage. L'intervention de la femme de l'agence est bienvenue et on explique que je préfèrerais une situation géographique en RS, je peux le permettre, elle est serbe. Elle nous propose aussitôt une autre maison, et nous dit qu'elle peut nous la faire visiter maintenant. Je consulte Nina du regard. Tout le monde sait qu'elle porte la culotte dans notre couple... quel dommage d'ailleurs, je la préfère sans !

J'écarquille les yeux, une lueur d'excitation complètement enfantine envahissant soudain mon regard... Et qui me connaît sait qu'il est dangereux de me voir avec cet air-là sur le visage. Quoi c'est vrai ? Tu voudrais aller à Bali ? Qu'on se le dise, ce n'est pas une destination à laquelle j'avais songé dans ma vie avant la semaine dernière, mais depuis les photos hantent mon esprit de façon très dérangeante. Je savais que c'était une bonne idée de te trouver une télé avant que tu rentres... Je regrette de ne pas pouvoir faire mieux que ça, mais je suis vraiment là autant que je peux, c'est-à-dire souvent. Il vaut mieux que je sorte de temps en temps malgré tout, autrement il finirait par en avoir assez de moi. Cela dit je reviens sur le sujet qui nous intéresse, et lance sans réfléchir : Mais Bali c'est juste... C'est paradisiaque... Si on va à Bali maintenant, où est-ce qu'on ira en voyage de noces ?

Je n'ai pas le temps de lire la réaction sur son visage, l'agent immobilière revient vers nous et m'entraîne à l'étage. J'adresse un sourire à Slavenko avant de disparaître pour visiter les chambres. La maison est jolie, c'est vrai, et j'arrive à me projeter ici mais je ne tombe pas amoureuse du lieu non plus, alors ça va... Ouais je suis une grande romantique dans l'âme moi aussi, j'aimerais avoir un coup de foudre pour un endroit et me dire de suite "je veux qu'on vive ici". Contrairement à ce qu'on pourrait penser, je ne cherche pas un truc hyper luxueux. J'avais eu ce coup de cœur total pour le chalet, alors que lors de ma visite il tombait en ruines et que tout était à faire. Mais j'étais parvenue à me projeter, vraiment.

Quand on redescend, Slavenko m'épargne l'embarras d'expliquer qu'on a visité pour rien, et finalement on trouve un compromis avec une autre visite. Je hoche la tête, très enthousiaste, j'adore visiter des baraques, je pourrais faire ça toute la journée. Avec plaisir, on va vous suivre en voiture. La femme hoche la tête, visiblement satisfaite de ne pas totalement perdre sa journée, et nous entraîne donc à l'extérieur en refermant derrière elle. Elle commente encore une fois en disant que c'est dommage parce que la situation de cette maison est exceptionnelle, et finalement nous explique rapidement où se trouve l'autre. On remonte en voiture, et je m'installe une fois de plus au volant.

Je reste bouché bée à la réflexion de Nina et mon cœur s'emballe trop fort mais je n'ai pas le temps de répondre. C'est beaucoup trop intime pour que je risque à demander confirmation devant la femme de l'agence immobilière ! Mais après faut pas s'étonner que mon cerveau imagine des trucs complètement fou.

Dans la voiture je garde le silence, ruminant mes drôles de rêves et je me sens...tout chose ! Ce qui se traduit par le fait que je pose ma main - lourde et possessive - sur la cuisse de Nina. Ma chaleur contre la sienne. "Prends des billets pour Bali srce... En fin de semaine ou la semaine prochaine. Je ne pense pas reprendre le taf avant fin mars" Le temps que ma femme s'enthousiasme, je pense à autre chose et j'ajoute d'un ton badin pas du tout innocemment, pour tater le terrain sans doute, pour voir si c'était une plaisanterie ou pas "Parce que en voyage de noces, j'ai pensé...on pourrait se faire un safari photo au Mozambique...Pour voir les bestioles, et puis y a Zanzibar à coté, ça va souvent ensemble, avec la mer et tout..." Oui j’appâte éhontément mon poisson tropical. Tout pour qu'elle soit à nouveau ma femme. J'en rêve quasiment toutes les nuits depuis que je me suis fait tiré dessus: d'une demande au milieu de pétales rouges sang.

