Le haricot magique - Slavina

Si ç'a été compliqué l'autre jour, ce n'est pas parce que je me suis disputée avec un membre de sa famille, c'était un problème entre nous. Sa mauvaise humeur -quel euphémisme- a bien été déclenchée par l'annonce de son père mais notre dispute -encore un bel euphémisme- n'a à mon sens pas grand chose à voir avec mes relations avec son père ou son oncle. Je suis certaine que s'il n'y avait pas eu le bébé, je serais rentrée à New-York. Le parallèle peut sembler difficile à faire puisque c'est justement cette grossesse, et ma façon de la lui annoncer, qui a été à l'origine de tout ça, mais je crois que c'est surtout symptomatique de nos relations, de la façon dont il se comporte avec moi, niant constamment la douleur ou la peur que je peux ressentir. C'est exactement ça, en fait, je ne suis pas sûre que ça se dise, mais je me sens niée. Constamment. Il y a tellement de précautions oratoires dans ses mots que je n'arrive pas à savoir s'il veut que je vienne ou non. Le mieux reste de lui poser directement la question. Je repose mon verre. Est-ce que tu veux que je vienne ? Ou tu préfères que je passe seulement le soir ?

La question est directe mais je ne peux pas y répondre aussi simplement que ça. J'ai le sentiment d'une catastrophe imminente dont je ne veux pas mais qui serait pourtant entièrement ma faute en appuyant sur le gros bouton rouge sur lequel est écrit DANGER en lettres capitales. Je me tais sans même faire mine de dissimuler mon hésitation en buvant mon coca, je crois qu'on est au delà de ça. Je ne suis de toute façon pas bon comédien, ce ça nous sommes surs l'un et l'autre. Je peux seulement être honnête et pourtant ça ne me réussit pas mieux que tenter de faire bonne figure en essayant de donner les bonnes réponses.

"Je ne sais vraiment pas..." J'ai un geste d'excuse et j'essaye d'expliquer "J'ai envie que tu viennes mais à chaque fois ça se passe mal et je n'ai pas envie que ça se passe mal. Tu m'as dit que Mirko avait été désagréable avec toi. Il sera là, mon père aussi, tout le monde. Je pensais que toi, tu n'aurais pas envie de te les coltiner toute la journée. Surtout maintenant. " Je ne suis pas très sur d'avoir envie de me retrouver encore pris entre deux feux. "Je ne peux même pas leur dire que tu es enceinte, c'est dur pour moi, j'ai envie...tu vois, de leur faire partager ma joie." Je soupire avant de passer la main sur mon visage et je prends ma décision en réitérant ma proposition. "Je viendrais te chercher après la messe."

Je blêmis un peu face à son hésitation marquée, mais je crois que je me décompose clairement à sa réponse. J'essaie d'inspirer lentement alors que je reconnais clairement les signes de l'angoisse qui s'éveille dans ma poitrine. Mes mains se crispent, moites, sur mes cuisses, ma poitrine se soulève plus douloureusement, un goût de bile envahit ma bouche et je ne saurais plus dire si j'ai chaud ou si j'ai froid. Peu importe mon comportement, c'est toujours moi qui suis remise en cause. Il pourrait parler à son oncle, lui demander clairement de me foutre la paix, il n'aurait même pas besoin d'aller au conflit pour ça, après tout ce serait une requête légitime étant donné qu'on va se marier, non ? Non. C'est plus simple de me laisser de côté.

Je répète d'une voix blanche : Tout le monde sera là... Sauf moi. Et ça lui semble normal. Je ne comprends même pas pourquoi il parle soudain de passer me prendre, pour me faire plaisir ? Parce qu'il pense vraiment être en train de me faire plaisir ? Je secoue la tête. Non, c'est une mauvaise idée, je ne voudrais pas gâcher votre fête de famille, et de toute évidence c'est ce que je fais à chaque fois, pas vrai ? C'est soudain très clair dans mon esprit qu'il n'est pas heureux que je sois enceinte, il est seulement soulagé parce que ce sera une déception de moins pour les siens.

Et elle fait ce qu'elle fait à chaque fois, elle ajoute des sous-entendu et des mots dans mes phrases, c'est absolument insupportable. Comme à chaque fois je réponds "c'est pas ce que j'ai dit" et comme à chaque fois ça ne marche pas. "Je n'ai jamais dit que tu gâchais la fête !" A mon anniversaire, elle était clairement hors de cause sur le fait que je me sois senti mal et pas à ma place au milieu d'une fête censée être pour moi. Mon père a réussi à tout gâcher tout seul comme un grand. Ou moi, puisque je n'ai pas su faire la part des choses et prendre sereinement l’enchaînement des nouvelles.

En fait ça commence systématiquement comme ça. On parle d'une fête de famille et ensuite ça dérape. Peu importe qu'on y aille ou pas, peu importe "Tu vois c'est ce qui se passe à chaque fois. On parle de ma famille, et bam ça cloche dans les trente secondes. Alors comment veux-tu que je pense qu'on puisse passer toute une journée avec eux sans que ça dégénère ? Je n'ai pas dit que je ne voulais pas que tu viennes, j'ai dit que..." Han merde, elle me fait vraiment dire des trucs que j'aime pas. Je gronde un ton plus bas "j'ai dit que j'ai peur de la façon dont ça va se passer."

