Depuis des millénaires les hommes s'entretuent à cause de leur religion ou de la couleur de leur peau alors que l'important c'est simplement la taille de la bite / Clint

Leg n'avait pas eu besoin de NY pour avoir l'air perpétuellement pressé, il avait comme qui dirait ça dans le sang. Au téléphone, l'appareil coincé entre l'oreille et l'épaule, il se servait de ses mains libres pour crocheter une serrure.
Une activité suspecte et que d'aucuns trouveraient un rien trop triviale pour un mec qui commençait à se faire un nom dans le paysage de Sarajevo.
Mais Legence n'avait jamais renoncé à ses origines ; et il avait en l'occurrence urgemment besoin de came pour un de ses lieutenants qui avait la bonne idée – antiphrase – d'être toxico, alors comme il n'avait confiance en aucun de ses hommes pour être discret il s'en chargeait tout seul. Et la famille n'attendant pas il était au téléphone avec son frère, qui lui racontait ses petits malheurs de cœur avec des trémolos dans la voix. Quelle tapette, son frère – façon de parler.

« Oui enfin Scar il me semble que tu pouvais t'y attendre, la meuf avait l'air d'une coureuse depuis le début. »

Une cascade de larmes dans la voix lui répondit.

« Mais non t'es pas maudit, tu trouveras quelqu'un de bien. »

Plic plic plic firent les larmes d'Oscar à des dizaines de milliers de kilomètres de là.

« Attend si toi t'es trop vieux pour trouver l'amour moi j'suis fossilisé donc t'es mignon mais tu m'insultes pas ou j'envoie quelqu'un te botter le cul... »

La porte céda, la phrase s'interrompit, et le téléphone faillit se casser la gueule au sol à cause de la surprise de Leg.

« MAIS QU'EST-CE QUE TU FAIS LA ESPECE DE CONNARD ?! »

E...min...Cer. Émincer. Oui voilà. Les... Oignons. Il relit trois fois.


Oi... gnons. C'est quoi cette merde encore ?


Avant de comprendre comme ça se lit réellement. Ah putain de lecture de merde ! Cela dit, avec des gestes experts, il émince comme demander, regrettant tout de même de ne pas avoir trouver de tuto de la recette sur youtube. Certes, c'est la facilité, mais vu son rythme de lecture, les oignons auront le temps de cramer avant qu'il parvienne à choper le mot « concassées » qui vient juste après les tomates.
Vaillant néanmoins, il suit la recette à la lettre, bien décidé à faire cette délicieuse recette de spaghettis al nero di sepia qu'il a découverte à Venise le mois dernier. C'était bien trop bon pour rester confidentiel. L'odeur a envahi la cuisine et il ouvre la fenêtre. Il entend pester la voisine parce qu'il cuisine à une heure qui n'est pas normal. Pour toute réponse, il hausse les épaules.
Une fois tous les ingrédients prêts, il met un couvercle, baisse le feu et laisse mijoter avant de retourner dans le petit salon où un chaton roulé en boule dort sagement. Il ne fait même pas un geste quand Clint s'approche pour s'asseoir. C'est SON fauteuil après tout. Il le chope, le soulève telle la plume qu'il est et après avoir attrapé son livre sur la modélisation des protéines, le repose sur ses genoux. Le chaton s'étire, baille, se rendort à grands renforts de ronrons alors qu'il le gratte entre les deux oreilles. Ah oui ! Son bouquin ! Et autant dire qu'une fois de plus, ses difficultés de lecture se font gravement ressentir.

Soudain, un bruit de... Pas de clef, c'est étrange, mais un grattement dans la serrure se fait entendre. Ah ? Déjà ?! Il fronce les sourcils, regarde sa montre. Il est tôt. Beaucoup trop tôt. Les pâtes ne sont pas prêtes enfin.

Sauf qu'au lieu de voir Lukas apparaître, c'est... Oh mais il hurle en plus ?
De surprise, il entrouvre la bouche pour parler mais aucun son ne sort. Ah bah elle est bien bonne celle là ?

Ah ? Parce que c'est moi le connard ?

Il lève les sourcils très hauts, avant de les froncer de mécontentement.

Je suis chez moi pardi ! Et toi tu fous quoi ici je te prie ? 