En réalité sans le savoir, on tâte le terrain tous les deux. Lui pour deviner s'il a halluciné ou non, moi pour tenter de savoir s'il veut toujours m'épouser ou s'il a accepté sous le coup de la douleur. Je me dis que son ego a peut-être été trop profondément blessé par le divorce pour qu'il veuille qu'on se remarie déjà, et que la conversation avec son père a peut-être refroidi ses ardeurs... Je n'ai pas osé aborder le sujet à nouveau depuis qu'il s'est fait tirer dessus, et je dois admettre que là, ici et maintenant, ce n'était peut-être pas le moment idéal pour le faire.

Je n'ai pas encore démarré quand il pose sa main sur ma cuisse, et la chaleur qui m'envahit toute entière me fait songer que finalement, je n'aurais peut-être pas enchaîné tout de suite sur la seconde visite... Il revient sur le thème des voyages et mon coeur s'emballe quand il me demande, très sérieusement, de réserver les billets d'avion pour Bali. Je songe que je ne pourrais pas être plus heureuse que ça quand il enchaîne sur le voyage de noces. J'ôte ma main du volant pour me tourner vers lui, le regard brillant. Je n'ai soudain plus du tout envie de plaisanter. Cette fois non plus, ce n'est pas le lieu idéal, ni le moment, mais je ne peux pas m'empêcher de parler maintenant. Tu veux toujours m'épouser...? Je n'imagine pas vraiment qu'il ait pu oublier la scène en fait ! Je le pensais tu sais... Je veux dire... Je sais que c'était sous le coup de l'affolement, et parce que je croyais que j'allais te perdre... Mais j'ai réfléchi et je le pensais... Je ne veux plus passer une seule journée sans porter ton nom... Comment ça c'est moi qui ai voulu le divorce ?

Je vais mourir d'amour pour cette femme. Là tout de suite, fondre sur le siège et m'évaporer, il ne restera rien de moi qu'un tas de guimauve dégoulinante et trop sucrée, mélasse rose et collante sur le tissu. "Ah...je croyais...je savais pas trop si j'avais halluciné ou pas. Rêvé...." J'ai un petit rire pour cacher l'émotion qui me serre les tripes, m'oppresse d'amour, ma main pétrissant sa cuisse dans un geste involontaire. "Je t'avais dit que ce serait à toi de me demander en mariage, mais je ne pensais pas que tu choisirais ce moment là !" Pourtant cette demande me hante depuis, persistance, revenant sans cesse dans mon esprit comme si mon cerveau essayait de me dire que je n'avais pas rêvé. "C'était...c'est la plus belle demande que tu pouvais me faire."

On suit la voiture de l'agent immobilier, difficile de s'arrêter pour se bécoter ou baiser. Je vais devoir faire avec les bouffées intempestives d'émotion qui explosent à l'intérieur de moi sans qu'elles trouvent de buts concrets, c'est foutrement perturbant. Je ne sais pas faire autrement que transformer les émotions en désir sexuel ou en colère violente mais là je ne suis pas du tout en colère, je flotte de joie comme si je venais de me faire un shoot d'héroïne. Je suis complètement à coté de mes pompes du coup, les pupilles dilatées et le sourire niais. "Je...j'ai du mal à pas te voir comme ma femme tu sais." Je parle sans cesse d'elle comme ça parce que je n'arrive à me faire qu'elle serait juste ma copine. Déjà dans le Bronx au bout de deux semaines, ça me démangeait. L'alliance à mon doigt me manque terriblement, même si la présence du bracelet si symbolique compense un peu. Je me risque toutefois à demander de ce ton prudent et bas, plein de peur et d'espoir aussi. "Je veux que tu portes mon nom mais tu crois que tu vas te faire à celui de Drazavic ?" C'est une question délicate parce que ça sous entend qu'elle va devoir faire avec ma famille, ce qui n'est pas exactement le bon moment vu leur entente actuelle.

