One step closer || Slavinenko

Je suis fatigué et j'ai eu ma dose d'émotions entre l'euphorie de la naissance mais surtout l'angoisse et le stress qu'elle a apporté. Elle est trop tôt, à risque et j'ai eu furieusement peur pour Nina qui a l'air de se foutre d'avoir manqué se vider de son sang. C'est donc d'un ton assez sombre que je réponds, rattrapé par la réalité de ce qui nous attend dehors "Je ne sais pas." Je suis toujours censé être mort, ou disparu, et officiellement cet enfant n'a pas de père. Il ne porte mon nom que parce que Nina et moi sommes mariés. Tant que Nina n'aura pas déclaré que cet enfant est celui de son mari - disparu ou présumé mort - Tomas n'est légalement pas mon fils. D'une certaine façon cela protège Nina. Jelenko ne pourra pas risquer de la tuer sans pouvoir prouver que le bébé est de moi et doit lui être confié. Quoique, avec ses appuis politiques, je ne suis sur de rien et ça m'inquiète.

Nina pourrait me poser un millier de questions que je n'en n'aurais pas les réponses. Je ne sais pas de comment va se passer la suite et je suis dépendant de tierce personnes - mon frère - pour la conduite de la suite des opérations. Je vais mieux physiquement, mais moralement je ne suis pas loin de péter un câble. Alors je reste sagement assis à attendre parce que je ne peux rien faire de constructif. Mon regard grave et sombre - pensif - est posé sur le berceau et je ne vois pas Nina me regarder. Je me demande comment je vais pouvoir les protéger et l'envie me démange d'appeler mon frère pour savoir ce qu'on va faire. Je n'en peux plus de ronger mon frein. A la remarque de Nina, j'esquisse une ombre de sourire à la fois désabusé et tendre. "Oui, il est magnifique. I ressemble à sa mère, c'est pour ça. "

C'est étrange mais si j'étais furieusement angoissée à l'idée qu'on doive se séparer à nouveau avec Slavenko, maintenant que Tomas est avec moi ça ne m'inquiète plus autant. Je suis là où je dois être, avec mon fils, et ma seule raison d'être pour l'instant c'est de veiller sur lui, de le protéger. Notre séjour à l'hôpital devrait durer une dizaine de jours au maximum, et je me console en songeant que je pourrais toujours le rejoindre où il se cache une fois que nous sortirons. L'idée de rentrer à la maison sans mon mari ne m'effleure pas l'esprit, ce n'est plus une option dans mon esprit. Non la seule chose qui me préoccupe en ce moment, en-dehors de la santé de mon fils, ce sont les réactions de Slavenko. Pourquoi n'a-t-il pas l'air inquiet pour son fils ? Pourquoi le regarde-t-il à peine ? Comment fait-il pour ne pas avoir envie de pleurer dès qu'il pose les yeux sur lui ? C'est un peu tôt pour dire à qui il ressemble... Je réponds dans un sourire un peu inquiet.

J'imagine qu'il est anxieux parce qu'il ne devrait pas être là, et même si j'aimerais qu'il reste auprès de son fils je ne veux pas le mettre en danger pour autant. Mon amour je comprendrais que tu veuilles rentrer maintenant, tu sais...? Je suis sûre que je peux m'en sortir, on ne pourrait pas avoir plus d'aide que dans ce service. Je tends la main vers lui, effleure son avant-bras du bout des doigts. Je t'enverrai des photos tous les jours. Toutes les heures si tu veux. Et on s'appellera, si tu ne peux pas revenir... Et dès que je suis autorisée à sortir d'ici, on viendra te rejoindre, où que tu sois. On trouvera forcément une solution, on y est bien parvenus jusque là.

Quand elle touche mon bras, je lève les yeux de la couveuse pour regarder Nina. Après un silence où j'essaye de sonder sans succès ses pensées, je réponds "non, je vais rester cette nuit. Si je pars avant que le jour se lève, je devrais pouvoir rentrer sans encombres." et encore me cacher. Je n'ai pas vraiment le choix si je veux rester en vie, alors je m'efforce de l'accepter sans regimber. Mes petits états d'âme n'ont pas d'importance et je peux les garder pour moi. Je fais donc un sourire rassurant - ou qui se veut comme tel - à Nina. Je pose une main sur la sienne posée sur sur mon bras. "Je sais que tu vas très bien t'en sortir et que tu es bien entourée ici. Si je peux venir je viendrais".

Nina a les traits tirés et pâles et je suis inquiet pour elle. Je pivote d'un quart de tour avant de lever la main pour caresser son visage "Tu devrais t'allonger et te reposer un peu, ils vont surement bientôt sortir le bébé de sa boite. Tu seras mieux installée dans le lit. Tu veux que je t'aide à monter dans le lit ?"

J'acquiesce dans un sourire, rassurée qu'il veuille bien passer la nuit avec nous. Ce n'est pas tant pour moi que je suis inquiète, c'est plutôt pour lui, j'ai peur de la relation qu'il va créer avec son fils s'il ne peut pas être à ses côtés durant les premières semaines de sa vie. J'ai la sensation étrange et floue qu'il a seulement d'autres chats à fouetter, d'autres choses à penser et si je peux le comprendre, je n'en ai pas envie pour autant. « Je sais... Mais je ne veux pas que tu prennes de risques... » La situation est toujours compliquée, angoissante, douloureuse. Mais j'ai désormais sous les yeux une raison bien tangible de tenir le coup et de garder la tête froide. « Je veux bien oui... » Si je suis capable de me lever toute seule, j'ai encore mal à peu près partout et tous mes gestes sont douloureux. On ne me file que du spasfon contre la douleur, autant vous dire que ça ne me soulage pas beaucoup. Je lui tends les bras pour m'accrocher à lui pendant qu'il m'aide à retourner sur le lit, où je m'installe en redressant le dossier pour être à demi assise. 

