Il faut que les diététiciens fassent un pas vers nous en rangeant les patates dans la catégorie légumes - Slavina

Les sourcils froncés, la tasse de café en main, je réflechis à une solution quand Nina fond en larmes. Je suspends mon geste de boire mon café, la dévisageant sans comprendre. Pour moi y a pas mort d'homme, vous voyez ? C'est un peu chiant de devoir s'organiser en dernière minute mais c'est pas non plus insurmontable puisque je suis sur Sarajevo, enfin pas très loin... "Mais enfin pourquoi tu pleures, srce ? C'est qu'un rendez-vous? C'est pas...grave."

D'ailleurs, maintenant que le bébé arrive, qu'on aura notre maison, mais aussi parce qu'en ce moment tout va tellement bien et que je ne suis pas angoissé, je trouve ça beaucoup moins grave si on décale le mariage parce qu'on arrive pas à tout faire "tiens au pire, on décale le mariage de deux mois, de toute façon vu qu'on a pas choisi de date ferme ni rien réservé, c'est pas un souci. Bon déjà si tu me disais à quelle heure c'est cet aprèm que je vois si je peux chopper un créneau." Un créneau d'une heure entre deux tabassages, ha ha, qu'est-ce qu'on rigole... J'ai vraiment un boulot de con parfois (souvent ?).

J'écarquille les yeux, absolument horrifiée par sa proposition. Tu veux décaler le mariage ?! Les joues déjà trempées, je sanglote de plus belle à cette idée qui me terrorise, disons-le clairement. Je trouve déjà le temps infiniment long jusqu'au mois de juillet, je n'ai aucune envie de reporter encore. Et de deux mois, en plus, ce serait absolument terrible ! De quoi est-ce que j'aurais l'air, dans deux mois ? Je n'ai aucune envie d'avoir un gros ventre dans ma robe de mariée. Tout le monde va penser qu'on se marie seulement parce que je suis enceinte ! Et oui, bien-sûr que ça m'importe ce que pensent les gens, en tout cas les gens d'ici, sa famille, ses amis, les Tigrovi. Je ne veux pas qu'on croit à un mariage de convenance comme celui de son père, qui a clairement admis que c'était à cause de la grossesse d'Aleksandra qu'ils étaient si pressés de se marier.

J'oscille soudain étrangement entre désespoir le plus noir et une légère colère que je ne parviens pas tout à fait à définir. Je répète, bornée : Je ne veux pas décaler le mariage ! Et je persiste à penser que l'organisation n'en serait pas si compliquée si on avait choisi un petit mariage simple plutôt que cette cérémonie rocambolesque où vont venir des tas de gens que je ne connais même pas, et peut-être certains qu'il ne connaîtra pas non plus ! C'est à quinze heures cet après-midi.

"Juillet ou Septembre ça ne change pas grand chose..." Je suis profondément perplexe face à ses larmes que je juge totalement inutiles. En juillet, elle sera déjà visiblement enceinte, je crois que personne ne sera dupe. Et qu'est-ce que ça fait ce que les gens pensent ? Et puis, la moitié des mariages en Bosnie sont bien dus à l'arrivée d'un môme. Je ne pense pas que ça choque qui que ce soit.

Je soupire - un peu agacé - devant son entêtement borné. Quinze heures. En plein milieu de l'après-midi. Pile poil. Autant dire que ça ne m'arrange pas du tout. "Est-ce que tu es surd que tu ne peux pas voir la conseillère toute seule ?" Moi je veux bien faire des efforts, j'essaye de m'organiser au quotidien, mais j'ai un taf et là ce n'était absolument pas prévu. Je suis sergent, je ne peux pas laisser tomber mon groupe juste pour ma convenance personnelle ! Mes gars aussi ont une vie personnelle qu'ils organisent. Je ne vais pas chambouler leurs projets juste pour moi. Et je ne peux pas reporter, le client se montre impatient. "Elle parle anglais, vous n'aurez qu'à voir les grandes lignes et tu me feras un rapport ce soir. Au pire si vous avez une question, vous m'appelez."