Tu dis qu'à chaque fois que je viens ça se passe mal, c'est quasiment la même chose ! Il va falloir arrêter de dire que c'est un problème de compréhension de ma part, c'est lui qui s'exprime comme un manche. Ou non, même pas, je suis certaine qu'il dit juste exactement ce qu'il pense, seulement ensuite il regrette de l'avoir dit. Si ce sont les autres le problème, pourquoi est-ce moi qui me retrouve inévitablement exclue ? Je ne suis pas sûre qu'être punie pour les erreurs des autres soit une consolation. J'écarquille les yeux parce qu'il semble avoir une soudaine illumination qui, personnellement, me donne envie de lui sauter à la gorge.

Mais je n'en ai pas parlé en mal, je n'ai rien dit de mal ! En fait je n'ai rien fait de mal ! Je ne sais même pas pourquoi je continuer à essayer de m'intégrer à tout prix. Ton oncle est constamment désagréable avec moi, je t'en ai à peine parlé le jour de ton anniversaire, je n'ai jamais fait de scandale à ce sujet, je prends sur moi, je me laisse humilier et avec le sourire en plus. Je ne t'ai même pas demandé de faire quoi que ce soit. Il n'y avait pas de... De contrepartie à ma proposition, il n'y en a jamais eu, je suis toujours venue sans rien demander. Parce que bon, soyons honnêtes, j'ai bien compris que je pouvais aller me gratter si j'espérais qu'il prenne ma défense un jour dans sa vie.  Mais si ça t'angoisse qu'il soit désagréable, comme tu dis, qu'est-ce qui t'empêche d'aller simplement lui parler en lui demandant de me laisser tranquille ? Ce serait si scandaleux que tu demandes à ce qu'on fiche la paix à ta future femme ? Alors quoi ? Je n'aurais pas le droit d'être là aux anniversaires de notre enfant parce que tu auras peur que ça se passe mal ? J'aurais du m'abstenir de venir à ton anniversaire pour ne froisser personne ?

"Mais pas du tout !" Ça n'est pas du tout la même chose, je crois simplement qu'on est face à une incompatibilité entre elle et Mirko d'une part. Mon père intervenant au milieu du fourbi avec sa délicatesse légendaire de commandant ayant l'habitude de se faire obéir, ça a vite généré face à une Nina dont s'est pas le genre. Camenko était plutôt de notre coté, mais même ça j'ai l'impression qu'on est en train de le perdre. Encore que la soirée d'hier m'a permis de faire la paix avec mon frère mais on n'a pas parlé de Nina.

Pourquoi mais pourquoi une fois de plus ça dégénère ? C'est quand même dingue, j'essaye de tout planifier, de prévoir un plan simple pour que ça se passe bien, comme par exemple en limitant le temps de rencontre de deux substances explosives entre elle, mais non ça explose maintenant. A ma gueule. "Parce que tu crois que je ne lui ai jamais parlé ? A lui ou à mon père ? Mais je l'ai fait Nina, mais ce n'est pas comme si je pouvais les contrôler ! Mirko ne m'écoute pas vraiment." Je ne peux pas me permettre de tout foutre en l'air, Drazavic et Tigrovi sont intimement liés, je pense qu'elle l'a compris avec la dernière confrontation que j'ai eu avec mon père. J'ai remis le pied à l'étrier avec cette mission réussie à Belgrade, je ne veux pas tout foutre en l'air d'autant que je vais avoir besoin de bonnes missions pour avoir plus de pognon.

Je respire profondément, pour me calmer et ne pas monter dans les tours. Je suis raisonnable. "En plus je te demande pas de pas venir, je ne l'ai jamais fait. Je pensais juste que qu'une soirée était plus gérable que toute une journée, et que tu préférerais ça. Je me suis trompé, ok. Je viens te chercher après l'Eglise."

Il est foutrement doué. En l'espace de cinq minutes, il a réussi à me donner envie de passer toute la journée de demain à la Slava avec lui, puis à me convaincre qu'il ne fallait absolument pas que j'y aille. Comme il ne parvient pas à contrôler son oncle, c'est à moi de m'effacer. J'ai beau essayer de comprendre, ça n'a pas de sens, il ne peut pas vouloir un enfant avec moi et me mettre de côté. Je réalise une fois de plus ce que j'avais déjà compris : les choses seront toujours ainsi. Je ne sais pas pourquoi j'ai cru, ce jour où il m'a rejoint à New-York en me suppliant de le suivre, que ça pourrait changer, qu'il était prêt à ce qu'on soit réellement ensemble, à ce que ça compte. Je serais toujours cette pièce rapportée dérangeante, à laquelle on demande de ne pas faire de vagues mais de subir sans ciller le ressac de celles des autres. Depuis que je me suis installée à Sarajevo, j'ai l'impression de passer ma vie à nager à contre-courant, sans que personne ne m'attende sur l'autre rive. Je commence à être sincèrement fatiguée de me battre, et depuis quelques semaines je sens bien qu'on se noie. Moi, en tout cas, je me noie. Je baisse le regard, rends les armes en soufflant un "D'accord." d'une voix étranglée. Je l'ai dit, j'en ai assez de me battre. Je crois que je vais juste me taire maintenant, arrêter de lutter, c'est ce que tout le monde semble attendre de moi, que je capitule.