Legence eut une espèce de rire surpris. Ah il n'était pas souvent pris de court avec sa manie de tout prévoir, mais là, c'était bien le cas.
A bien y réfléchir il n'y avait jamais eu que ce con pour lui faire un effet pareil ; toujours là où on ne l'attendait pas. Ou comme disait un grand homme, systématiquement débile, mais toujours surprenant.

« Mais évidemment que c'est toi. T'étais pas en prison aux dernières nouvelles ? »

Il lui semblait pourtant bien que si ; il l'aurait su s'il s'était évadé non ? … Eh bien peut-être pas. Son réseau d'informations avait peut-être une brèche en provenance des USA, et si c'était avéré, il y allait avoir du licenciement dans l'air, ça n'allait pas traîner.

« Chez toi. »

Il observa la scène alors, le chat, l'odeur de bouffe – qui lui souleva le cœur vaguement –, le bouquin.

« Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Ils t'ont lobotomisé avant de te relâcher ?! »

Clint cille un coup, se rassoit, totalement stupéfait. Il ne s'attendait absolument pas à ça et la surprise lui coupe les jambes en vérité. C'est... Non mais c'est totalement improbable. En vrai, un milliard de questions se forment dans son esprit. Elles sont là depuis longtemps maintenant mais il n'arrive absolument pas à en formuler une seule.
La seule réponse qui sort de sa gorge, quand il en est capable, est un « heuuuuu » qui ne founit aucune sorte d'information. Non, vraiment. Il ne comprend absolument pas l'enchainement.

Il rentre chez lui, l'air de rien, l'insulte et après il tape la causette, l'air de rien et sans se justifier ? C'est ça ? Et malgré son air menaçant, en vrai, il n'a aucune envie de frapper. Pas pour l'instant en tout cas même si tout son être lui crie étrangement de le faire. De le choper, de l'étrangler, de le secouer une bonne fois pour toute.

Il finit par faire « non » de la tête.

Non, j'étais pas en prison non.

Le voilà qui referme son livre, le repose précieusement sur la table basse où trône un bouquet de fleurs diverses, joliment arrangé. Il replace machinalement un lys qui n'en avait absolument pas besoin.

J'dois aller remuer la sauce. Excuse.

Et il le fait. Simplement. Il lui passe à côté, l'air de rien, alors qu'il bouillonne littéralement mais non. Il reste civilisé. C'est comme ça qu'il faut faire.

Et donc, tu rentres comme ça ? C'est tout ? Même pas une excuse ?

Il soulève le couvercle, s'éloignant prudemment avant que la vapeur ne s'élève. Il remue doucement, goûte, remet une pincée de sel et satisfait du résultat, repose le couvercle avant de mettre la table. Pour quatre. L'air de rien. Toujours l'air de rien.

Et maintenant ? Tu comptes faire quoi ?

Legence eut vraiment l'impression que le monde venait de se retourner sur lui-même et pour quelqu'un qui avait autant de maîtrise nerveuse de son environnement, sur tout, c'était parfaitement désagréable.
En fait il sentit même un rien de panique lui remonter dans la gorge et lui griffer les nerfs et ça, ça faisait vraiment longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Genre, ouais, vraiment.

« Ah. »

Il n'avait rien de plus intelligent à dire. Il avait vérifié lui-même la condamnation de Wyatt pour pouvoir l'engueuler à distance avant de ne plus jamais le recontacter – la prison portait malheur dans l'esprit étriqué de Leg. Il y était pourtant.
Et la vision de son me... ex, qui allait tranquillement apporter une retouche à un plat soigneusement préparé sans même parler des fleurs, était parfaitement surréaliste. Tout comme le fait qu'il ne l'ait pas encore frappé, n'ait pas plus répondu à l'insulte, et le chat, et le livre et...

C'était forcément une blague de mauvais goût.

« Je rentre pas exactement comme ça comme tu dis j'ai pas vraiment fait exprès... enfin je savais pas que t'étais là sinon oui j'serai venu te voir. »

Ne serait-ce que pour le faire chier jusqu'à ce qu'il en explose de fureur. Parce qu'il l'avait mérité.

« Par contre des excuses clairement tu peux t'asseoir dessus. C'est à toi de t'excuser, t'as grave déconné à NY. »

Il secoua la tête :

« Pourquoi t'as des plans toi, hormis faire à manger et jouer à la femme au foyer ? »

Pour qui d'ailleurs putain ?