Sa remarque me fait ciller violemment et je cligne des yeux, en priant pour avoir mal compris. Si ça n'importe plus qu'on se marie rapidement, j'aimerais bien savoir pourquoi on se marie, au juste ! Il disait que le fait qu'on ne soit plus mariés lui était insupportable, mais visiblement il est parfaitement d'accord pour repousser ad vitam. Parfait ! Un rapport ? Je te ferais un rapport ? Il m'a prise pour l'un de ses hommes ou comment ça se passe ? Ce qu'il y a de bien avec la colère, c'est qu'elle a toujours été terriblement efficace pour chasser mes larmes, et je n'ai soudain plus du tout envie de pleurer. Je hausse les épaules. Tu sais quoi ? T'as raison, j'ai absolument pas besoin de toi pour ce rendez-vous. Ce rendez-vous a la con qui n'a pourtant finalement lieu que pour lui parce que si on s'en était tenu à ce que moi je voulais, on n'aurait pas besoin d'une putain d'organisatrice pour notre mariage ! C'est lui qui tient à ce qu'on fasse une grande cérémonie pour y inviter toute la Serbie, et j'ai l'impression subite de n'être rien de plus qu'un autre accessoire dans ce projet. Puisqu'il est donc évident que mon avis -ou mes envies- ne comptent absolument pas ! Il se fiche que je veuille un petit ou un grand mariage, que je veuille ne pas avoir l'air ridicule dans ma robe de mariée ou même de la date que je voulais.

Je me lève du lit, en colère à présent, regrettant aussi bien ce petit-déjeuner préparé que la façon dont je l'ai réveillé. Tu sais quoi puisque tu te fiches bien qu'on soit mariés ou pas je ne vois même pas pourquoi j'ai ce rendez-vous de toute façon, on n'a qu'à repousser à après l'accouchement. On n'a qu'à ne pas se marier, voilà, je vais lui écrire pour annuler. Et je prends mon téléphone.

"ben ouai un rapport...un...compte rendu si tu préfères" Mon Dieu mais pourquoi est-ce qu'elle s'énerve brusquement ? Ah voilà, elle admet ne pas avoir besoin de moi pour le rendez-vous et naïf que je suis, j'y crois une seconde. C'est vrai, on sait tous les deux que je serais parfaitement inutile pour choisir le thème, la couleur des tables ou les fleurs...La salle, on peut voir ça sur une liste préparée par l'organisatrice. Il n'y a réellement que la date et encore. Moi tant que ma famille est conviée, le reste est accessoire. C'est une fête pour célébrer une union, et contrairement à Las Vegas, c'est réellement dans cette optique de je veux me marier. Ça et pour le bébé bien sur même s'il est venu après notre décision. Disons que le mariage est une étape normale pour former une famille.

Comme brusquement Nina s'énerve, je me lève à mon tour, fâché. Oublié l'agréable réveil. "Quoi ? Mais j'ai jamais dit que je m'en fichais ! Juste qu'on est pas à deux mois prêts puisque de toute façon tu seras quand même enceinte et que je me fous bien de ce que "les gens" diront. Jebote Nina, c'est quand même pas ma faute si tu as oublié de me dire que le rendez-vous avait changé de date ! Alors je veux bien faire des efforts mais je bosse cet aprèm ! Je ne peux pas me taper un aller-retour en laissant mes gars. Si tu ne veux pas le faire toute seule ce putain de rendez-vous, décale-le ! "

Pour changer, on ne se comprend absolument pas, mais c'est bien, c'est une situation familière au moins. Mais ça m'est égal d'aller à ce rendez-vous toute seule ! Ce qui me rend folle c'est que tu sois prêt à décaler notre mariage ! Le rendez-vous de cet après-midi a été relégué loin, très loin dans la liste de mes préoccupations. Quant au fait qu'il me désigne subitement responsable, je ne dis rien pour le contredire puisque après tout il a raison, c'est moi qui ai oublié de le prévenir. Comme si je restais chez nous à me tourner les pouces. Alors certes, c'est lui qui gère pour le déménagement, mais merde, moi aussi je bosse, faire tourner l'agence n'est pas une mince affaire, et en ce qui concerne l'organisation de ma grossesse, c'est moi qui gère tout ! Donc je pense qu'on est largement quittes de ce côté-là, merde. Moi je suis à deux mois près, j'en sais rien comment je me sentirais d'ici septembre, tu vois, je serais à trois mois d'accoucher à ce moment-là ! Mais jusque là en terme de soutien psychologique, rien à signaler de nouveau, hein, niveau empathie il est toujours au point mort. A part vérifier que je me laisse pas crever de faim...