Je plisse les yeux parce que je sens un coup fourré, c'est très étrange que Nina cède comme ça avec un ok. Pas du tout dans ses habitudes. Je me tais à mon tour, allume une clope le temps qu'elle finisse - ou pas - son coca, mais le but est surtout de faire descendre la tension. Entre deux taffes je réalise qu'elle a l'air de penser que je ne fais rien du tout. Pourtant je suis déjà allé plusieurs fois au clash avec mon père, avec des tigrovi. Pour elle. Je fais mon possible pour composer entre les deux en espérant les réconcilier. Je suis qui quelqu'un qui a une tendance naturelle au cloisonnement, servir de médiateur n'est pas exactement en quoi j'excelle.

Une fois mon mégot jeté au sol, je me lève pour qu'on y aille. Je voulais faire un moment sympa et agréable que ce verre mais c'est tellement raté qu'inutile de prolonger ce qui est devenu un silence pesant. "où est garée la caisse ?" Je tends la main pour avoir les clefs. Je préfère toujours conduire si j'ai le choix. Je ne bosse pas le reste de la journée, ni la soirée et demain avec la Slava, c'est relâche.

Je n'en ai plus envie, mais je me force à finir mon soda malgré tout parce que je n'ai pas mangé ce midi et que j'ai besoin d'avoir une dose de sucre dans le sang si je ne veux pas faire un nouveau malaise. Vu mon niveau d'angoisse, je sens qu'il ne faudrait pas grand chose pour que je bascule à nouveau. Je ne suis même plus étonnée de la façon dont la discussion est partie en couilles, c'est toujours le même schéma, à chaque fois qu'on parvient à passer assez de temps ensemble pour discuter en tout cas. Je suis juste triste de ce constat, parce que j'espérais vraiment bien faire, lui montrer une nouvelle fois ma bonne volonté et mon envie de m'intégrer en lui proposant de passer la journée de la Slava à ses côtés. Est-ce que ç'aurait été si difficile de sa part d'en être seulement heureux ? Ce bébé n'est pas encore là, pourtant j'ai déjà l'impression qu'il est désormais la seule raison pour laquelle Slavenko reste avec moi.

Je suis le mouvement quand il se lève, désigne la clinique non loin. Je me suis garée dans le parking. Je n'avais pas envie de tourner pour chercher une place. Je lui donne les clés, le ticket de parking et on se met en route pour récupérer la voiture. Même ce cadeau que j'ai voulu lui faire, je l'ai foiré, il est vraiment temps que j'arrête d'essayer. J'aimerais passer à la librairie avant de rentrer. Je n'ai plus vraiment l'intention de lui fourrer ce livre entre les mains, mais moi j'ai toujours besoin de réponses, et ce besoin devient urgent à mesure que je réalise à quel point je me sens seule.

Je ne proteste pas le moins du monde quand elle me dit vouloir passer maintenant à la librairie. Je n'ai rien de mieux à faire de toute façon. "Humm, oui, ok...attend faut que je retrouve l'adresse..." Je sais qu'elle est dans le coin mais je ne sais pas si on peut y aller à pied ou non. Je cherche sur mon téléphone portable et il se trouve qu'il faut reprendre la voiture mais il n'y en a que pour 5mn.

Peu après, je nous gare à une centaine de mètres de notre objectif. La librairie buybook vend beaucoup de livres étrangers, notamment en anglais. C'est sans doute une des mieux achalandée de Sarajevo, en tout cas en matière de romans. On verra si c'est le cas pour ce que cherche Nina sinon ce sera à commander sur internet. Il y a des livres neufs mais aussi des livres d'occasion. J'accompagne Nina à l'intérieur sans la lâcher d'une semelle. C'est ridicule parce que quand je ne suis pas là, elle fait bien sa vie toute seule, mais si je suis avec elle, je ressens ce besoin irrépressible de la protéger et ça s'est pas arrangé depuis que je sais qu'elle est enceinte.

Je ne cherche pas à rompre le silence qui s'est installé entre nous, et à sa façon de me suivre dans la librairie, j'ai l'impression désagréable d'être comme une marchandise qu'il protégerait. Je ne ressens plus de tendresse entre nous, plus la moindre complicité non plus et je crois que je tomberais des nues s'il me disait qu'il cherche à veiller sur moi. Depuis notre clash la pensée ne me quitte pas qu'il cherche juste à s'assurer que je ne me barre pas avec son bébé, et je ne me souviens plus de la dernière fois que j'ai eu l'impression de compter réellement pour lui. J'ai cru entrevoir un peu de ça, brièvement, lors de notre nuit à l'hôtel, mais ce sentiment s'est évaporé comme s'il n'avait été qu'une hallucination.