Ouai bah ça il s'en serait douté qu'il avait pas fait exprès. C'était assez visible à sa réaction. Clint serre les couverts un peu fort et fini par lâcher un verre de peur de le péter. Y a un truc qui est en train de remonter en lui, d'un violence et d'une laideur crasse qu'il en a la trouille. Le voilà qui s'éloigne rapidement de la table, craignant de la balancer dans sa gueule.
Il pince juste des lèvres et retient des commentaires acerbes. Ça ne sert à rien. À rien du tout.

Clint se concentre, marmonne des trucs sans queue ni tête. Avant de reprendre à zéro ce qu'il avait entrepris parce que visiblement, il y a un truc qui bugue. La sauce. C'est bon. La table, c'est bon.

Ah ! Les serviettes. J'ai oublié les serviettes !

D'un tiroir, il sort quatre serviettes qu'il place soigneusement dans des ronds de table avant de les mettre sur la table. Puis il va chercher le bouquet pour venir le poser pour agrémenter le tout. Il réarrange une rose, tourne le vase pour que ça aille mieux. Et hausse les épaules d'un air indifférent et creux.

C'est l'été. Les vacances scolaires. J'ai le temps pour jouer la femme au foyer. En quoi ça te regarde au juste ? Ça t'intéresse vraiment ? Ou tu fais juste un sondage auprès des gens que tu cambrioles ?
« Au fait, du coup maintenant que je suis là et vous aussi, juste pour savoir, c'est quoi vos hobbies ? ». Non ? C'est pas ça ?
Et oui j'ai des plans oui. Je dois avancer dans la lecture de mon bouquin avant la rentrée. Et comme tout bon fiancé qui se respecte, prendre soin de ma moitié. Alors au lieu de déconner et de rester planter là, tu ferais mieux de faire pareil non ?

Le souci c'est que ça pouvait difficilement être une blague ou un canular ; Legence connaissait bien Wyatt – plus de 20 ans qu'il se le cognait à intervalles réguliers – et il était bien trop impulsif (ou con c'est selon le point de vue) pour mentir aussi bien et aussi longtemps.
D'un œil tout rond et surpris, il l'observa aller chercher des serviettes comme si c'était LE détail ultime.
Là, ça commençait à devenir limite effrayant et Legence se targuait de ne pas avoir peur de grand-chose, quand même.

« Ben ça m'intéresse un peu, oui, je suis surpris. T'en as jamais eu rien à foutre des vacances scolaires. »

Dans un réflexe de possessivité sorti d'années en arrière, il étrécit les yeux en entendant parler de fiancé ; pareil aux dernières nouvelles, c'était lui. Manifestement les choses avaient changé sans son autorisation, et le sentiment de panique continuait à grimper sans qu'il ne parvienne à l'endiguer.
Faisait limite chaud dans cet appart, et l'odeur de la sauce tomate commençait vraiment à lui peser sur le cœur.

« Je ne comprends rien de ce que tu racontes », signala-t-il avant d'aller ouvrir une fenêtre, cherchant nerveusement ses clopes. « Je suis pas du genre à m'occuper de mon fiancé, tu devrais le savoir. Terminer ton bouquin », rit-il nerveusement.

Ah non mais il s'installe en plus ! Il manque pas de culot !
Cela dit, en le voyant farfouiller, il comprend vite et Clint, pas si vindicatif qu'il n'y paraît, va vers la table basse. Il se penche, file un petit coup à la table. On entend un léget « clic » et il tire la poignée d'un tiroir qui n'était pas vraiment visible avant de sortir un paquet de clopes.
Il en prend une, en tend une autre et se dirige vers la porte fenêtre pour l'ouvrir.

Sur le balcon steuplait. La clope c'est mauvais et le chaton tousse après.

Sans parler des remarques qui suivront sur l'odeur. Mais ça tant pis.

Faut bien un vice après tout, non ?

Le voilà accoudé au balcon, l'air nonchalant et profitant de la vue sur la rue plutôt passante et sympa du quartier. Il aime bien être là.

La rentrée est dans 2 semaines. J'ai le temps de finir.