J'aurais dû me douter, pourtant, qu'il y avait des chances pour qu'il ne s'en souvienne pas, il est tombé dans les vapes quasiment instantanément après ma demande ! D'ailleurs j'aurais presque pu penser que j'étais la cause de son évanouissement, mais il était en train de se vider de son sang alors c'était finalement assez peu probable. Je secoue la tête, une moue désolée aux lèvres. Je ne pensais pas le faire à ce moment-là non plus. En fait pour être honnête je ne pensais pas te demander en mariage, je comptais attendre indéfiniment que tu te décides à le faire toi-même. J'ai un sourire amusé pour dédramatiser un peu mes propos, je crois qu'en fait ça n'aurait jamais été le moment... Je voulais que ce soit parfait, qu'on aille mieux, qu'on soit guéris mais on ne le sera jamais tout à fait. Et puis j'ai cru... Je t'ai vu comme ça et... Je n'ai plus voulu attendre. Je ne sais pas si ça fait sens, est-ce que ça rend ma demande moins belle, moins légitime parce qu'il était en train d'agoniser ?

Je finis par démarrer la voiture parce que je n'ai pas vraiment le choix, mais moi aussi j'ai un peu de mal à me concentrer du coup. Je lui jette régulièrement des regards en coin, pour m'assurer qu'il sourit toujours je crois. Moi aussi, j'ai du mal à ne pas me voir comme ta femme... Mais j'avais besoin de ça... Et je sais que tu ne le comprendras sans doute jamais... Mais je suis... Je sais pas... apaisée de me dire qu'on va pouvoir repartir à zéro, tu vois ? Un nouveau mariage pour une nouvelle vie... On croirait le nom d'une émission tv. La question qu'il me pose ne me surprend pas tellement, j'ai eu le temps d'y penser depuis ma demande improvisée figurez-vous et ça ne m'effraie plus tellement. Bien-sûr, je m'y ferais puisque c'est le tien...

J'ai un sourire en coin, et malgré le coté toujours dramatique, si sérieux de notre relation, je parviens à plaisanter, la gorge nouée d'émotions. "T'es drôlement romantique srce..." C'est une plaisanterie éculée entre nous quand elle se moquait de moi pour cause de romantisme intempestif alors qu'elle était beaucoup plus terre à terre, quand je voulais des cœurs, des pétales de roses et des arc-en-ciel dans ses cheveux. Je souffle - un peu timide malgré moi parce que étant l'homme elle a raison, j'aurais du faire la demande, mais dans tous les cas je ne m'y serais pas risqué avant des lustres, et surtout pas en me pointant la gueule enfarinée après des jours de dispute et seulement mon ego en bandoulière et un bouquet de fleurs. j'aurais quand même pas osé ! "Je la trouve parfaite ta demande..."

Je suis soulagé qu'elle ressente la même chose que moi, qu'elle s'imagine toujours comme ma femme. J'ai eu souvent la sensation trop présente de la perdre un peu plus chaque jours, comme si elle ne s'était remise avec moi que pour se guérir avant de s'envoler ailleurs pour être enfin heureuse. J'ai eu peur de ça bien des fois, je dois le confesser. Non pas que je pense qu'elle soit manipulatrice, pas du tout, mais ça aurait plutôt été un mécanisme inconscient. "si c'est pour repartir de zéro ensemble, ça me va très bien zlato." Et elle me sort la plus belle déclaration d'amour du monde, qui me scotche littéralement, fait rougir mon cou, mon visage, me fait ciller méchamment jusqu'à ce que je puisse essayer de contrôler cette vague d'amour furieux et de gratitude qui menace de me faire déborder. "Volim te moj andjeo." Plus que tout au monde.