Il a eu le nez creux, parce qu'on entre dans la chambre une petite quinzaine de minutes plus tard. Patiemment, l'équipe médicale nous explique le protocole, et le fait que les nourrissons ont besoin de contact physique régulier. En d'autres termes s'il est plus prudent de le laisser dans la couveuse la nuit, lorsque je dors, le reste du temps je peux l'avoir sur moi constamment ou presque. Je ne m'étais pas posé la question de l'allaitement, je pensais même donner des biberons je crois mais elles insistent tant en m'expliquant que ça faciliterait les choses que je n'ose pas protester. L'infirmière demande si elle peut me préparer pour le peau-à-peau, et je prends la décision la plus douloureuse, mais aussi la plus évidente de ma vie : « Non, son papa plutôt... » Je vais rester ici, sans doute seule avec Tomas, durant plusieurs jours. Si Slavenko doit partir demain matin, Dieu seul sait quand il aura l'occasion de revoir son fils, ou même s'il le reverra un jour. Je ne veux pas qu'il s'en aille sans l'avoir tenu contre lui, sans avoir laissé de côté quelques instants les problèmes qui nous attendent dehors pour se consacrer à Tomas. L'infirmière sourit et se tourne vers lui. « Très bien, il va falloir enlever votre tee-shirt. »

"t'inquiète pas pour ça. Je serais prudent et il n'y a pas de risques pour cette nuit." J'ai besoin de rester. Pas pour le bébé mais pour Nina. Je suis resté en dehors de la chambre trois heures durant, sans autre nouvelle que celle qu'elle faisait une hémorragie. Je peux endurer de me cacher, de devoir attendre, de ne pas pouvoir rentrer chez moi mais seulement si je sais que Nina va bien. Je ne peux pas faire tout ça si ce n'est pour elle.  Je la dépose le plus délicatement possible dans le lit et l'embrasse sur le front tendrement avant de m'écarter pour qu'elle puisse s'installer confortablement. Peu de temps après l'infirmière arrive.

La décision de Nina me surprend tellement que j'en reste muet. Je n'ai pas spécialement envie de prendre le bébé sur moi parce que je sais combien Nina attend ce moment alors je ne comprends pas sa décision. A-t-elle peur ? Je n'ose pas protester devant l'infirmière, mais j'adresse une mimique à Nina pour lui demander si elle est sure. Je finis par m'installer du mieux possible dans le fauteuil en abaissant le dossier et en remontant le bas du fauteuil en reposoir. Sous les directives de l'infirmière, j'ôte mon tee-shirt avec gêne parce que ça attire inévitablement un regard  de sa part à cause des nombreuses cicatrices qui couturent mon corps sans parler des restes d'hématomes verdâtres. Il y a des traces anciennes, de couteau et de balles, et celles plus récentes. Elle demande avec autant de gêne que j'en ai à m'installer "Vous êtes sur que ça va aller ?" J'acquiesce brièvement de la tête en détournant le regard vers Nina pour y chercher son approbation.

J'ai déjà pris la douche spéciale avant d'intégrer la chambre et l'infirmière se contente de me donner une lingette que je dois me passer sur le corps. Le temps qu'elle sorte le bébé de sa boite, le produit volatile a déjà séché. Elle pose l'enfant sur moi, son ventre sur mon plexus. Il fait chaud dans la chambre et si elle prépare une couverture chauffante, pour l'instant, elle la laisse de côté. La sensation est étrange, il bouge et gigote avec une lenteur désincarnée. Je baisse les yeux vers lui, les sourcils légèrement froncés parce que je suis attentif à bien faire, concentré. Je mets mes mains sur le coté de son corps sans oser vraiment le toucher, à peine l'effleurer.

Je me doutais qu'il serait réticent, mais ça ne fait que conforter ma décision. Je n'ai pas peur de ne pas créer de lien avec mon fils, je l'aime déjà démesurément, et je ne respire plus qu'en posant les yeux sur lui. Il me semble vital que Slavenko parvienne à se connecter avec lui avant de devoir quitter la maternité. Je sais combien il souffre, même s'il n'en parle pas, d'avoir perdu l'amour de sa famille, de ne plus faire partie du Klan, d'être déclaré mort. Il n'en parle pas parce que les choses ont été si difficiles entre nous ces derniers temps qu'il estime sans doute ne pas avoir le droit de se plaindre, pourtant je sais ce que c'est que de n'avoir aucune appartenance, de ne manquer à personne, de ne compter pour personne. Les choses sont loin d'être réglées mais c'est le moment pour lui de réaliser qu'il est en train de construire une autre famille, la nôtre, et j'espère sincèrement que Tomas lui donnera une nouvelle raison de vivre, de se battre. Et puis je crois qu'une infime partie de moi, étouffée parce que trop effrayante, a peur qu'il n'ait jamais d'autre occasion de le prendre dans ses bras. Personne ne peut prévoir ce qu'il se passera quand il quittera l'hôpital, et je ne peux pas le laisser partir sans jamais avoir tenu son fils contre lui. 