Pas sûr avec ses problèmes de lecture mais il déteste s'étendre là-dessus. Non. Vraiment. C'est pas sa faute mais il a vraiment honte d''en parler. Il tremble un peu et secoue sa main dans l'espoir de faire cesser les tressautements.
Alors qu'il prend son courage à deux mains, rassemblant toute sa volonté pour poser le millier de questions à venir, la porte s'ouvre en grand, laissant passer un homme d'un âge avancé, avec une certaine bienveillance dans l'allure et le regard. Il sent la nonchalance mais en même temps une profonde intelligence. Il balance une sacoche sur le canapé, va se servir une triple rasade de whisky avant d'aller renifler la sauce et de mettre le nez dans le frigo.
Le voilà qui les rejoint sur le balcon, ne réalisant avec surprise qu'au dernier moment qu'il y a un inconnu.

"Oh désolé. Je ne vous avais pas vu. Clint, tu aurais dû me dire que tu avais du monde, je serais arrivé plus tard."

Il lui tend ce qui ressemble à du thé glacé, se débarrassant du verre pour tendre la main vers le nouveau venu.

"Lukas Szabo. Le patron de Clint et un ami maintenant. Ravi de voir qu'il s'est enfin décidé à sociabiliser un peu. Depuis deux ans que je le connais, c'est bien la première fois que je le vois parler à quelqu'un que je ne lui ai pas présenté. Je suis vraiment content que tu te fasses des amis."

Il claque sa main sur le dos de Clint qui fait un pas en avant sous le choc. Soit il ne s'y attendait pas, soit Lukas est plus fort qu'il n'y paraît.

Ouai. Ouai. On va dire ça ouai.

Il lui lance un regard en coin. Tu parles d'un ami !
Lukas, lui, réjouit, décide de faire comme chez lui.

"Ah mais faut mettre un couvert de plus.
Faut pas vous inquiéter. Clint a tendance à doubler les quantités, surtout quand il s'agit de faire à manger. Vous restez déjeuner ? Les filles ne vont pas tarder."

Si Leg avait eu conscience d'un courant nommé surréalisme, il l'aurait sans doute appelé de tous ses vœux parce que c'était exactement ce qu'il se passait maintenant. Wyatt qui avait passé tant de temps à gueuler après Sa Chatte à NY parce que c'était un chat, le voilà qui disait que ça faisait tousser le chaton.
Totalement irréel.
Il allait ptêt se réveiller et rirait dans quelques jours de ce rêve trop réel et totalement débile.
Un nouvel élément le mit sur la défensive, comme souvent ; l'arrivée d'un type qu'il n'avait jamais vu et dont le côté bienveillant hérissait tout en lui. Il appela Wyatt Clint le plus naturellement du monde, parla de filles, et invita Legence à déjeuner.
Ok, repli stratégique, décida Pussycat. Hors de question qu'il reste là une minute de plus.

« Non c'est gentil mais j'ai énormément de choses à faire, et vraiment pas faim, je vais y aller. »

Il jeta la cigarette à moitié consumée par-dessus le balcon, ignora parfaitement le regard bousculé du dénommé Lukas et lui serra la main à la va-vite.

« Ouais, enchanté aussi. »

Avec ses allures de chat, il entama un repli vers la porte qu'il avait été franchement malavisé de forcer.

« Bye ! »

Et à jamais surtout.

Le voilà qui partait. Clint sentait qu'il allait rater une opportunité s'il n'y allait pas. Il s'excuse auprès de Lukas et le suit dans les escaliers, les dévalant quatre à quatre pour être sûr de le rattraper.
Putain non. Il a trop de questions. Ok, il a une trouille bleue d'avoir des réponses qu'il n'aimera sûrement pas. Mais tant pis. Il veut savoir. Il DOIT savoir.

Attends ! Attends putain !

Il le rattrape par le col au moment où il va sortir du hall. C'est un espace plutôt spacieux mais le carrelage a pris cher et certains câbles électriques pendent. Le raccordement date d'il y a bien trop longtemps et les normes ne sont vraiment pas ce qui comptent ici. Cela dit, il fait frais et un peu humide. L'été c'est plutôt agréable. On entend les bruits de la rue à travers la double porte en bois qui a l'air lourde mais qui n'est jamais verrouillée.

Ecoute...

Machinalement, il passe une main plus que nerveuse dans ses cheveux avant d'attraper son avant bras pour être sûr qu'il ne s'enfuit pas.

Je suis désolé mais...

Au même moment, la porte s'ouvre, laissant passer la lumière et deux jeunes femmes. L'une brune, l'autre blonde. Elles ont sensiblement le même âge. Mais leur genre est diamétralement opposé. La brune est un rien vulgaire, la blonde, dont la ressemblance avec Lukas est frappante, semble plus classe et plus éduquée.