"Alors pourquoi tu dis que tu ne veux pas y aller toute seule si ça t'es égal ? Et pourquoi tu dis que tu annules le rendez-vous ? " Il y a deux minutes, elle fondait en larmes. Elle essaye de me rendre chèvre. Sincèrement e n'insisterais pas sur le fait qu'elle a oublié de me filer le rendez-vous parce que ça arrive à tout le monde et que je m'en fous royalement - si elle me foutait la paix et n'essayait pas de me faire passer pour le méchant. J'essaye de trouver des solutions mais à un moment, si on ne voit pas l'organisatrice au moins UNE fois, ce sera difficile d'être prêt pour Juillet, soyons lucides. "On est au mois de mai, j'essaye juste d'être réaliste. On savait déjà que ce serait chaud pour juillet, mais si on ne voit pas l'organisatrice, je sais pas comment ce sera possible ! Et je dis juste que y a pas mort d'homme !" Moi je trouve qu'elle fait une montagne de rien. Ce ne serait pas la première femme à se marier à 6 mois de grossesse. A trois mois d'accoucher, ça laisse de la marge non ?

Comme Nina est un être profondément irrationnel, je laisse tomber avant que ça ne m'énerve d'avantage. Parce que sincèrement, la moutarde commence à me monter au nez, et ce serait stupide de s'engueuler pour si peu - oui c'est moi qui dit ça ! "Écoute, fais comme tu veux, mais si tu peux aller à ce rendez-vous, envoie moi un sms avec l'adresse. Et si je peux, je viendrais." J'ouvre l'armoire pour prendre des fringues. Autant partir au taf maintenant, si j'arrive à réunir mes gars plus tôt, on commencera l'opération en avance et avec un peu de chance, j'aurais fini à l'heure pour le rencard.

Je dois me mordre la langue pour ne pas répondre. Je ne veux pas y aller seule parce que je voudrais ne pas avoir à y aller du tout. Il semble oublier que je l'ai demandé en mariage parce qu'il se vidait de son sang dans mes bras. Je n'avais pas envie d'attendre, d'une grande cérémonie, de patienter trois ans pour organiser un mariage princier. Je voulais porter son nom à nouveau, lier nos âmes pour de vrai cette fois, pour conjurer l'angoisse que j'ai ressenti lorsque j'ai cru le perdre pour toujours. Ses envies de mariage traditionnel m'échappent. J'ai la sensation que ce n'est que pour se conformer à ce qu'on attend de lui, pour plaire à sa famille peut-être. Mais je ne suis plus convaincue que nos motivations soient les mêmes aujourd'hui.

En le voyant prendre ses affaires pour s'habiller, je me rembrunis encore un peu. Il devait bosser cet après-midi, et le voilà qui se tire maintenant, tout pour éviter la discussion et/ou le conflit, comme toujours. J'inspire, essaye de ne pas me mettre plus en colère encore parce que je me connais, c'est un coup à me retrouver connement dans un avion pour New-York. Je récupère un tee-shirt pour me couvrir, je crois que je vais arrêter de me désaper ce sera plus simple, et je sors de la chambre en le laissant se changer. Qu'il fasse bien ce qu'il veut, j'ai décidé à l'instant que ça m'était égal. Je n'irais pas à ce rendez-vous, on ne se mariera pas en juillet, et on ne se mariera pas en septembre non plus !

Je suis surpris qu'elle ne me réponde pas mais je suppose que c'est parce qu'elle est ok avec ma proposition. Celle de m'envoyer un sms. Je vais vite prendre une douche et je m'habille de manière classique et anonyme, treillis noir, presque gris à force d'être délavé, un tee-shirt, ma veste plus épaisse, efficace contre les coups de couteau, on sait jamais et mes sacro-saintes rangers. Je suis loin de me douter de l'état d'esprit de Nina. Je n'ai bizarrement pas l'impression que la situation soit grave.

Je viens embrasser Nina avant de partir, parce que je ne suis pas fâché, pour moi ce n'est qu'un aléas d'agenda, rien qui ne se résolve avec un peu de bonne volonté, en quoi je suis à mille lieues d'imaginer le drame qui se joue. "Je me dépêche zlato, tu me tiens au courant ?"