Je me perds entre les rayons en quête d'un livre sur la grossesse, mais je n'y trouve qu'un bouquin énorme aux airs d'encyclopédie que je n'aurais jamais le courage de lire. Ce n'est pas vraiment ce que je cherchais en venant ici et je suis forcément déçue. Je crois que je ne veux pas avoir l'impression d'être venue pour rien, alors je jette mon dévolu sur un livre de recettes de cuisine du monde. Je lance quand même, pour Slavenko : Je commanderais l'autre sur internet... J'avais juste envie de l'avoir entre les mains maintenant, tout de suite, peut-être pour avoir le sentiment de maîtriser un tout petit peu mieux ce qui m'arrive.

Je cherche aussi mais je ne trouve rien dans les rayonnages qui semblent correspondre de près ou de loin avec un livre sur la grossesse ! Je me gratte la tête d'un air embêté avant de toucher l'épaule de Nina pour la réconforter Je suis désolé... je pensais que tu trouverais. Y en a en cyrillique mais... mais ça va pas l'aider, et je ne vais pas en acheter un juste pour moi, autant attendre celui en anglais. En fait ils ont beaucoup plus de romans. Je soupire, je comprends bien la difficulté qu'elle a ici, dans une ville dont elle ne maîtrise pas la langue. J'étais presque pareil quand je suis arrivé aux USA, mais au moins je baragouinais déjà un peu d'anglais. "Tu veux qu'on essaye les boutiques de l'aéroport ? Il y a aussi une librairie si je me souviens bien. Ou il y aura au moins des magasines." J'ai l'impression que ça compte beaucoup plus pour elle que je ne le pensais au départ alors j'essaye de trouver une solution tandis qu'on paye le livre de recettes. (je ne saisis pas bien pourquoi elle l'achète, on fait très rarement de la vraie cuisine mais pourquoi pas. Ça doit être un truc compulsif de femme enceinte.) "Ce n'est qu'à 20 minutes, et on a le temps"

Je me sens soudain foutrement démunie quand je songe qu'à New-York, je n'aurais eu qu'à descendre dans la librairie de mon quartier pour trouver tout un rayonnage sur le sujet. Je pensais qu'être enceinte m'emplirait de bonheur, mais dans ce pays qui m'est étranger et sans le soutien de Slavenko, je crois que c'est en train de devenir un véritable cauchemar et je suis à deux doigts de pleurer quand il pose sa main sur mon épaule. J'ai un léger sursaut à son contact, que je ne parviens pas à réprimer, tant je ne m'y attendais pas. Un instant je le fixe sans comprendre pourquoi il se donne cette peine quand il est évident qu'on n'attend plus que l'instant où on pourra s'en aller chacun de notre côté. J'étais au départ censée retourner bosser après ce rendez-vous médical. Je finis par souffler, sans trop savoir pourquoi : Oui, ok, si tu veux.

Je récupère un sac en papier avec le livre de recettes à l'intérieur, et on ressort de la boutique. Je vais avoir un bébé, il va falloir que je me décide à cuisiner autre chose que des boîtes de raviolis au micro-ondes. Et puis l'idée me traverse qu'après tout c'est aussi ce qu'on attend de moi, que je reprenne mon rôle de femme dans la cuisine, mh. Avant, Slavenko cuisinait pour moi, ou il commandait chez le traiteur pour nous organiser des soirées romantiques. Mais il n'a plus rien organisé du tout depuis notre divorce. Tout en me réinstallant en voiture, je fronce les sourcils en suivant le fil bien trop noir de mes pensées. Si c'est ce que le médecin entendait par sautes d'humeur, je crois que je ne vais pas tenir le coup. Je me cale contre la portière, ma tempe contre la vitre pendant qu'il nous emmène à l'aéroport. Je pourrais prendre l'avion...

Nine est laconique mais moi aussi et je pense que c'est pas si mal si ça évite qu'on se comprenne de travers et qu'on finisse par s'engueuler pour de bon. Je ne réalise pas qu'elle a des idées aussi noires me concernant et je serais bien surpris si je le savais ! Comme je serais surpris de la longue liste des choses qu'elle me reproche. Quand je vous dis qu'on est pas sorti du sable !

Une fois dans la voiture, je me retiens de tromper ma nervosité avec une cigarette. Je n'ai plus le droit de fumer en lieu clos avec Nina ! Je me demande comment elle fait pour supporter toutes ces interdictions, elle a même un truc concernant la bouffe dans ses brochures ! Je n'avais jamais entendu dire que les femmes enceintes avaient un régime spécial, je ne me souviens pas que ma mère cuisinait différemment en tout cas mais comme j'ai peu de souvenirs, c'était peut-être le cas. Une question me revient tout de go alors qu'on roule vers l'aéroport puisque Nina a accepté "C'est quoi la toxo...machin ?" Rien que le nom fait carrément flipper mais la doctoresse n'avait pas vraiment l'air affolé comme si c'était très banal de faire ce test !