Je plisse le nez, gênée quand il me taxe de romantisme parce que je ne suis pas sûre que ce soit du romantisme. J'ai cru qu'il allait mourir. Il ne peut pas s'imaginer à quel point j'ai eu peur en voyant la balle le faucher, quand il s'est effondré dans mes bras, blême. J'ai cru que c'était la fin, qu'il rendait son dernier souffle, qu'on ne le sauverait pas. Et même si dans tous les cas je ne m'en serais pas remise, j'ai cru qu'en plus il allait mourir sans que plus rien ne nous lie aux yeux de la loi, de ce Dieu auquel je ne crois pas, de sa famille, du monde. Il allait mourir et je ne portais plus son nom, nous n'étions plus mariés. C'est la pensée la plus douloureuse qui m'ait jamais heurtée. Je n'ai pas eu le temps de réfléchir, je n'ai pas eu besoin de me raisonner. Mon angoisse, mon amour ont parlé pour moi et j'ai décidé, après coup, même maintenant qu'il est hors de danger, de les écouter pour une fois. Bon, ok, ça peut-être que c'est romantique.

On me traitera sans doute de folle, et je suis convaincue que sa famille ne se gênera pas pour le lui faire savoir. Quelle femme demande le divorce pour se remarier quelques semaines plus tard seulement ? Personne ne semble capable de comprendre que j'avais besoin de ça pour tirer un trait définitif sur les blessures qu'il m'avait infligées. Je n'aurais jamais pu être heureuse dans ce mariage qu'il avait bafoué, je ne faisais que ressasser toutes les promesses qu'il avait trompées. Cette fois je peux m'imaginer que ce sera différent... C'est sans doute naïf de ma part, je sais.

Il devient rouge pivoine quand je lui assure que je prendrais le nom de Drazavic, et malgré le sourire amusé, légèrement moqueur qui étire mes lèvres, mon cœur s'affole douloureusement. Je souffle du bout des lèvres : Mais Kovacs c'était plus joli, je trouve... Cela dit là aussi, le fait que ce soit un nouveau nom fait comme une vraie coupure avec l'avant. Je mordille ma lèvre inférieure, amusée quand je lance : Du coup c'est vrai que je mérite bien un voyage à Bali.

Moi aussi j'imagine notre prochain mariage différent. Déjà je me projette beaucoup plus. Ne sommes nous pas en train de rouler vers une maison à visiter pour l'acheter, et je me fais même à l'idée d'une famille comportant un bébé. Disons que même que l'idée commence à s'imposer méchamment. Peut-être bien à cause du fait que j'ai failli crever. J'ai gagné en maturité même si je suis toujours cet être bancal qui ne sera sans doute jamais tout à fait normal aux yeux de la bonne société. Aujourd'hui j'en ai conscience et ça m'aide à relativiser pas mal de situations. C'est grâce à Nina que j'ai pu évoluer, je le sais parfaitement.

"C'était pas mal Kovacs..." J'ai porté ce nom vingt ans, je ne vais pas le renier d'autant que c'était celui de ma mère. Seulement, ce n'est pas un nom serbe, mais un nom hongrois, et je me sens serbe, je suis serbe, ce serait impensable de ne pas porter le nom de mon père, de ma famille, ici à Sarajevo. Je m'adoucis, reprenant contenance. "C’est vrai, ce sera un voyage de fiançailles ? Ça se fait aussi non ?" Nina suit toujours l'autre voiture et on aborde Sarajevo qu'on traverse pour repartir au Sud. "On va vers Lukavica..."