Je cille quand il vient m'embrasser comme si de rien était en me demandant de l'appeler, alors qu'il se barre de chez nous avec plusieurs heures d'avance, juste après m'avoir négligemment balancé qu'il ne serait pas contre l'idée de repousser notre mariage. Alors oui, clairement, on n'est pas dans le même état d'esprit du tout. Seulement maintenant, je ne me sens plus vraiment autorisée à louper le rendez-vous en question. Je suis déjà douchée, alors je m'habille seulement pour aller à l'agence, moi aussi j'ai un travail bordel ! Toujours en colère, je passe la matinée à bosser en envoyant chier plus ou moins la terre entière... A tel point que je me prends méchamment la tête avec un client important, que j'insulte copieusement avant de le foutre à la porte. Moins d'une heure plus tard, je reçois évidemment un appel de Dimitri, qui est furax, et que j'envoie chier également. Avec tout ça, non seulement je n'avais pas l'intention d'appeler Slavenko, mais en plus je n'aurais pas eu le temps de le faire même si je l'avais voulu.

Autant dire que lorsque vient l'heure du rendez-vous, je suis dans un état de nerfs difficilement descriptible, et il me faut environ deux minutes chrono pour fondre en larmes devant l'organisatrice, qui ne comprend pas du tout ce qu'il se passe. Je commence par lui dire qu'il faut décaler le mariage à l'année prochaine, et puis qu'on ferait mieux de tout annuler, et je crois qu'elle devient blême avant que je ne lâche, entre deux sanglots incompréhensible, que je suis enceinte. Son visage s'éclaire d'une brusque lueur de compréhension, et elle m'explique qu'elle a trois enfants, et qu'elle comprend parfaitement que je sois chamboulée. Dieu que le mot est faible, j'aimerais bien que Slavenko le comprenne de la même façon ! J'ai droit à des mouchoirs, un thé, et même des biscuits avant qu'elle ne parvienne à me convaincre de lui parler organisation de mariage.

Une fois au QG, je m'arrange pour créer des équipes en shift avec l'excuse bidon de créer une pression psychologique sur la durée pour le quartier. L'idée - qu'on qualifie de brillante aheum... - fonctionne auprès du lieutenant et je prends le premier quart qui se monte immédiatement avec les gars présent. Le second sergent prendra la suite avec le reste de l'équipe. J'ai laissé la voiture à Nina, donc je monte en bagnole avec un de mes gars et on se rend à la périphérie de Sarajevo. La mission n'est pas très compliquée même si on n'est pas à l'abri qu'un type pète un câble et nous accueille à coups de fusil à pompe, c'est déjà arrivé. Mais pas cette fois. On terrorise et on rackette dans les règles de l'art. Le temps de faire la passation avec l'équipe suivante et j'envoie un sms tout en clopant dans la bagnole qui me ramène vers Sarajevo. Je trouve ça bizarre que Nina ne m'ait pas envoyé avant l'adresse mais si elle a annulé autant en avoir confirmation. Comme elle m'envoie une adresse, je demande qu'on m'y dépose en passant.

Je coure dans les escaliers, délaissant le trop lent ascenseur pour enfin arriver au rendez vous avec vingt-cinq bonnes minutes de retard, mais ça aurait pu être pire. Les salutations d'usage aboutissent à "Félicitations !!" d'un air entendu de la part de la wedding planner. Je ne comprends pas tout de suite pensant qu'elle parle du mariage, ce qui est un peu étrange parce que si on est là c'est pour ça, mais je comprends ma méprise quand elle dit que ça ira très bien même si la mariée est enceinte, que c'est courant, blablabla. Je fais une drôle de tête mais je me tais. Non mais, j'ai pas le droit de le dire à ma famille mais Nina ne se gêne pas de le dire à une parfaite inconnue. Je ne comprends pas bien la démarche. Y a vraiment un paquet de chose qui m'échappe !

Je me coule sur le canapé, sagement, près de Nina, dont j'essaye de croiser le regard, histoire de savoir où nous en sommes. Je suspecte des larmes récentes et je n'ose même pas demander si tout va bien. Brusquement, je me sens au milieu d'un champs de mines entre les deux femmes.

J'ai très envie d'ignorer Slavenko quand il m'écrit, mais je prends sur moi de lui répondre pour lui donner l'adresse où nous sommes. Bien-sûr, je cille quand l'organisatrice me vend direct, trahissant mon aveu, mais je lui ai fait promettre de ne rien dire à personne... Je me doute bien qu'elle ne pensait pas au futur père ! Quoiqu'il en soit je ne me sens pas coupable, puisque mon propre futur-mari est incapable de la moindre compassion à mon égard, j'avais juste besoin de me retrouver cinq minutes en face de quelqu'un qui comprend ce par quoi je suis en train de passer. Quelqu'un capable de me dire que oui, c'est normal de pleurer pour rien, et de me consoler comme si c'était vraiment grave au lieu de me regarder comme si j'étais hystérique ou juste complètement folle. C'est tombé sur elle, je trouve ça mieux que sur un ami ou une connaissance parce qu'au moins, on n'a pas de cercle de proches en commun, donc il y a moins de risques de fuites.