Le regard rivé sur la route, je suis très sincèrement en train de me demander si ce serait si grave de prendre le prochain avion pour New-York, quand Slavenko interrompt mes sombres pensées. Je fronce les sourcils en tournant la tête vers lui, réfléchissant à sa question. Je me suis renseignée sur le sujet quand on m'a donné la prise de sang à faire, mais je ne suis pas sûre d'avoir tout compris. C'est une maladie qui se chope... En mangeant certaines choses ou au contact des chats aussi je crois. Elle est pas dangereuse normalement, sauf pour les femmes enceintes. Je crois que ça peut toucher le bébé, j'ai pas très bien compris comment... Mais puisqu'on me demande de faire attention, je suis toute disposée à faire attention. Je lui explique ce que j'ai compris : Certaines personnes sont immunisées du coup elles ont rien de spécial à faire, la prise de sang servait à voir si j'étais immunisée ou pas. Ce que j'ai retenu, c'est que j'étais interdite de sushis, mais je ne suis plus très sûre que ça ait à voir avec la toxoplasmose... Y a pas de risques si je fais attention. Enfin je crois.

J'ai un air concentré, vous savez celui qui me fait paraître demeuré (enfin un peu plus) , en écoutant les explications de Nina. Je me dis que finalement ce livre devient indispensable pour nous éclairer sur ce genre de choses qui d'abord paraissent triviales  mais sont en fait d'une importance capitale puisque ça peut faire mal au bébé "Humm... les chats tu dis ? Toi tu n'es pas immunisée a dit le docteur. Comment on va faire avec Tigar ? Est-ce qu'on ne devrait pas le mettre en pension quelque part le temps de la grossesse ?" Je suis peut-être pas le plus malin, mais chez moi suivre les ordres est un sacerdoce et faire prendre zero risque à ce bébé aussi. Alors je sais que Nina tient beaucoup à ce chat mais s'il faut faire un choix, c'est vite fait.

En bordure de l'aéroport le trafic se charge mais bien que dense nous ne tombons pas dans des bouchons. Je nous gare dans le parking hors de prix mais qui est le plus près de la galerie où nous nous rendons. Il y a plusieurs boutiques, de fringues, et même pour bébé, et surtout la librairie dont j'ai parlé à Nina.  J'explore avec elle les rayonnages mais il n'y a que des bouquins sur les voyages par contre il y a des magazines genre "parents" ou "attendre un enfant" ou encore un autre "bébés et mamans" ce genre de titres complètement ringards si vous voulez mon avis. "Jebote, on n'a pas de chance ! Bon, est-ce que tu veux prendre un magazine à la place? Y a même des hors-séries, je ne sais pas si ça ferait l'affaire en attendant que tu aies le bouquin." Je suis prêt à acheter le rayon complet si elle me dit que ça l'aide !

Je fronce les sourcils en secouant la tête. Non, ça pose pas de problème, je mettrais pas Tigar en pension. Il faut juste plus que je touche sa litière, et éviter les griffures mais Tigar n'a jamais griffé personne ! Je me demande s'il sait qu'il a des griffes. Je ne veux pas me débarrasser de mon chat, j'y suis bien trop attachée et je me suis bien renseignée, il suffit que je sois prudente. Je vais me contenter de laisser Slavenko s'occuper de la litière, et me laver correctement les mains si je caresse la boule de poils, ça devrait suffire. J'ai une prise de sang à faire tous les mois, entre autres pour voir si j'ai chopé la toxo ou pas. Et je sais qu'ils regardent d'autres trucs, mais je n'ai absolument pas compris ce dont il s'agissait. D'ailleurs j'ai bien essayé de lire les résultats que j'ai apportés à la clinique mais sans succès, ils ont fait au moins cinq ou six tests différents et je ne sais pas du tout à quoi ils correspondent.

Arrivés à l'aéroport, on part en quête d'un bouquin dont je commence à douter de l'existence ! Je fronce les sourcils, erre au rayon magasines sans grande conviction... Je ne pensais pas acheter un truc de ce genre un jour et très franchement, j'ai presque honte tant ça semble niais ! Mon regard s'arrête sur un hors-série "bien vivre sa grossesse, neuf mois pour être au top". Pour être au top ? Sérieusement ? Je le repose en secouant la tête, en récupère un autre "Guide de la grossesse, 40 semaines pour une nouvelle vie." OK donc visiblement le projet c'est quand même de changer, hein. Je m'attarde sur les titres de celui-ci, notamment parce qu'il y a un dossier sur "ces hormones qui nous chamboulent" et que je m'inquiète pas mal de mes réactions aux hormones en question, ainsi qu'un calendrier avec un résumé de chaque semaine, ce qui m'intrigue également. Il y en a d'autres avec des dossiers spécial accouchement, mais je crois que je n'ai pas envie de me soucier de ça maintenant, j'ai déjà suffisamment de stress comme ça, j'y penserais dans quelques mois... J'en prends un autre qui s'appelle "Neuf mois, le guide 2019", parce qu'il me semble que c'est exactement ce que je cherche. Un guide. Une carte routière de la grossesse. Un mode d'emploi. Munie de mes deux gros magazines, je hausse les épaules. Je vais prendre ces deux là, ce sera déjà ça... Je regarderais sur internet en rentrant si je trouve autre chose.