Je le couve d'un regard tendre, approbateur face à son malaise évident, quand il se prépare. Ma gorge se noue d'une émotion étrange, douloureuse, quand elle lui confie Tomas. Son petit corps se recroqueville contre le torse de son père, et s'il cligne brièvement des paupières il referme les yeux dès que sa joue repose sur la peau chaude de Slavenko. Je suis à fleur de peau et mon regard s'embue de larmes d'émotions. « Je vais vous laisser un peu d'intimité, bipez-moi quand vous voudrez le passer à la maman. » Le fauteuil dans lequel est installé Slavenko est presque collé à mon lit, et je me tourne sur le flanc pour pouvoir tendre le bras. Du bout des doigts, très doucement, j'effleure le dos de Tomas.

J'ai dépassé le stade des larmes de ces heures sombres où je ne savais pas s'ils allaient sauver ma femme ou pas. Je déteste les hôpitaux et les médecins, ils ne vous disent jamais la vérité de peur que vous ne la supportiez pas. Mais à force de tout taire ou de tout édulcorer, comment leur faire confiance ? A présent que je suis dans la chambre avec Nina et le bébé, ça va bien mieux. Il ne reste que la fatigue qui suit l'excès d'émotion. Je ne remarque même pas le départ de l'infirmière qui nous laisse seuls.

Le bébé referme les yeux et se tasse sur moi, se recroquevillant sur ma peau chaude. Celle-ci chaude aisément la sienne, on sait que j'ai toujours chaud, voire trop chaud, je crois que c'est parfait pour le bébé. Son nez se plisse et si je me demande pourquoi, ça me fait sourire. Peut-être est-ce le reste de l'odeur du désinfectant qui lui déplaît. Je n'ai jamais tenu de bébé si petit, tant pour l'âge que pour le gabarit ! En mettant mes mains en coupe, il tiendrait dedans. Nina lui caresse le dos et en parlant bas, doucement pour ne pas incommoder mon fils. "Tu es sure que tu ne veux pas le prendre ? "

Je suis à des kilomètres d'imaginer son angoisse, on m'a brièvement glissé quelques mots au sujet de l'hémorragie, mais je n'en ai qu'un souvenir lointain, comme si c'était arrivé à une autre. Je n'ai pas pensé à moi une seule seconde, mes pensées, mon être tout entier étaient dirigés vers Tomas et seulement lui. Je ne me souviens que de la douleur immense qui m'a submergée quand ils me l'ont arraché, sans même me laisser le toucher. Je ne pense pas que j'ai failli y rester, qu'il a pu s'inquiéter pour moi, notre fils allait bien, comment est-ce qu'autre chose aurait pu compter à ce moment-là ?

A présent je les mange tous les deux du regard, Slavenko et lui, et mon cœur est si gorgé d'amour qu'il explosera sans doute dans quelques secondes. Comme souvent, la silhouette imposante de mon mari m'apparaît comme rassurante, protectrice autour de ce bébé minuscule qu'il tient entre ses bras. S'il a clairement maigri, et perdu en muscles, depuis son agression, il n'en reste pas moins plus grand et plus carré que la plupart des hommes. Je lui souris, mon regard tendre toujours posé sur lui. « Si, bien-sûr que je veux le prendre... Mais pas tout de suite... » Après une hésitation j'ose admettre, plus bas encore : « Mais je veux que tu puisses en profiter avant de devoir partir... » Pour être honnête je ne sais pas si je saurais le reposer, une fois qu'on l'aura mis dans mes bras. « Il a besoin de te sentir autant que moi, moja duša... »

Je remonte mes mains en coupe sous les pieds de mon fils pour les loger dans mes paumes. Il épouse naturellement la forme avec un si petit soupir que je crois l'avoir rêvé. Il dort la bouche légèrement ouverte, les yeux clos, son petit poing ramené près de son visage. Ses oreilles sont minuscules, sans parler de ses orteils. J'émets un son dubitatif et amusé "humm je crois surtout qu'il préférerait sa maman. Il n'arrête pas de froncer le nez. Il cherche ton odeur." Sorti trop tôt du ventre de Nina, ça ne me semble pas aberrant qu'il veuille retrouver le nid dans lequel il se trouvait : l'odeur de Nina, les battements de son cœur. Moi aussi j'aime les sentir quand je dors près d'elle, contre elle.

Je le garde encore quelques minutes et puis je fais signe à Nina d'appeler l'infirmière. Je n'ose vraiment pas bouger beaucoup. Est-ce que si je réveille le petit par mégarde il va se mettre à pleurer ? Je chatouille par jeu la plante des pieds qui se rétracte. Il a toujours ce petit soupir qui m'attendrit et réveille l'amour que j'ai pour lui. J'ai un petit rire. "Da li te golica beba ?" Quand l'infirmière arrive, elle inverse nos rôles en donnant le bébé à Nina tandis que je remets mon tee-shirt.

Je n'ose pas le contredire, même par jeu, parce qu'au fond de moi c'est tout ce que j'espère, qu'il cherche mon odeur ou le son de ma voix. Je veux croire que c'est vrai, la connexion dont on parle entre une mère et son enfant, que le fait de l'avoir porté, même si ce n'était pas neuf mois complets, fait forcément une différence. Aussi pour être honnête je n'ai plus la force de protester quand il me fait signe qu'il est temps d'inverser les rôles. Je ne saurais dire s'il se sent mal à l'aise d'avoir son fils dans les bras, s'il l'a assez porté ou s'il culpabilise de ne pas me laisser la voir... Après la crise de panique que j'ai faite en salle d'accouchement, je crois que ça peut se comprendre. 