Quand il s'installe à côté de moi, des tas de papiers sont déjà étalés sur la table basse, de même que plusieurs mouchoirs chiffonnés qui témoignent -en plus de mes yeux- que oui j'ai encore pleuré. Ça va, on a compris. Dieu merci, l'organisatrice brise le silence à ma place, avec un enthousiasme et une bonne humeur à toute épreuve. Dans ce milieu il vaut mieux, j'imagine. Nina m'a dit que vous vouliez vous marier en juillet, ça va être juste mais si j'ai toutes les infos aujourd'hui pour réserver la salle et la cérémonie, je devrais pouvoir m'organiser. Elle se tourne vers le slave pour s'adresser directement à lui, cette fois. Elle m'a dit que le budget n'était pas un problème, en revanche vous avez une idée plus précise du nombre d'invités ?

Comme j'ai fait mes devoirs - je les avais préparés pour la fois précédente qui a été décalée - je prends maladroitement mon téléphone pour chercher la liste de ma cousine à laquelle j'ai adjoint ma propre liste. "oui, ma cousine s'est mariée l'année passée, elle m'a donné la liste et j'ai ajouté des personnes. J'ai toutes les adresses." Ça a été facile, celle de la famille, ma cousine les avait, celles des tigrovi, je les ai eu dans le fichier des membres. Il ne me restait qu'à ajouter quelques amis et le tour était joué. "Nina a encore sa liste à ajouter alors je ne sais pas...heummm j'ai 289 personnes. ha non, j'ai oublié ma tante maternelle et mes cousins...alors ça fait...295. Et toi srce ?"

Je suis soulagée qu'il ait la liste de ses invités, parce que j'étais absolument incapable de donner un chiffre exact à l'organisatrice. Je blêmis au chiffre qu'il annonce, cillant méchamment. Presque 300 personnes ? C'est beaucoup plus que ce que je m'étais imaginé... Tu crois... Tu crois qu'ils vont tous venir ? Rien que d'y penser, je crois que j'ai de nouveau la nausée. D'autant que moi aussi, j'ai préparé ma liste, et c'est bien ça le pire. Je déglutis difficilement avant de répondre, en baissant les yeux tant je me sens mal. De mon côté il faut compter trente personnes, grand maximum... J'aurais le chiffre exact quand on pourra envoyer les invitations mais... Ouais, entre vingt et trente personnes. Il y a des tas de personnes que je ne prends même pas la peine d'inviter parce que je sais d'avance qu'ils déclineront. Quant aux amis new-yorkais que j'invite, je ne suis pas certaine que tous veuillent venir considérant l'image qu'ils ont de mon futur époux. Ajoutez à ça le fait que je n'ai pas de famille, et le compte est vite fait. Trois-cent personnes que je ne connais pas, toutes là pour Slavenko, et si je suis réaliste il y en aura sans doute seulement une quinzaine pour moi. Est-ce que quelqu'un comprend maintenant pourquoi cette cérémonie me fait plus peur qu'elle ne m'enchante ?

"J'en sais trop rien, j'espère." Bah ouai, moi je suis heureux d'inviter tout le monde. Je ne vois vraiment pas où est le problème. L'année passée, le mariage de ma cousine était une franche réussite, et aujourd'hui j'accepte le fait que j'ai droit aussi à des belles choses qui me tiennent à cœur. J'ai beaucoup progressé non ? je hoche la tête. "Alors partons sur une salle qui peut contenir 300-350 personnes. Pour le traiteur, je suppose que ça peut s'ajuster." "Oui, bien sur, sauf qu'il ne reste pas beaucoup de temps pour juillet, ce serait mieux d'avoir très rapidement une vue très claire. " "ok, on vous donnera ça rapidement, hein zlato ?" j'esquisse un sourire pour Nina qui m'a l'air plus tendue qu'heureuse. Discrètement, je prends sa main dans la mienne, mine de rien. Je suis un peu perturbé par la quantité de mouchoirs qui jonchent la table basse... "Qu'est-ce que tu crois srce ? Ce serait mieux un repas à table ou un buffet ?"