Je m'apprête à quitter le rayon quand je tombe sur un hors série spécial papa, dont je m'empare dans un sourire amusé, légèrement moqueur. Tiens, tu veux un magasine aussi ? La place du père dans la grossesse, un test genre quel papa serez-vous, ou encore les réponses à vos questions sans tabous... J'ai beaucoup de mal à l'imaginer lire un magasine de ce genre !

Je me doutais que l'idée pour Tigar ne serait pas retenue et j'en éprouve une vive contrariété. Je me renseignerais moi-même sur ces risques liés à la toxotruc mais je ne laisserais pas un chat mettre le bébé en danger, c'est déjà certain. C'est bien beau de faire des prises de sang mais quelle incidence si tout à coup on voit qu'elle l'a attrapée ? J'imagine qu'ils ne surveilleraient pas si c'était bénin.

Je laisse Nina éplucher les magasines à défaut des bouquins, au moins quelques-uns semblent trouver grâce à ces yeux. J'attends avec une patience maladroite, gauche dans ce rayon où s'étale des images de femmes radieuses exposant leurs ventres ronds. La moquerie de Nina me fait sortir de mes pensées et tourner les yeux vers elle. Pourquoi se moque-t-elle alors que c'est si sérieux. Mon regard s'assombrit et j'ai un haussement d'épaules en répondant un bref "oui, pourquoi pas. Donne" . Je prends les magasines et les épaules carrées, le regard prêt à fusiller quiconque se moquera de moi. Je paye sans sourciller à la petite vendeuse du kiosque qui ne doit pas bien comprendre pourquoi je suis aussi tendu.Très sincèrement à sa place, je verrais un type dans mon genre acheter cette sorte de bouquins, j’appellerais la brigade anti-déminage en pensant avoir à faire à un terroriste sous couverture !

Le paquet se balançant au bout de mon bras, on ressort de la boutique. Je passe machinalement un doigt dans le col de mon pull pour tirer dessus, je crève de chaud et je regrette d'être habillé si chaudement. Je consulte l'heure à mon téléphone. "Je pensais passer à la maison voir l'avancée des travaux..." Je ne propose rien - ni de venir avec moi ou lui laisser le choix de la ramener avant à l'appart' - parce que je ne sais pas tourner ma phrase pour qu'elle soit mal interprétée. Si je dis, on y va, elle va penser que je lui force la main, si je lui demande si elle veut que je la ramène, elle va croire que je ne veux pas qu'elle m'accompagne. Tout ça est beaucoup trop compliqué pour moi !

Je me fige un instant quand il me répond sur ce ton si sec auquel je devrais pourtant être habituée, depuis le temps. J'ai un affreux pressentiment pour la suite de cette grossesse, pour la suite de notre relation tout court d'ailleurs et alors qu'on passe en caisse, je tourne la tête vers l'aéroport. Il y a constamment des vols pour New-York, au moins une fois par jour, parfois plus, peut-être reste-t-il encore des places. Je n'ai pas d'affaires, mais je ne crois pas en avoir réellement besoin. Je n'ai plus d'appartement là-bas, et je ne pourrais me réfugier ni chez Yulian, ni chez Rauera puisqu'ils ont tous les deux emménagé à Sarajevo, pour des raisons qui m'échappent d'ailleurs. Mais Luna et Jamal m'hébergeraient, j'en suis sûre. Dimitri aussi, si je le lui demandais... Mais il y aurait un jugement bien plus difficile à accepter de sa part et je ne suis pas sûre d'être en état pour ça. Je pourrais prendre un billet d'avion pour la Louisiane... Je n'ai pas revu Mark et ses parents depuis plusieurs mois maintenant, et je sais que Danielle m'accueillerait à bras ouverts. Si elle me savait enceinte, elle m'hébergerait et me gaverait comme une oie pendant neuf mois, c'est certain. Je sonde mes souvenirs en quête d'un endroit où je pourrais me sentir chez moi, aimée, désirée, protégée... Et je crois que la maison de Danielle, en Louisiane, est le seul endroit sur terre qui s'en approche.

Perdue dans mes pensées, je cligne des yeux en revenant à moi quand Slavenko me parle. A la maison ? Ce projet me semble tellement loin, tellement surréaliste aussi quand on voit l'état de notre relation qu'il me faut quelques secondes pour comprendre de quoi il parle. Je prends une brusque inspiration quand je réalise qu'il fait allusion à la maison qu'on a achetée ensemble, et je hoche la tête. Je suis passée en mode pilotage automatique de toute façon. D'accord, allons-y. On regagne la voiture, et je pioche dans le sac l'un des magasines pour en feuilleter les pages.