J'appelle l'infirmière qui arrive presque aussitôt, je crois que c'est parce que nous sommes dans un service spécialisé et ultra-surveillé, il n'y a presque jamais d'attente. Elle me demande d'ôter ma chemise de nuit, et je me retrouve donc en culotte sous les draps qui heureusement me dissimulent à la vue du slave, je ne suis pas sûre d'être très agréable à regarder en ce moment. Quelques secondes plus tard, j'ai baissé un peu le dossier du lit, et l'infirmière pose mon fils sur ma poitrine. A ce stade de prématurité, il n'a pas vraiment la force de crier, ses pleurs seraient bien loin de celles d'un nouveau-né s'il devait pleurer, mais il ne semble même pas se réveiller. Il semblerait que garder les yeux ouverts soit encore un peu compliqué pour lui. 

Une nouvelle fois, la jeune-femme nous laisse, visiblement habituée. Je pose une main légère, hésitante, sur son crâne pour le maintenir contre moi, et un lourd soupir me soulève la poitrine. J'ai la sensation soudaine, douloureuse tant elle est violente, d'être enfin complète. Je ferme les yeux pour réprimer les larmes qui veulent en déborder, et je baisse la tête pour humer l'odeur de Tomas. 

L'émotion de Nina me touche mais m'intimide aussi. Je reste à distance - non pas physique puisque je suis debout près du fauteuil où j'étais juste avant et qui se trouve près du lit - mais disons que je me fais discret pour ne pas briser le moment d'intimité entre Nina et Tomas. Je l'ai vue paniquée juste après la naissance et je pense qu'elle a besoin de cette bulle. J'en profite pour prendre mon téléphone crypté et faire une photo que je pourrais au moins regarder quand je serais à nouveau à la planque.

Après quelques minutes, j'approche simplement le fauteuil un peu plus près du lit et je me rassieds en me tournant vers Nina et le bébé. Je pose les mains sur le rebord du lit, admirant le merveilleux spectacle de Nina heureuse. Quand je la regarde ainsi, je sais que je ne pourrais jamais regretter la décision de finalement vouloir un enfant. "Camenko a demandé de tes nouvelles, il viendra te voir demain aux heures de visite."

 

Quelques larmes m'échappent bien malgré moi lorsque je rouvre les yeux pour tourner la tête vers Slavenko. Contre ma poitrine, je sens le souffle chaud et ténu de Tomas, sa joue minuscule posée contre mon sein, ses pieds recroquevillés dans la paume de ma main. Je pensais m'être faite à l'idée d'être mère, après tout j'ai eu sept mois pour m'y préparer. Pourtant je réalise que la grossesse a été si compliquée, si douloureuse, que jusqu'à la fin j'ai cru que je ne pourrais jamais le tenir dans mes bras. Souvent j'ai eu peur que le Destin me mette à terre une fois de plus, j'ai cru cent fois que je le perdrais pour de bon. La sensation de son petit corps dans mes bras est miraculeuse. 

Je voudrais ne voir personne, rester seule avec Slavenko et mon fils jusqu'à la fin de l'année au moins, je crois qu'on l'aurait amplement mérité. Mais je sais aussi que Camenko est sans doute la seule personne grâce à laquelle Slavenko est à mes côtés aujourd'hui, aussi je hoche la tête. « Oui, d'accord... Je lui demanderais pour la suite... » Il va falloir qu'on se mette d'accord, qu'on sache quoi faire une fois que je sortirais de la clinique, je ne pourrais pas rester ici à vie. Je parle tout bas, par crainte de réveiller Tomas. « Et si tu peux, tu passeras nous voir après, de nuit, quand les visites sont terminées... » Je me fais l'impression d'être une adolescente dont le petit-ami fait le mur pour venir la voir. Je n'ai pas envie d'être loin de lui. Je cligne des yeux, déstabilisée parce que mes émotions jouent aux montagnes russes. Il y a cinq minutes de ça, je n'étais pas même inquiète à l'idée qu'il doive rentrer, maintenant le fait de devoir le laisser partir me donne envie de pleurer. 

J'ôte ma main du bonnet de mon fils et la tend vers lui pour chercher la sienne, la gorge nouée soudain. « Et ensuite... On rentrera à la maison tous les trois... Pas vrai ? »

"Cam passera me voir aussi demain. J'imagine - j'espère - qu'on en saura plus. Et j'essaierais de venir, tu le sais non ? Peut-être pas demain soir, ni tous les soirs, mais je viendrais." J'ai peur que mon père mette l'hôpital sous la surveillance de ses hommes. Je ne sais pas si je pourrais déjouer leur vigilance, rien que tenter est dangereux mais je le ferais parce que Nina a besoin de moi, je l'entends dans sa voix. L'idée de ne pas réussir à venir me déchire d'angoisse mais j'essaye de ne pas le montrer. Je ne veux pas inquiéter Nina, elle a assez à penser avec le bébé. C'est assez de responsabilité sans en plus devoir s'inquiéter de moi.