"Oh Clint tu es là ?"

La brune fait un salut de la main avant de monter les escaliers avec habitude – elle saute par dessus une marche qui a l'air branlante – tandis que l'autre enroule son bras autour de celui de Clint. Elle leur lance un regard suspicieux alors qu'il a retiré bien trop rapidement sa main du bras de Leg.

"Bonjour ? Je suis Julia. Je suis la fiancée de Clint. Vous êtes ?"

Définitivement ça n'était pas Wyatt, d'ailleurs il ne s'appelait absolument pas pareil. Et Wyatt ne s'excusait strictement pas – ou alors après des scènes particulièrement pénibles qui faisaient manquer à Legence de très peu l'hosto, et bon, bref, pas dans ce genre de circonstances du tout.
Le visage fermé, Pussy l'écouta puisqu'on lui demandait, ne retirant pas son bras puisque la poigne n'avait rien à voir avec celle de son ex.
Pas la même personne.
Le bruit de la porte le fit tourner la tête, et agir le faux Wyatt en coupable. Il adressa un signe vague de tête aux deux femmes, les détaillant avec l'habitude du mec qui rencontre des tonnes de gens.

« Salut. »

Son regard de métal, froid et contrarié à vrai dire, se posa sur la blonde dont il n'aimait pas franchement l'allure.

« Personne qui vous intéresse, je ne reste pas. Enchanté Julia. Salut, Clint. »

Il tourna les talons, laissant là la scène domestique, parfaitement embrouillé et retourné. Mais à quel moment les choses avaient merdé à ce point-là ? …

Merde, merde, merde. Il pose ses lèvres sur la joue de Julia, s'excusant, cherchant où il a bien pu passer. Avec ses grandes jambes, il doit être loin. Ses cheveux en bataille, il cherche, partant totalement au hasard, priant tous les dieux auxquels il n'a jamais cru de l'aider.
Il doit avoir le cul bordé de nouilles parce qu'il le voit au bout d'une ruelle, marchant trop vite pour lui.

Putain.

Le voilà qui pique un sprint, allant à sa hauteur.

J't'ai demandé d'attendre putain. T'écoutes jamais ce qu'on te dit ou bien ?

Il lui agrippe trop violemment le bras, ses doigts s'imprimant beaucoup trop facilement dans sa chair, avant de le relâcher. Il s'excuse, bafouillant, l'air désolé et misérable.

Excuse moi. Merde. Attends. Promis je vais rien te faire. J'vais pas appeler les flics ou te péter la gueule parce que t'es rentré par effraction chez moi. Promis. Promis. Mais tu me connais non ? Laisse moi deux minutes. Que je reprenne mon souffle.

Plié en deux, il espère vraiment qu'il va vraiment pas se tirer parce qu'il est complètement à bout de souffle. Et il va crever s'il doit faire un pas de plus. En nage, il finit par se laisser glisser sur le trottoir, trop fatigué.

Faut vraiment qu'on cause. S'il te plait. J'ai des questions et y a que toi pour y répondre.

Legence eut un mouvement brusque pour se défaire de la prise du faux Wyatt, réagissant vivement :

« Non j'écoute jamais ce qu'on me dit, c'est une habitude ! »

Il cilla en l'entendant s'excuser de nouveau – mais quel putain de bordel c'était ça encore – et attendit.
Y avait pas, il avait beaucoup aimé ce mec-là et le voir ahaner comme ça pour une pauvre course lui faisait un peu mal au cœur. Alors il décida d'attendre encore un peu plutôt que d'appeler Rotschild pour se faire exfiltrer et se sortir cette scène pénible de la tête à coup de boulot dangereux.

« Oui on se connaît. Plutôt bien même. »

Il croisa les bras, soulignant encore plus sa taille élancée prise dans un costume trop cher pour ses activités, le considérant de haut maintenant qu'il était quasiment assis par terre.

« C'est quoi tes questions ? »

Il a un rire incrédule. Putain. Deux ans qu'il attend ça maintenant et il reste sans voix. Il a la chique complètement coupée. Et puis son souffle reste vachement chaotique et ça n'aide pas.

C'est totalement improbable hein. Deux ans que je cherche et fallait que tu rentres comme ça chez moi, l'air de rien.