Le plus hallucinant, c'est que ça ne semble absolument pas perturber Slavenko. 350 personnes. Le chiffre ne choque visiblement que moi. Même l'organisatrice n'a pas l'air de tiquer. Et la différence du nombre d'invités entre nous deux, tout le monde s'en fiche aussi ? Apparemment, oui. Je répète, en pressant mes mains moites sur mon jean. Il me faut la date exacte pour avoir la liste des invités... Tous ceux que j'invite, en-dehors de Yulian et des filles qui bossent pour moi, vivent aux Etats-Unis, disons que ça reste un voyage qui se prévoit quand même et il faut que je leur pose la question. Puisque nous sommes pressés, j'imagine qu'on repassera pour les jolies petites invitations cartonnées, de toute façon ç'aurait sans doute été hypocrite tant certains abhorrent l'idée de ce remariage. Les doigts se Slavenko se nouent aux miens et je tente vaillamment de maîtriser les légers tremblements de ma main. Je crois que je ne me sens pas très bien. Je sais pas... Un buffet ça risque d'être le bordel mais... Trois cent personnes à faire manger à table c'est... Je sais pas... C'est pas un peu compliqué ? Je lève un regard clairement désespéré vers l'organisatrice, sur ce coup c'est à elle de nous conseiller, non ? Et bien, si vous voulez un mariage traditionnel, un repas à table serait sans doute mieux. Ca s'organise très bien, dans la salle adéquate.

Je sens la main de Nina trembler, et je caresse le dessus du pouce. Je ne sais pas pourquoi elle panique comme ça. Je suis plutôt rassuré puisque la wedding planner n'a pas l'air de s'en faire à propos de la date, j'avais surtout peur de ça surtout que Nina n'avait pas l'air de vouloir décaler. "Sincèrement je préférerais un buffet." Nina a raison, rester à table en grande tablée, ça va juste être l'horreur. Toutes nos fêtes de famille se font avec des buffets, la Slava, les anniversaires, je crois que ça fait partie de notre fonctionnement. "qu'est-ce que tu en penses srce ? Ce serait p'tre mieux d'avoir une grande salle avec un buffet et un truc pour danser même en parallèle non ?" Je nous imagine mal immobiles des heures durant, ça ne nous ressemble pas.

Je suis sincèrement soulagée que Slavenko opte pour le buffet. A vrai dire je n'ose pas prendre de décisions à propos de ce mariage parce que c'est lui qui décide de tout depuis le départ, et que rien ne correspond de toute façon à ce dont j'aurais pu rêver, à ce que j'avais imaginé pour nous. A mon sens, rien de tout ça ne me correspond, alors autant lui laisser complètement le contrôle, au point où j'en suis... C'est bien pour ça que me laisser venir seule à ces rendez-vous n'a pas le moindre sens. Mon seul soulagement -très superficiel j'en conviens- était de pouvoir choisir ma robe, parce que là-dessus personne n'aurait eu son mot à dire. Mais si mon ventre commence à pousser d'ici là, même ce choix va s'avérer plus difficile que prévu.

Oui, je préférerais un buffet aussi... Parce que passer trois heures assise à table avec son père et son oncle, comment vous dire... Seulement je n'osais pas vraiment le dire parce qu'il me semblait bien que pour un mariage traditionnel, il voudrait un vrai repas à table. Et puis soudain, quelque chose me vient à l'esprit. Oh, oui, c'est de ça que je voulais parler. Pour le repas, si on pouvait ne pas prévoir uniquement des plats typiquement serbes, ce serait bien. Elle sait que je suis américaine et pouvoir avoir un tout petit quelque chose de chez moi me rassurerait, je crois, même si ça reste une maigre consolation.

Je souris parce qu'on est d'accord. Je trouve qu'on s'en sort plutôt bien jusqu'ici. Pour la nourriture, elle m'en avait parlé alors je ne suis pas surpris. j'ajoute simplement "Nina vient de Louisiane, alors ce serait bien des plats de chez elle. Je suis sur qu'on peut trouver un traiteur qui fait ça..." L'organisatrice note nos choix, cochant des cases dans son calepin.

"Pour le site, je sais que ça se fait beaucoup dans des hôtels de luxe mais on préférerait un truc plus...plus...joli ? genre un demeure ou un château... Vous voyez ?" C'est là où elle brandit un énorme classeur avant de s'adresser directement à Nina, ce qui me laisse supposer que c'est la partie féminine qui remporte souvent le choix. Elle saute des pages - sites trop petits à ce que je comprends aux images - pour passer directement aux sites qui pourraient nous intéresser.