Un voyage de fiançailles, Dieu que l'idée me plaît. Je ne me souviens pas de la dernière fois que je me suis sentie à ce point transportée de bonheur. Et c'est triste de le réaliser encore une fois, mais il semblerait qu'on ait toujours besoin de se faire beaucoup de mal pour se retrouver enfin. De penser à Bali, j'ai les yeux qui brillent. Je crois que je sais où je veux qu'on dorme à Bali, j'ai trouvé une maison complètement dingue, digne d'un film j'te jure. Je te montrerais les photos et tu me diras si ça te plaît. J'ai envie de celle-ci parce qu'elle est tout bonnement surréaliste mais si elle ne lui plaît pas, il y a des tas d'autres locations absolument sublimes là-bas. On dirait qu'elles ont toutes été conçues pour des voyages romantiques. Et c'est en prime bien moins cher qu'une chambre d'hôtel ! Je me tourne légèrement vers lui, un sourire ému aux lèvres. On réserve quand on rentre, hm ?

Je reporte mon attention sur la route mais rien ne m'est familier et je fronce légèrement les yeux. Tu sais j'aimerais bien quelque chose d'un peu en retrait comme la maison qu'on vient de visiter. Pas aussi perdue que le chalet, mais à la campagne comme ça... Ça me plairait bien. Pouvoir s'éloigner de la ville en rentrant chez soi, souffler un peu aussi. Ce qui est sûr c'est que je veux un jardin. Pas forcément très grand. Mais je veux pouvoir vivre dehors, faire des barbecues, avec un peu de chance installer une piscine un jour puisqu'il m'assure qu'il fait chaud en été. Et toi, à part la localisation, des exigences ?

"ok, y a pas de raison que ça me plaise pas srce, avec tes goût de poisson tropical de luxe, ce serait être difficile ! J'imagine déjà un truc immense les pieds dans l'eau et des jacuzzi partout. Non ?" Je ne pense pas me tromper de beaucoup ! "Ouai, oui, on s'occupe de ça ce soir ! Est-ce qu'il fait beau au moins à Bali en ce moment ?"

"Humm j'ai envie d'un jardin, c'est pour ça que je veux une maison. Du bon coté, ouai, mais quand même pas trop loin de Sarajevo, j'aime bien la ville aussi... C'était un peu loin là non ? On pourrait trouver quelque chose d'isolé des voisins mais pas trop à perpet' land...j'sais pas. Tu aimes l'ambiance village ? Comme chez mon cousin ? Après j'aimerais bien un grand salon avec une cuisine américaine, mais ça encore ça peut s'arranger avec des travaux " Alors ? Qui arrive à se projeter et à faire des choix !? C'est bibi ! Ça vous épate ça hein ?! Non mais je suis à fond !

On arrive dans un quartier dans la banlieue sud de Sarajevo et l'agent immobilier se gare. C'est plus une petite ville qu'un village mais rien de comparable avec NY. Ici ce sont de petits pavillons résidentiels dans un quartier très calme. La femme de l'agence nous attend devant un portail et des haies hautes encadrent le terrain de la maison qui se cache renfoncée d'une dizaine de mètre derrière une petite allée. Une fois le portail ouvert, Nina peut s'engager dans l'allée et il y a de la place pour se garer. Au premier coup d'oeil la maison me plait.

​Je dodeline de la tête, un sourire amusé aux lèvres. Immense pas forcément, après tout est démesurément grand dans les locations à Bali... Mais les pieds dans l'eau, oui. En revanche les jacuzzis y en a pas tant que ça figure-toi, il fait trop chaud pour ça ! Je plisse le nez. En ce moment il fait une trentaine de degrés, mais c'est la saison des pluies. C'est pas très grave, en gros y a grand soleil la majeure partie de la journée, et juste de grosses averses le soir. Ca ne refroidit pas vraiment l'air, il suffit de rester à l'intérieur le temps que ça se calme et je sais déjà parfaitement comment on pourra s'occuper ! J'ai pas trouvé exactement ce que je voulais... J'aurais voulu vivre dans l'eau, avec une piscine au bord du lit et tout ! Mais on va devoir se contenter d'une piscine dehors je crois... Je soupire, exagérant ma déception pourtant réelle !