Paumé, il repasse une main dans ses cheveux, cherchant par où commencer.

J'bois pas d'ordinaire mais là j'ai besoin d'un verre. Viens. J'sais pas si tu connais le quartier mais y a un coin tranquille.

Sans lui demander son avis, puisqu'il à l'air ok pour lui parler, il continue dans la ruelle, avant de passer la porte d'un bar à chicha. Il se commande un verre, sans même faire gaffe à quoi, et s'installe dans les coussins.

Tu veux boire quoi ?
D'accord. Bon, ben, on va commencer par la base.

Pourtant, il a du mal à dire un mot. Son portable vibre et il semble taper un texto avec la lenteur d'une tortue neurasthénique.

Désolé, j'ai beaucoup de mal à écrire et à lire. Je... C'est compliqué.

Il passe la main dans ses cheveux, sur le côté, dévoilant une large balafre, bien cicatrisée néanmoins, qui marque son crâne.
Il sort de la poche de sa veste un passeport qui a beaucoup souffert. Il manque la couverture et au mieux y a son nom, c'est tout. Même la photo manque.

Clint Westwood hein ? Ça ressemble vraiment à une mauvaise blague tu trouves pas ?

Il le dévisage, cherchant encore et encore... Il y a comme une fulgurance dans son regard. Il fait un sourire en coin, incertain.

Legence ?

Pussy eut un rire – reniflement incrédule ; en plus de faire à manger et d'avoir adopté un chat et une fiancée (l'un étant aussi étonnant que l'autre, sisi), voilà qu'il ne buvait pas. Il s'installa à son tour en ignorant le fait qu'avec d'aussi longues jambes que les siennes des coussins par terre constituaient un genre de crime contre l'humanité – disons qu'il était au-delà de ça pour le coup.

« D'jà un miracle que tu saches le faire, t'as appris tard », commenta-t-il avant de répondre à la question. « Un truc fort, whisky, double. »

Il lui faudrait bien ça même si son estomac était moyennement d'accord avec l'idée d'autant qu'il avait toujours pas mangé avec ces conneries.

« Ouais, dingue à croire que le destin existe » dit-il ironiquement en parfait incroyant de base. Il baissa les yeux sur le passeport, eut un sourire froid :

« Moi ça m'étonne pas t'as jamais été du genre inspiré, comme mec. Et oui je m'appelle Legence, et toi tu t'appelles Wyatt, pas Clint. Et c'était moi ton fiancé, pas … Julia. »

D'un coup, Legence se met à parler. Oh trois fois rien. Quatre phrases en vérités. Mais qui lui en apprennent plus qu'il ne l'aurait cru.
Et il passe par toutes les couleurs du spectre, en finissant sur un blanc qu'un nuancier de peinture aurait sûrement appelé « pâleur de la mort dans une aube blafarde » pour faire plus poétique mais qui voulait simplement dire qu'il était à deux doigts de tomber dans les pommes.

Wyatt, ça... ça sonne mieux que Clint hein.

Il a un rire absolument pas amusé. Au contraire. Il a un petit côté hystérique qu'il ne se reconnaît pas. Faut dire qu'il a écrit des lignes et des lignes de Wyatt à l'hosto. Son écriture reste dégueulasse mais désormais lisible. Ces exercices pour réapprendre à utiliser sa main directrice. Main qu'il fixe comme s'il la voyait pour la première fois. Il est franchement abîmée. Les callosités, les marques, tout ça était dû à des coups donnés. Putain.
Et puis il éclate de rire, les larmes aux yeux, avant de se mettre à pleurer tout de go, de façon incontrôlable.

Putain, mais putain. Je m'étais même pas posé la question.

Non. Effectivement, il s'est pas posé la question mais ça explique à peu près tout.
Cela dit, instinctivement, il sait que Leg est du genre à mentir. Et étonnamment, il lui fait confiance. Malgré tout. Malgré ces deux dernières années, pas une seule seconde il ne remet en doute ce qu'il vient de lui dire.

Ils attiraient l'attention, ce qu'on pouvait comprendre, et Legence remua sur ses coussins, mal à l'aise, avant de soupirer à l'intention de ce Wyatt qui ne l'était pas vraiment. Wyatt, pleurer ? Ouais, de rage, et encore.
Il hocha de la tête en se rapprochant de lui, glissant sur les genoux, lui confiant son verre de sky en espérant qu'il lui en resterait après son passage parce que putain il en avait besoin aussi.