J'ai un peu de mal à imaginer quel genre d'endroit pourrait accueillir tant de monde, mais une fois de plus l'organisatrice ne semble pas perturbée outre-mesure par nos demandes. Moi aussi, je crois que j'aimerais mieux autre chose qu'un hôtel de luxe, ça me rappellerait trop le boulot ! A quel point est-ce qu'on peut s'éloigner de Sarajevo ? J'imagine bien qu'en plein centre de la ville, ça risque d'être plus compliqué à trouver. Je réponds en jetant un regard en coin au slave : Je ne sais pas... Je dirais pas plus de trois heures de route ? Après tout dépend du lieu... Non ? Après, je crois que Slavenko voulait que la cérémonie religieuse se fasse en ville, alors ce serait dommage de couper la journée avec quatre heures de bagnole juste derrière... Mais j'ai envie de voir les domaines qu'elle peut nous proposer.

Elle s'arrête sur un premier château. Celui-ci se trouve sur le lac de Jablanica, à 1h15 d'ici environ. Ils sont habitués aux mariages et pour les photos, c'est absolument splendide. On croirait un minuscule village, je ne peux pas nier que c'est assez incroyable. Elle nous laisse le temps de regarder quelques photos avant de nous en montrer un autre, près du lac de Rama cette fois, à un peu plus de deux heures de route d'ici. L'hôtel a des airs de château princier cette fois. Sinon, dans un style différent, j'ai un domaine en pleine campagne à... Deux heures de route, un peu moins. Celui-ci semble beaucoup moins formel et je crois que ça me plaît bien, même si j'essaie de ne pas montrer de préférence trop évidente sans d'abord savoir ce qu'en pense Slavenko, qui va peut-être demander à en voir d'autres, d'ailleurs.

Pour le mariage, on avait le choix entre Sarajevo ou Banja Luka, mais Nina a marqué sa préférence pour Sarajevo et ça me va. Je comprends bien qu'elle n'ait pas envie de se retrouver dans ce qu'elle considère le fief de mon oncle. Peut-être aurais-je aimé Banja Luka parce que c'est en RS, mais au fond ça m'est égal. Une église orthodoxe est une église orthodoxe et d'un point de vue logistique, ce sera plus simple d'être prêt de la maison, d'autant plus que Nina est enceinte.

"Je préfèrerais que ce ne soit pas si loin que trois heures..." L'alcool a tendance à couler à flots aux mariages et ce n'est pas peu dire. Le premier me plait bien et je tapote l'image du bout de l'index. "Qu'est-ce que tu penses de celui là ? C'est joli avec le lac et une heure et quart, c'est raisonnable." Avec le lac c'est sympa, il fera surement chaud en juillet, et si on peut profiter du jardin, du lac, ce sera franchement bien. Plongé attentivement dans le descriptif je le lis lentement. Il y a des chambres pour héberger ceux qui voudront rester sur place et ne pas faire la route. Comme sans doute ma tante qui vient de Hongrie. Ou encore mon oncle qui vient de Banja Luka. Et puis sans doute mon père et sa femme qui sera enceinte de sept mois.

On prend le temps d'observer toutes les photos, mais je sais déjà que je n'aime pas beaucoup le second, ça fait vraiment trop château de princesse et je me sens déjà suffisamment mal à l'aise comme ça sans en rajouter une couche. Celui sur lequel s'arrête Slavenko a également des allures de château mais plus... campagnard, plus modeste. Il me plaît mieux. Mon préféré était sans doute le dernier mais il a raison, c'est mieux si ce n'est pas très loin. Une heure de route, c'est largement faisable par tout le monde. Je l'aime beaucoup, oui... Il est vraiment joli. Puis je pense que la plupart de mes invités vont forcément devoir rester dormir, soit dans le domaine soit à l'hôtel. Puisqu'aucun d'entre eux, en-dehors de Yulian, ne vit à Sarajevo.

Tu as vu, ils mettent même des barques à disposition, pour ceux qui veulent faire un tour sur le lac. A cette période de l'année, on pourra même se baigner. Je ne sais pas si ça se fait, à un mariage, mais je crois que je commence à en avoir assez de penser à ce qui est conventionnel, raisonnable ou pas. Notre vie manque cruellement de spontanéité en ce moment, si vous voulez mon avis ! Après un regard échangé avec le slave pour une ultime confirmation, on tombe donc d'accord. Oui, celui-là est parfait. On part là-dessus, comme ça on pourra avoir une date rapidement.