"Quand ce sera possible, oui... Tu crois que Tomas va devoir rester combien de temps sous surveillance ici ? En admettant que tout se passe bien ? Un mois ? " Je sais que normalement ils gardent la mère et l'enfant un peu moins d'une semaine, mais comme notre fils est prématuré, dans une couveuse, j'imagine que ce sera plus long. D'ici un mois j'aurais d'une façon ou d'une autre réglé le problème, je m'en fais la promesse. Je ne peux quand même pas rester à moitié vivant ! Maintenant que je vais mieux physiquement et à mesure que ça va de mieux en mieux, je deviens impatient de régler la situation. J'envisage même de partir avec Nina et le bébé. A quel âge un bébé peut-il prendre l'avion ? Mais tout est question de temps et d'informations, deux données très floues pour moi en ce moment.

Je hoche vivement la tête, en essayant de ravaler mes larmes malvenues. Oui, je sais, bien-sûr que je sais... Je devrais lui répéter d'être prudent, comme je l'ai fait tout à l'heure mais je n'en ai plus la force, je laisse lâchement à son frère le rôle de lui dire ce qu'il est ou non autorisé à faire. Personnellement je ne vois pas pourquoi Jelenko ferait surveiller l'hôpital s'il le croit réellement mort. Sa réponse ensuite me tue même si je la connaissais déjà, on ne sait pas où on pourra aller quand on nous autorisera à sortir. On ne peut pas rentrer chez nous, parce que je ne suis pas certaine qu'on aura encore un chez nous à ce moment-là. Partir commencer une nouvelle vie dans un autre pays ne m'effraie pas tant que ça, en-dehors de Slavenko je peux tout laisser derrière moi ici. Non ce qui me fait peur, c'est l'idée qu'on ne puisse pas partir ensemble, qu'on lui demande encore de se cacher et qu'on attende de moi que je reste loin de lui. On devrait être ensemble, tous les trois, pour Tomas. J'essaie de ne pas trop y penser pour ne pas pleurer de plus belle.

Je sais pas trop, on n'a pas encore approfondi le sujet, la gyneco doit passer lundi pour les détails... Je sais que quand il atteindra les 2kg, il pourra sortir de sa boîte et aller dans un berceau normal... Pour le reste un mois peut-être, ou moins, je sais pas... J'ai tenté de me renseigner sur le sujet sans grand succès parce que ça dépend des bébés et de leurs problèmes. Certains témoignages sur internet parlaient de presque deux mois, d'autres de seulement onze jours, et très franchement je ne sais plus à quoi me fier. Alors je vais attendre qu'une professionnelle me dise la vérité, ce sera plus sage. Rester ici, même un mois, ce n'est pas grave. Ce qui m'angoisse c'est de ne pas y être avec mon mari. Je serre ses doigts dans les miens, ferme les yeux une seconde. Quand je les rouvre, je demande tout bas : Embrasse-moi, s'il te plaît...

Je sais que le manque de certitudes la mine autant que moi. Je presse ses doigts entre les miens. "Ne pleure pas srce. Ça va s'arranger. Le temps que le bébé grossisse et que tu te retapes, ce sera arrangé." Un mois, un mois et quoiqu'il arrive je tenterais ma chance, même seul. Je me débrouille encore avec un fusil de sniper. Tant pis pour le bordel que ça foutra. Et au pire du pire, on se tirera. Je renoncerais à Sarajevo pour Nina et mon fils. Je renoncerais à tout pour eux. je me soulève du fauteuil pour venir chercher sa bouche, ma main effleure le dos de mon fils dans le même geste. Je frotte mon nez à celui de Nina avant de répéter "ne pleure pas. C'est un beau jour aujourd'hui. On a un fils. Je ne veux pas que tu sois triste aujourd'hui" Nous n'avons aucune raison de l'être en ce moment précis. Nous sommes tous les trois vivants et ensemble. Je veux laisser les problèmes dehors jusqu'à demain matin.

Je proteste d'un ton boudeur. Je pleure pas... J'ai juste longtemps cru que l'accouchement marquerait la fin du calvaire, et je réalise que c'est faux. Je vais passer les prochaines semaines à m'inquiéter de la santé de mon bébé qui n'est pas tiré d'affaire, mais je m'inquiéterais encore pour lui quand nous serons sortis, parce que je ne sais pas ce que nous veut Jelenko. Il est évident qu'il s'attend à ce que je m'installe chez lui avec mon fils, et si ce n'est pas une option je sais aussi qu'il peut se montrer très persuasif. Et puis j'ai peur pour Slavenko, on a traversé trop d'épreuves ensemble pour que je supporte de le perdre. Cette semaine passée à ses côtés dans la planque nous a indéniablement rapprochés, et si elle n'a pas tout réparé elle nous a permis de nous retrouver, de prendre soin l'un de l'autre.

Sa bouche fond sur la mienne et je m'efforce de reprendre mon souffle dans ce baiser, je n'en ai pas suffisamment profité quand il m'a embrassée après l'accouchement, j'étais encore trop déphasée. « Oui je sais, t'as raison... » Je réprime le "mais" qui voudrait m'échapper, parce qu'alors ce serait sans fin. Tomas a besoin qu'on aille bien, Slavenko et moi, je ne peux pas continuer à lui transmettre mes angoisses. 