J'ai un mouvement d'impatience alors qu'elle semble demander de quoi je parle. Oui la maison, notre maison. On est censé emménager début mai et je passe quasiment tous les jours (quand je suis sur Sarajevo) pour houspiller les ouvriers et leur mettre la pression, sinon ce ne sera jamais fini à temps ! Il faut être présent et concerné parce que sinon le maître de chantier s'en fichera et mettra ses ouvriers ailleurs sur un chantier où le propriétaire sera plus exigeant. Donc je fais mon taf, je passe plus que régulièrement en inspectant. Nina a toujours l'air de penser que je ne fais rien pour nous mais c'est faux, c'est juste que je ne le dis pas forcément. La dernière fois, on a choisi la couleur pour les chambres et le salon, ainsi que le sol. J'espère qu'ils auront fini de poser ce dernier mais j'ai un doute, la salle de bain leur a donné du fil à retordre, il a fallu refaire toutes les canalisations parce que certaines étaient encore avec du plomb !

Nina feuillette son magasine pendant que je conduis, et je mets même la radio pour écouter les infos locales. Je suis distraitement les résultats de foot et on arrive à la maison dont le portail est ouvert pour faciliter l'accès aux camionnettes des ouvriers. Comme il fait plus de vingt degrés, avant de sortir, j'ôte mon pull pour rester en tee-shirt. c'est beaucoup mieux ! Je contourne la voiture pour ouvrir la portière de Nina qui range son magasine. Le trajet m'a un peu détendu de nos derniers échanges mais aussi le fait de lui montrer l'avancée des travaux. C'est un avec un demi sourire que je lui confie "Tu vas voir, ça commence à prendre forme !"

J'avais prévenu le maître de chantier Javic, que je passerais et il est là, un peu anxieux comme à chaque fois mais c'est ce qu'il faut ! Après presque trois semaines de travaux, le gros oeuvre est quasiment fini et ils attaquent enfin la reconstruction. On peut voir où ça va aboutir. Javic s'empresse autour de Nina, comprenant bien que si madame est là c'est encore plus important, il tente même de l'anglais dans son mauvais accent. "bonjour madame drazavic, je vous montrer les résultes"

Je lève le nez de mon magasine, où j'apprends que mes sautes d'humeur ne sont pas prêtes de s'arrêter, quand on approche de la maison. Je ne suis pas revenue depuis ce jour où on a récupéré les clés et rencontré le contremaître. Remettre les pieds ici me fait un drôle d'effet, entre joie parce que je suis tombée amoureuse de cette maison, et mélancolie parce que je nous sens à des kilomètres de l'état d'esprit dans lequel on était en l'achetant. Cette maison est absolument parfaite, pourtant, et je suis enfin enceinte, c'est tout ce que Slavenko a toujours pensé que je voulais. C'a a toujours été son argument, qu'il ne pouvait pas me donner la vie dont je rêvais, mais je n'ai jamais rêvé que d'être avec lui, et aujourd'hui que tous ces projets se concrétisent, je nous sens plus éloignés que jamais.

Je sors de la voiture, et nous sommes accueillis par le maître de chantier, et ça me fait drôle de voir d'autres personnes dans notre maison, de savoir que pour l'instant ils y ont passé plus de temps que moi. Ils connaissent mieux les lieux que moi ! Je ne le corrige pas quand il m'appelle Drazavic, même si aujourd'hui le nom grince à mes oreilles. Bonjour. Avec plaisir, on vous suit. On lui emboîte le pas jusqu'à l'intérieur, où en effet c'est en chantier, il y a de la poussière partout, mais je suis surprise en entrant dans le salon de voir que le sol est déjà posé. Je me tourne vers Slavenko, lui lançant un regard stupéfait. C'est drôlement bien avancé ! Je ne pensais qu'ils iraient si vite, je sais que les délais sont rarement respectés pour ce genre de choses mais là, ils semblent avoir été motivés. J'avance un peu pour constater que la cuisine a été complètement démontée, et ils n'ont pas encore eu le temps de poser les nouveaux meubles. Je demande à Slavenko : Tu sais s'ils ont déjà reçu la cuisine ? On a choisi ensemble pour la commander mais je ne me souviens plus des délais qui étaient annoncés. Javic, visiblement heureux que je sois agréablement surprise, s'empresse de nous guider vers la salle de bain du rez-de-chaussée. C'est terminé d'hier.

Je souris de l'étonnement de Nina, aussi content de sa surprise que l'est le maitre de chantier. D'ailleurs c'est vrai que particulièrement cette semaine les travaux ont bien avancé, je ne me doutais pas que la salle de bain était finie après les galères auxquelles on a été confronté. "Ah c'est une bonne nouvelle Javic, c'est bien" Il sait très bien que plus je suis content, plus il aura de gratifications au black. C'est donnant donnant. Je réponds à Nina concernant la cuisine qu'on a choisi "non les meubles de la cuisine n'arrivent que dans une semaine, d'ailleurs je dois rappeler le fournisseurs demain pour lui m'assurer que ce sera dans les temps - entendez par là lui foutre la pression. "De toute façon il fallait que les placo soient finis d'être posés." Le sol a fini de séché et me plait, les chambres quant à elles sont encore en gros travaux mais ce ne sont pas les parties les plus longues à faire. La peinture est choisie.