Vous n'imaginez pas à quel point mon regard s'éclaire quand il me fait la "liste" de ses exigences. En tout cas il a plein d'idées et c'est juste complètement dingue parce que déjà à New-York c'était tout l'inverse, mais même il y a six mois quand on a cherché un appartement il semblait s'en foutre royalement. Je crois que j'irradie de bonheur, un sourire complètement niais aux lèvres. 30 minutes ça me semblait pas si loin mais d'accord, je vois ce que tu veux dire. Je secoue la tête. Chez ton cousin c'était vraiment beaucoup trop paumé. Je ne sais pas comment c'est en été cela dit mais non, je ne pourrais pas y vivre à l'année, c'est sûr. Des travaux on en fera quoiqu'il arrive, je t'ai dit que je voulais une maison.... personnalisée. J'ai un ami architecte, autant en profiter non ?!

​Je me gare derrière l'autre voiture et plisse les yeux, en mode enquêtrice. La maison est jolie mais elle ne me plaît pas énormément non plus, moins que celle de tout à l'heure en tout cas de l'extérieur. Je tourne la tête vers Slavenko pour guetter ses réactions avant de sortir de la voiture. L'agent immobilière nous accueille à nouveau avec un grand sourire, en balançant que la maison fait 220m² et le jardin 1000m². J'écarquille les yeux, ça doit être de l'autre côté parce que depuis l'allée, on dirait pas ! Elle cherche les clés et nous fait entrer dans une maison à la décoration ultra-kitsch, et je songe directement qu'il faudra refaire tous les sols, et tous les murs. Ouais non, au premier coup d’œil je ne suis vraiment pas fan. ​La pièce principale est grande, avec de jolies poutres apparentes, et un bar en pierres pour la cuisine. J'avance un peu, plisse le nez, pas convaincue.

"Trop chaud pour un jacuzzi ? Ils te connaissent pas !" Nina est capable d'endurer avec plaisir des températures infernales."Ce sera parfait mon ange"


"Personnalisée ?" Je ne vois pas ce qu'elle entend par là, à moins que ce ne soit quelques travaux de peinture par ci- par là. Je ne vais pas m'effrayer alors je ne pose pas la question ! Contrairement à Nina, la maison me séduit dès qu'on passe le hall. Sans doute me rappelle-t-elle la maison de mon enfance en plus luxueux et beaucoup plus grand mais le salon, les carrelages du rez-de-chaussée, les poutres rendent la même atmosphère. Je commente en anglais "C'est sympa les poutres comme ça..." A chaque pas mon regard s'illumine et je ravale le sourire qui tente de transparaitre sur mon regard. En plus il y a une cuisine américaine avec un var, je trouve ça super. Le jardin par la fenêtre du salon sur l'arrière est immense et il y a un barbecue qui fait grise mine sous la pluie mais ce n'est pas grave.

Je suis tellement emballé que je veux monter avec Nina et l'agent immobilier aux étages. J'y vais pas à pas, précautionneusement. J'adore le parquet en haut et la suite parentale "tu as vu la baignoire srce ?" Sensible à mon humeur sans doute, notre guide vante le quartier, indiquant qu'il y a des crèches et des écoles maternelles et primaires, ainsi qu'un lycée à moins d'un kilomètre. Je gratte ma barbe d'un geste d'embarras, encore mal à l'aise dans le rôle de futur chef de famille qui s'obstine à vouloir se dessiner dans ma tête.