Je profite encore de mon fils, blotti contre moi, qui finit même par venir chercher le sein pour téter. Il parvient à priori à s'y prendre correctement, et lorsque l'infirmière revient elle m'explique seulement qu'ils surveillent son poids de très près. Si l'allaitement ne suffit pas, ils compléteront avec la sonde. En somme, tout est sous contrôle et Tomas ne pourrait pas être en de meilleures mains. C'est ensuite l'heure de lui donner le bain, et c'est la sage-femme qui s'en charge sous nos yeux, c'est un peu plus compliqué encore qu'avec un nourrisson né à terme et j'essaie de tout retenir pour être capable de le faire moi-même les jours suivants. Il semble apprécier l'eau dans laquelle son corps a l'air de se détendre, et il ne pleure que lorsqu'on l'en sort, sans doute à cause du froid. Quand il a reçu tous les soins dont il a besoin, elles le replacent dans la couveuse, bien au chaud, et c'est à mon tour de tenter l'expérience douloureuse de la douche. Ça me prend une bonne demie-heure mais je parviens à m'en sortir toute seule, ce dont je ne suis pas peu fière. 

Je la regarde sans insister mais avec un air légèrement moqueur et tendre, parce que bien sur qu'elle pleure. Nina est la créature la plus émotive que je connaisse. Mais elle a toutes les raisons de l'être aujourd'hui.

L'infirmière revient et j'écoute attentivement les consignes pour le bain et la nourriture du bébé. Ecouter et retenir les choses à faire a toujours été sécurisant pour moi et je suis doué pour ça, autant que ça serve.

Pendant que Nina prend sa douche et que Tomas est dans son berceau, j'installe mon lit contre celui de Nina. C'est sans doute la seule nuit que je pourrais passer ici et je veux dormir près de ma femme. J'appréhende le moment où je devrais rentrer seul à la planque, je n'ai pas du tout envie de me retrouver à nouveau seul, ni de laisser Nina et le bébé. Est-ce qu'il se rendra compte de mon absence ? En souffrira-t-il ? Je pense que non, il est sans doute trop petit pour remarquer que je ne suis pas là. Mais Nina ? M'en voudra-t-elle? C'est censé être un beau jour comme je l'ai dit à Nina mais il y a plus d'angoisse et de tristesse que de joie.

Je me désape, ne gardant que mon caleçon et mon tee-shirt pour me fourrer sous les draps de mon lit et attendre Nina. de là où je suis, je peux surveiller le bébé qui dort de toute façon à poings fermés. Mon esprit dérive vers Camenko et son message. Je suis nerveux de ce qu'il va me dire, où est-ce que nous en sommes ? J'ai récupéré quasiment toute ma mobilité et si je suis encore facilement fatigué, à cran et que je je ferais surement pas un marathon, je pense être tout à fait capable de manier une arme. La certitude s'est faite jour dans mon esprit que je doive tuer mon père pour ne pas que ce soit lui qui me tue. Je devrais être poussé par la vengeance mais je n'y arrive pas, et je me résous pas à cette solution de gaîté de cœur. Je ne comprends toujours pas comment il a pu vouloir ma mort. Est-ce seulement parce que Mirko l'y a poussé ? Mais je suis son fils, ça devrait compter plus que que les dires de Mirko ou mon orientation sexuelle. L'ai-je si déçu que je doive mourir ? Et quand je regarde mon fils, c'est comme un miroir qui me renvoie à la relation père-fils, et je ne comprends pas mon père, ni ses motivations.

Nina revient, me distrayant par sa simple présence de mes sombres pensées. Une fois qu'elle est installée à son tour, je me couche sur le flanc, tourné vers elle et lui demande à voix basse "comment tu te sens srce ?"

Quand je reviens dans la chambre, Slavenko a collé son lit au mien, ce qui me fait sourire. Moi aussi, j'ai envie de dormir près de lui. Je viens de passer neuf jours collée à lui, H24, et ça s'est étonnamment bien mieux passé que je l'aurais cru. J'ai pu faire le plein d'affection, de tendresse, d'attention aussi, toutes ces choses qui me manquaient cruellement depuis des semaines... Peut-être même depuis mon arrivée à Sarajevo si je suis tout à fait honnête. Je déplore seulement qu'il ait fallu nous enfermer de force dans un appartement minuscule pour en arriver là. Seulement voilà je commençais tout juste à me sentir mieux à ses côtés, et j'ai peur que de nous séparer à nouveau ne complique les choses encore une fois. J'aurais vraiment voulu qu'on ait droit à ces moments-là, ces quelques jours en famille à la clinique, pour apprendre ensemble à connaître notre bébé. J'ai peur qu'on m'apprenne seule tous les gestes qu'il faut faire pour s'occuper d'un enfant si petit, et qu'une fois rentrés Slavenko ne sache pas prendre soin de lui, parce qu'on ne l'aura pas laissé faire. 

Je soupire, épuisée de toutes les pensées qui ne cessent de tourner en boucle dans mon esprit. Je m'allonge sur le flanc, tournée vers lui, lui laissant pour le moment le soin de veiller sur le berceau de Tomas dans mon dos. Je tends une main vers son bras, dans un besoin insatiable de contact, de chaleur, de présence. La décision que j'ai prise d'arrêter d'étouffer mes émotions est toujours d'actualité, aussi je lui réponds avec honnêteté. « J'ai... connu mieux. » C'est un euphémisme. Je soupire, me penche pour poser mon front contre son torse. « Je suis épuisée mais je suis pas sûre de réussir à dormir, j'ai mal de partout, j'ai envie de pleurer et j'ai peur que tu t'en ailles. »

En retour de son geste, je tends aussi la main pour la poser sur sa hanche, doucement. Dans cette position, face à face, on peut parler bas - pour préserver notre intimité plus que par peur de réveiller le bébé qui dort fermement comme s'il était encore dans le ventre de Nina.