Javic nous montre avec enthousiasme le reste des travaux en cours, il est très désireux de plaire à "Madame" comme s'il sentait que c'était très important, que c'est elle qui décide et juge en bout de ligne. Ce qui est le cas, en quoi il est très perspicace. Je lui fais un signe de tête quand il va parler aux ouvriers pour montrer qu'il sait les motiver et les diriger sans aucun doute. Je souris, amusé au fond et satisfait. Appuyé au chambranle de la salle de bain, je cherche ensuite l'approbation de Nina "Alors srce ? Qu'est-ce que t'en pense ? Pour l'instant est plus que dans les temps !"

Je hoche pensivement la tête, c'est à la fois plus rapide que prévu, j'en ai bien conscience, et en même temps ça me semble toujours terriblement long parce que j'aurais voulu pouvoir emménager le jour même où on a eu les clés. En fait, on aurait pu, Slavenko n'aurait pas été contre, c'est moi qui tenais à tout prix à faire des travaux pour avoir une maison qui me plaise vraiment. Et c'est également moi qui voulais que les travaux en question soient faits avant qu'on emménage, je n'avais pas vraiment envie de vivre avec les ouvriers. D'accord, une semaine, ça va aller vite. Le plus gros du travail a été fait, en tout cas, c'est évident. Et je suis surprise que la salle de bain soit déjà terminée, je sais qu'elle plaisait à Slavenko telle qu'elle était mais ce n'était pas du tout mon cas. Et l'étage ? Il n'y avait pas de gros travaux à l'étage, en-dehors de l'autre salle de bain justement, et des peintures des pièces. Ce n'était à la base pas urgent, mais je me dis qu'il serait bien que tout soit fait d'un coup, parce qu'une fois que le bébé sera là, on n'aura plus le temps ni l'énergie pour entreprendre de nouveaux travaux. Je me tourne vers Slavenko avec un sourire, et je hoche la tête. J'imagine que c'est toi que je dois remercier pour le respect des délais, mh ?

"ah on a rien touché à l'étage srce. On a dit qu'on le ferait après . On aura encore quelques mois et ce sera pas si embêtant que les ouvriers fassent les travaux la journée quand on est pas là. Fallait faire vite sur le bas alors tous les ouvriers bossent en bas..." Sinon il aurait fallu beaucoup plus d'argent aussi, déjà que là on débourse une grosse somme, mais heureusement pas mal au black, ce qui fait que ça revient moins cher.

J'esquisse un autre sourire. "J'ai juste fait attention qu'ils flemmardent pas srce...j'aimerais bien qu'on emménage à temps et pas dans la poussière tu vois..." Je m'approche pour poser mes mains sur ses hanches et mon sourire s'accentue avec juste une dose de timidité - parce que je veux vraiment bien faire même si je suis souvent maladroit, comme tout à l'heure. Je lève une main pour effleurer son visage. "tu me remercieras quand on essaiera la nouvelle douche. Elle te plait ?" Je sais qu'on l'a choisi ensemble mais le résultat est toujours relativement théorique avant qu'on ne le voit de nos propres yeux.

Je sais, oui, c'était avant de savoir que j'étais enceinte... Il n'y avait pas d'urgence, je me disais que ça pourrait presque attendre deux ou trois ans sans que ça pose problème, et après tout dans l'absolu c'est encore le cas, l'étage est habitable, la salle de bain du haut est largement utilisable en l'état, c'est seulement qu'elle ne me plaît pas. Mais l'idée de faire faire les travaux une fois que le bébé sera là me déplaît, sans doute parce que j'idéalise totalement et que j'aimerais qu'il arrive dans une maison absolument parfaite. Je finis par hausser les épaules. C'est pas grave, c'est pas pressé. On aurait pu avoir l'argent pour faire les travaux de l'étage mais j'ai préféré acheter une voiture qu'il déteste, hein.

Et alors qu'est-ce qu'ils en disent ? On devrait pouvoir emménager quand ? Nous n'avons eu qu'une date très approximative au moment de faire le devis, et il faut encore qu'on prévienne notre propriétaire de la date exacte à laquelle on rendra l'appartement. Je me fige en retenant mon souffle quand il s'avance vers moi, pose ses mains sur moi comme si c'était naturel. Je serais peut-être convaincue par sa tentative de rapprochement si ses mots un peu plus tôt ne tournaient pas en boucle dans mon crâne. Mon regard s'assombrit sous la tristesse qui me traverse, mais je hoche la tête, mais j'ai dit que je ne ferais plus de vagues, alors je hoche doucement la tête. Elle a l'air très bien, oui. Elle est jolie, en tout cas.