​Je hausse les épaules dans un sourire énigmatique sans répondre à sa question, rhétorique de toute façon. Oui, personnalisée. Je crois que ça me plairait bien qu'il y ait, de toute façon, quelques travaux à faire, de devoir mettre la main à la pâte pour que tout soit à notre goût. Je n'ai pas envie de n'avoir qu'à ouvrir la porte et poser mes meubles ! Je sais que ça peut sembler un peu étrange, mais disons que c'est une sorte de compromis entre le fait d'acheter une maison et d'en faire construire une. J'aimais beaucoup au Chalet l'idée que tout soit encore à faire, que tout soit possible. Mais bien-sûr ça aurait pris des années avant d'être terminé et je crois qu'on est tous les deux pressés de déménager, ce n'est donc pas une option.

J'acquiesce dans un sourire au commentaire sur les poutres, elles me plaisent bien aussi. La colonne en pierre aussi, c'est joli. Et ça donne un aspect très chaleureux à la pièce, on se croirait dans un chalet justement. La cuisine est jolie, dans un style un peu trop vieillot mais là encore, on peut très bien faire quelques aménagements. L'îlot qu'on a dans l'appartement par exemple, j'adore, j'aimerais beaucoup en avoir encore un. Sinon le bar me plaît bien, en revanche le carrelage... Non, ce n'est résolument pas assez moderne, j'ai besoin d'un mélange des deux moi ! En bas, il y a une petite salle de bain dans laquelle, très honnêtement, je pèterais tout.

Arrivés à l'étage, en haut des escaliers, on tombe sur un espèce de mini-espace étrange où sont posés deux fauteuils, qui doit servir de coin lecture j'imagine. Il y a une grande pièce centrale, qui donne ensuite sur les chambres. J'avise la salle de bain, et la baignoire, avec un sourire indulgent pour Slavenko qui lui semble aux anges. J'ai vu, oui. Et elle ne me plaît pas beaucoup non plus. Ahem. Les deux premières chambres sont franchement étroites, seule la suite parentale est plus grande. Je secoue la tête dans un sourire à l'attention de l'agent immobilière et réponds poliment qu'on n'a pas d'enfants. Oui, j'ai occulté la fois où il a prononcé le mot interdit : « bébé ». Ça n'a jamais eu lieu.

J'aime tout dans cette maison, son emplacement, son style, l'intérieur, le jardin. L'effet mansarde avec les lambris, le parquet sombre, me plaisent. J'aime bien le coté vieillot, campagnard, parfois même étouffant comme un cocon.

La précision de Nina me perturbe et je rumine, mais dans un élan d'inconscience, je me risque à ajouter tout bas en me rapprochant de Nina assez prêt pour une nouvelle fis poser ma main sur sa nuque, en haut du dos, là où la peau est accessible. "Pas encore..." L'agent immobilière très guillerette et volubile continue la visite et son speech, parlant des beaux volumes, de la chaudière neuve et tout le reste. Moi j'ai juste envie de prendre Nina dans mes bras, de l'embrasser et de rouler avec elle sous une couette pour nous fondre. J'ai un furieux élan de tendresse qui ne peut s'exprimer que dans le bout de mes doigts posé sur sa peau de lait, au frémissement de son cou. On redescend, on visite le garage, le chalet à outils dans le fond du jardin et on a fait le tour. L'agent précise qu'elle a d'autres personnes qui veulent visiter la maison, elle a du sentir mon enthousiasme et les doutes de Nina. "On va réfléchir, on vous rappellera au besoin..." Je n'ai pas senti Nina emballée par cette maison, dommage, elle me plaisait bien. Mais nous ne sommes qu'à la deuxième maison, on trouvera quelque chose qui nous convienne à tous les deux.