Nina se love contre moi et je remonte ma main pour l'enlacer. "C'est la fatigue qui te donne envie de pleurer, ça ira mieux quand tu te seras reposée. Tu as perdue beaucoup de sang. Tu dois prendre soin de toi srce... Et je suis là cette nuit alors tu vas me faire le plaisir de dormir. Pourquoi tu as peur ? Après je serais à la planque, je ne risque rien, et toi ici, tu seras bien entourée. Elles ont l'air bien les infirmières. Elles vont s'occuper de toi et du bébé" J'ai une moue légère, le regard posé sur elle avec attention pour chercher à percer ses pensées. "demain je parlerais à Camenko et il viendra te voir."

Je ferme les yeux, le poids sur ma poitrine s'allégeant dès qu'il m'entoure de son bras pour me ramener contre lui. Je ne sais pas si le fait que j'ai perdu beaucoup de sang influe sur les douleurs, mais il est sûr que ça doit m'épuiser plus que de raison. Encore qu'un accouchement reste, en soi, plus épuisant que tout ce que j'ai pu vivre auparavant. Ses paroles me rassurent, bien entendu mais elles ne touchent pas le cœur du problème. A savoir mon émotivité à fleur de peau et mon incapacité à m'éloigner de lui pour le moment. « Je sais bien que la planque est sûre, mais j'ai peur que tu n'arrives pas à la rejoindre... » J'imagine bien que je ne suis pas très rassurante mais je ne peux pas faire semblant de ne pas être consciente des risques. Je m'en veux de lui avoir demandé de m'accompagner à l'hôpital, c'était inconscient et irresponsable. Il aurait dû rester à l'appartement, en sécurité... 

« Et j'ai peur parce que je ne veux pas dormir sans toi... » J'ai peur pour lui mais également pour moi. Je me sens à nouveau dépassée par les événements, démunie et je n'ai pas envie de passer les prochaines semaines loin de lui, sans avoir le secours de ses bras pour me bercer la nuit. Il n'est pas encore parti qu'il me manque déjà. J'ajoute dans une moue boudeuse : « Je dois prendre soin de moi mais j'aimerais mieux que ce soit toi qui le fasse... »

"hey, alors là tu me sous-estimes srce, je vais me vexer." Je souris, plus taquin que moqueur. "personne ne sait que je suis vivant, même si mon père mes des hommes à lui, ils ne me chercheront pas vraiment. Je serais discret. Pas autant que ma voleuse de femme mais quand même...elle m'a appris deux trois trucs. "

J'ai un petit geste d'assentiment. Je ne peux que la comprendre, moi aussi je voudrais rester près d'elle. J'ai peur pour elle, peur que mon père vienne l'ennuyer, se montre insistant. Je ne sais pas quand je vais la revoir si je pars et je rechigne à la laisser. "Moi non plus je n'ai pas envie. J'ai envie de m'occuper de toi". Je caresse sa peau sous ses cheveux, entortille mes doigts dans les mèches. J'ai peur aussi pour moi, parce que j'ai plus que jamais besoin de Nina. Cette semaine avec elle, hors du temps et du monde a fait plus pour me réparer que les trois semaines d'isolement. Mes cauchemars s'estompent, et avec Nina, j'ai pu prendre des douches sans crises d'angoisse. J'ai peur que ce nouvel éloignement ne ravive sa rancœur à mon égards, ne lui rappellent mes torts. Je ne veux pas perdre Nina, je préfère prendre des risques que la laisser encore. "Demain, tu auras sans doute de la visite, c'est pour ça que je ne peux pas rester. Mais je peux revenir la nuit prochaine après 19h. Je passerais la nuit avec toi... Toutes les nuits. Il n'y a pas un conte qui raconte ça ? Ça ferait une belle histoire."

Sa plaisanterie a le mérite de me tirer un mince sourire, et je dodeline de la tête. « Moui, ça fait longtemps que tu ne t'es pas entraîné avec ta voleuse de femme... » Ma poitrine se soulève dans un lourd soupir, comme un consentement à ses paroles. Il a raison, on a déployé tant d'efforts pour le faire croire mort ces derniers temps qu'il n'y a pas de raison pour que son père le cherche. S'il poste des hommes, ce sera sans doute plutôt pour vérifier que moi, je n'aille nulle part. « Promets-moi de m'appeler dès que tu seras arrivé, Slavenko, sinon tu sais bien que c'est moi qui vais prendre des risques en essayant de venir vérifier par moi-même que tu vas bien. » Et je ne peux pas laisser Tomas seul ici. 

Cette fois je ne rechigne pas à exprimer clairement le fait que j'ai besoin qu'il prenne soin de moi, qu'il veille sur moi. J'ai fait beaucoup d'effort la semaine passée pour me focaliser sur lui, en-dehors de mes "crises" de contraction -si on peut les appeler ainsi- j'ai tenté de le rassurer, d'apaiser ses angoisses, de l'aider à se soigner. Je ne dis pas que je l'ai fait parce que j'espérais un retour, seulement maintenant c'est moi qui ai besoin de lui. Je relève le museau pour le frotter doucement au sien, câline. « Il doit y avoir un conte comme ça, oui, peut-être... » Je tends le bras pour poser ma main dans son dos, sous son tee-shirt. « Mais je ne veux pas te mettre en danger juste parce que je ne suis pas capable de dormir toute seule... » Ce serait l'acte le plus égoïste qui soit. Cela dit je ne suis pas seule, il y a son fils également maintenant et je ne sais même pas comment il peut envisager de s'éloigner de lui. Moi ça me rendrait folle, littéralement. « Il y a un autre homme dans la famille pour veiller sur moi maintenant, je suis sûre que Tomas prendra son rôle très au sérieux. » 

"Trop longtemps...Je crois qu'elle trouve que je ne suis pas très doué." Je m'approche suffisamment pour lui dérober un baiser. Je sais que ça lui a manqué, et au début, elle n'a cessé que pour me faire plaisir. "Quand tu seras en forme et que tu pourras à nouveau passer par les lucarnes, tu pourras recommencer tes petites sorties nocturnes. Je garderais notre fils. On a dit que c'était à toi de faire bouillir la marmite."