"ouai, je trouve le lac super chouette. C'est bien les barques. Faudra juste faire attention aux mômes...Ah vous pourriez prévoir des baby sitters ? Sur la liste, les âges sont indiqués..." Je suis soulagé qu'on ait trouvé et que ça avance si bien en un premier rendez-vous. Sincèrement j'avais peur que ça coince. J'espère qu'on aura une date, je me charge de faire le forcing si jamais ce n'est pas le cas. Si Nina veut se marie en juillet, on se mariera en juillet. On discute encore des faire-part, du texte à mettre sur celui-ci. Comme Nina n'a pas de famille, on opte pour quelque chose de classique en notre nom propre, sans mentionner toute la généalogie comme on trouve parfois sur les invitations les plus traditionnelles. Dès que la date et le lieu seront bouclés, l'organisatrice enverra les versions à l'imprimeur et nous aurons aussi une version mail.

Je consulte mon téléphone et tique à l'heure qui s'est écoulée. "Je suis désolé mais je dois vous laisser finir sans moi. Je ne sais pas s'il y a encore beaucoup de trucs à voir..." Je me suis absenté comme j'ai pu, mais je dois retourner au QG pour la fin de mission, faire le point avec l'équipe. Je dois appeler le client aussi. Je me tourne vers Nina, un peu anxieux de sa réaction.

Moi aussi, je suis soulagée qu'on ait au moins réglé le problème de la location. Reste à voir si on aura une date au moment qu'on souhaite, mais je me dis que s'il y a bien un moment où la réputation des Tigrovi doit nous servir à quelque chose, c'est maintenant, non ? Mila, l'organisatrice semble plutôt confiante en tout cas, et j'oublie un peu mon anxiété jusqu'à ce que Slavenko doive nous abandonner. J'acquiesce sans faire de commentaires, je ne m'attendais pas à ce qu'il vienne du tout alors qu'est-ce que je pourrais lui reprocher de toute façon ? Je crois que je suis encore légèrement en colère contre lui malgré tout, et je me contente d'un baiser bref avant de le laisser filer.

Avec Mila, on continue encore une quarantaine de minutes. On parle notamment du buffet un peu plus en détail, et je lui demande également de l'aide pour une robe de mariée particulière, étant donné que mon ventre devrait se voir un peu plus d'ici là. Elle me donne l'adresse de deux boutiques dans lesquelles me rendre de sa part. Il faudrait qu'on se revoit une fois la date fixée et la salle réservée, pour parler des détails. Elle fait notamment allusion au déroulement de la soirée, et surtout à la décoration. Mais c'est un peu prématuré pour l'instant parce qu'il faut que ce soit adapté au lieu, et tant qu'on n'est pas sûrs de l'avoir... On se quitte donc là-dessus, et je la remercie avant de retourner à l'agence.

Je trace et hèle un taxi pour retourner au QG finir ma mission, voir mes hommes, mon lieutenant et faire mon rapport. Globalement ça s'est bien passé, on attend les jours prochains pour voir les retombées, qui se manifesteront en nombre de signatures. A partir de plus de 60% de signatures, le conseil de la commune pourra décider d'exproprier le reste des habitants qui sont sur le site de la future usine chinoise. Mais plus on a de signatures, plus facile ce sera. On nous a clairement demander de viser les 80%. Les chinois sont ds clients exigeants.

En rentrant en bus, je m'arrête à la supérette pour acheter de quoi manger ce soir. Quand je rentre Nina n'est pas là. Je mets les fleurs achetées dans le vase - celui qu'elle acheté et qui ne sert pas assez - parce qu' après la journée compliquée qu'on a eu, je me suis en voyant les bouquets que ce serait une bonne idée. Puis je prends une douche et enfile un pantalon de training et un tee shirt propre. Je prépare le diner, du sauté de veau et tandis qu'il mijote, je me sers une vodka et m'allume une clope. Assis en tailleur par terre, dans le salon, je vais allumer la tv quand mon regard tombe sur les magasines de grossesse. J'en prends un hasard pour commencer à le lire en sirotant ma vodka. Je lis lentement, l'air concentré. J'ai laissé la fenêtre ouverte parce que je fume, mais il ne fait pas très froid alors je n'ai pas allumé la cheminée. Je le ferais quand Nina rentrera. Lentement, avec une concentration d'enfant à un cours d'école, je me plonge dans ce monde mystérieux de la grossesse.