Je suis un peu anxieuse parce que je n'arrive pas vraiment à me projeter ici alors que Slavenko a l'air d'adorer l'endroit. Peut-être que je n'observe pas les lieux comme il faut, peut-être qu'en en discutant avec lui, il saura me donner envie de vivre ici... Je ne sais pas tellement. Tout n'est pas à jeter, je ne dis pas que je déteste l'endroit, loin de là. Mais disons qu'en-dehors d'un certain charme suranné, je ne trouve pas grand chose à cette maison, et je ne suis pas sûre d'imaginer y vivre. Je crois que c'est justement le côté cocon étouffant qui me gêne, je ne veux pas me sentir étouffée. Autant j'aime le bois, la pierre, l'aspect chalet et tout le reste... Autant j'ai besoin de volumes plus grands pour me sentir bien, ou de pièces moins fermées, je ne sais pas trop comment le dire. J'ai cru comprendre lors de mes recherches que j'allais devoir me faire une raison, cela dit, ici les maisons avec de grandes baies vitrées, tout ouvert sur l'extérieur, ce n'est pas vraiment ce qui se fait. Or c'est plutôt ça que j'aime. J'essaie de ne pas démoraliser déjà, après tout ce n'est que le premier jour. Seulement on a toujours tendance à être pressés tous les deux, et il semblait vouloir trouver une maison avant de reprendre le travail, alors...

Je cille quand Slavenko revient vers moi, sa main sur ma peau, et sa précision me fait frémir de façon étrangement douloureuse. Je crois que je blêmis un peu, et les mots refusent de former une phrase censée dans mon esprit. Je tourne légèrement la tête, regard interrogateur -et anxieux- levé sur lui, mais ce n'est pas le lieu ni le moment pour avoir cette discussion. Durant le reste de la visite, je suis beaucoup moins concentrée, incapable d'oublier ce qu'il vient de se passer. On salue la femme de l'agence et on remonte dans notre voiture. Je crois que mes mains tremblent un peu. Je décide d'éluder le sujet, pour le moment. Elle t'a beaucoup plu, pas vrai ?

Un ange passe et préfère se tirer gentiment en voyant la tension sur ce terrible sujet sensible fait de tabous et de non-dits. D'ailleurs je n'ai pas insisté, je préfère juste faire une remarque comme ça en passant que de déclencher une troisième guerre mondiale par une conversation sérieuse.

Dans la voiture, je me permets de sourire réellement en approuvant "oui c'est vrai, je la trouve vraiment bien mais toi, elle te plait pas tant que ça, non ? " Je hausse les épaules avec une mimique comique. "Bah, on trouvera ailleurs. C'est que la deuxième visite srce. D'ailleurs est-ce qu'on a encore des visites aujourd'hui ou on rentre préparer Bali ?" Oulà c'est fou le nombre de choses qu'on à faire aujourd'hui !

Je secoue la tête dans une grimace d'excuse. Non, pas beaucoup... On se connaît suffisamment pour réussir à savoir ce genre de choses sans avoir besoin de parler. De toute façon en réalité on lit très bien dans le comportement de l'autre, c'est dès qu'il s'agit de causer que le bât blesse ! Je suis néanmoins rassurée qu'il accepte de simplement passer à autre chose sans faire une fixette absolue sur cette maison qui avait l'air de vraiment lui plaire pourtant. Je me détends donc perceptiblement et secoue la tête. On en a une autre en fin d'après-midi, on a le temps de rentrer à la maison, manger et réserver Bali. Et se retrouver un peu aussi parce qu'après la confirmation de notre remariage à venir tout à l'heure, j'ai un grand besoin de tendresse inassouvi.

Je me tends vers lui pour lui voler un baiser avant de me remettre en route, et je le laisse me guider jusqu'à Sarajevo, il n'a pas besoin de GPS pour ça. Je ne suis pas mécontente de faire une pause, je n'avais prévu que deux visites sur la journée, celle-ci était un bonus inattendu que je ne regrette pas même si la maison ne me plaît finalement pas. Il pleut des cordes et le temps de regagner le hall d'entrée, on est déjà trempés. J'ôte mes chaussures dès qu'on passe la porte de l'appartement, ainsi que ma veste, et me pends au cou de mon mari qui n'a même pas encore eu le temps d'enlever ses rangers. Tu veux bien faire un feu, molim te...