"je t'enverrais un message dès que je suis rentré, mais tu ne dois pas t'inquiéter pour l'heure. Je suis très prudent et si je dois attendre à un endroit pour bouger sans risque, je le fais. C'est pour ça que c'était long la dernière fois." Je m'assombris fugacement au souvenir "j'pensais pas tomber sur Vlad." Sa vue m'a liquéfié de l'intérieur. Mais c'était peu de temps après mon agression. Aujourd'hui, je me sens plus fort mentalement. Je grogne d'approbation à son contact. Nous n'avons pas cessé de nous câliner toute la semaine, à nous toucher, à s'occuper l'un de l'autre - j'ai eu droit à des massages du cou et je lui ai massé les pieds - et j'ai appris à apprécier de nouveau cette promiscuité. J'ai trop laissé de distance entre nous ces derniers mois. Je m'occupais de nous mais sur un plan matériel, oubliant que ce n'était pas ce dont nous avions besoin. Dans le Bronx, on se contentait de mon appart' pourri mais ici, je voulais tellement lui offrir mieux que je nous ai oublié au passage. "Je ne serais pas en danger zlato. Et si tu crois que je vais laisser mon fils remplir mon rôle, tu te trompes lourdement. Il a assez à faire à te faire fondre en larmes et sourire toutes les dix secondes. Ce n'est pas ça srce, mais ça dépendra aussi de ce que dit Camenko. Si on doit agir, je ne sais pas si je pourrais revenir, mais la bonne nouvelle c'est que ce sera pour régler nos ennuis et qu'on pourra ensuite rentrer à la maison. Ah, j'ai tellement hâte zlato, j'espère tellement qu'il aura de bonnes nouvelles !"

Son baiser me fait vibrer, dans chaque parcelle de mon être je me presse un instant contre sa bouche, pour tenter de le prolonger quand déjà il se dérobe. « Tu sais je crois pas qu'il me faudra très longtemps pour passer de nouveau les lucarnes... » J'étais d'ailleurs surprise de voir que mon ventre avait dégonflé si vite. Oh, qu'on ne s'y trompe pas, je n'ai pas retrouvé le ventre plat d'avant ma grossesse, loin de là, mais j'ai vu tellement de photos de femmes qui juste après leur accouchement ont encore quasiment le même ventre qu'enceintes que je m'attendais à la même chose. Au final non, pas du tout, on dirait seulement que je suis enceinte de trois ou quatre mois, comme au tout début. Pour vous dire, si je mettais un tee-shirt ample ça ne se verrait pas. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose, cela dit, je n'étais pas assez en forme pour bien vivre l'accouchement, et j'ai vraiment failli y rester avec cette hémorragie, je le sais. Il aurait fallu que je prenne plus de poids. 

« Je sais bien mon amour, je sais que tu es prudent... » Je ne renchéris pas sur Vlad, je ne peux qu'imaginer comme il a eu peur. Je proteste pour la forme : « Il me fait pas fondre en larmes, c'est les hormones... » On se demandera donc quelles hormones m'emmerdent depuis vingt-sept ans, n'est-ce pas. « Oui, moi aussi j'espère qu'il aura de bonnes nouvelles... Je ne veux pas rentrer à la maison toute seule... » Je presse son dos de ma main, me serre contre lui. « Il y a encore tellement de choses dont on ne s'est pas occupés... Tu sais qu'on n'a même pas de siège pour la voiture ? Pour le ramener à la maison...? Comment on va faire pour le ramener chez nous ? » Il ne pourra pas s'en occuper lui-même puisqu'il est censé être mort ! Comme ce doit être dur pour lui de ne rien pouvoir faire. Je l'enlace brusquement, enfouis mon visage dans le creux de son épaule. 

"tu pourrais déjà passer par une lucarne. T'es beaucoup trop maigre, srce. Heureusement, si tu allaites, je vais encore profiter un peu de tes gros seins." Ces derniers jours, j'ai un rire bas, je passe la moitié de la nuit le nez collé entre ses seins à humer sa peau. Bon maintenant, je vais devoir la partager mais il reste l'autre moitié du temps après tout.

"non, je suis très prudent" Je ne la crois pas du tout quand elle parle des hormones. Enfin si, à moitié, seulement il n'y a pas que ça, elle a toujours été excessivement émotive. Ce qui est amusant c'est que je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite quand on s'est connu. Elle me paraissait si maîtresse d'elle même à me tenir tête. "je ne te laisserais pas rentrer toute seule." On trouvera une solution dès qu'elle sort, je ne veux pas que Tomas commence sa vie avec ses parents chacun à un bout de Sarajevo ! Ce n'est pas normal. Je souris à ses préoccupations matérielles. "y a un truc super qui s'appelle internet. Je vais commander un siège auto, tu as une préférence pour la couleur ? "