« Ouais clair que ça sonne mieux, j'préfère moi. »

Et il aurait du mal à l'appeler autrement même si l'appeler ne serait ptêt plus jamais à l'ordre du jour ; la réalisation de cet état de fait avait tout d'un coup au cœur bien désagréable et bien mesquin.

« Arrête de pleurer s'il te plaît. »

Il avait murmuré cette phrase, le plus consolateur qu'il puisse être, c'était pas énorme, mais bon, c'était déjà ça.

« Tu te rappelles de quoi exactement ? »

S'il répondait « rien » tant pis il terminait le whisky.

Dans un reniflement assez peu élégant, il tente et finit par se calmer. Le verre de whisky qui lui brûle la gorge achève de le tranquilliser pour l'instant.

Des bribes. Des flashs. J'ai des noms mais ça colle à rien. Je sais que j'ai vécu à New York mais mon nom n'a rien donné.

En même temps, apparemment, il avait un faux nom. Donc un faux passeport. Pas très étonnant que l'ambassade n'ait jamais donné suite. Ils ont dû croire à un canular ou un type qui tentait de quitter le pays par tous les moyens.

Genre... Wyatt... Je savais mais... Avec ce passeport... ça pouvait pas être moi. Des lieux, des visages pas très nets. Et puis je fais des rêves mais il paraît que c'est des souvenirs. J'dois dire que...

Il pose son verre trop brusquement. Ce dernier, déjà pas tout jeune, se fendille.

Merde. Genre... Une ville pourrie, super chaude. Et j'fais un truc dont j'peux pas être bien fier. J'étais gamin je crois. Et puis y a une pharmacie aussi. Avec une pute qui traine dans le coin.

En fait, ça fait du bien de le dire à haute voix. Un peu. Il a arrêté de voir le psy depuis longtemps. Il pouvait rien pour lui. « tout vient du traumatisme ». La preuve. Apparemment il était déjà une brêle en lecture avant. Et son manque de... D'appétit... c'est pas déconnant du coup qu'il soit gay. Il s'est même pas posé la question. Ici, dans ce pays, personne ne se pose ce genre de question.
Jamais son psy n'a pu faire quoique ce soit pour calmer ses flashs, ses cauchemars. Ni pour les résoudre.
Du coup, il regarde Legence, le dévisageant. Tant pis si c'est grossier. Il cherche ce qu'il lui trouvait.
Est ce qu'il le trouve attirant ? Est ce que c'est parce qu'il lui a dit qu'ils étaient fiancés ?
Ok, il ne se souvient pas de lui mais... son visage reste familier. Comme le nom de Wyatt. C'est là. C'est aussi sûrement gravé dans sa rétine que son propre nom était sur le bout de ses lèvres.

T'as vraiment cru que j'étais en taule ? J'en ai déjà fait, c'est ça ?

Ça semble totalement... Ubuesque. Il a du mal à le croire. Quand il en parlait tout à l'heure, il a cru à une blague mais là maintenant, il a la peur au ventre de s'entendre dire qu'il a été un crevard avant. Pitié, qu'il lui dise non. Qu'il lui dise que c'était une erreur judiciaire ou une connerie du genre. Ou une blague. Voilà. Il plaisantait.

C'est pour ça que tu m'as pas cherché ?

Legence essayait désespérément d'organiser ses pensées, mais s'il avait l'intelligence logistique froide d'un organisateur de combines, l'intelligence émotionnelle était particulièrement sous-musclée, surtout depuis deux ans qu'il pensait Wyatt en taule.
Du coup là ça changeait la donne et il se sentait un petit peu volé, beaucoup pris pour un con et il ne pouvait même pas s'en prendre à son mec... ex putain ! Qui n'y était pour pas grand-chose. Il soupira, se passa la main sur le visage en essayant de contenir un agacement qui jouxtait tout à fait à la panique.
Les coups du destin, vraiment, il s'en passerait.

« Tu t'appelles Wyatt Bell, tu es né à las Vegas, on s'est connus là-bas, pfiou on était jeunes, c'était y a plus de 15 ans...
La pharmacie c'est celle que t'avais à New York, je t'ai rejoint là-bas. »

Il se redressa, termina le verre en essayant de ne pas aggraver l'éclat fait dedans par Wyatt, et hocha de la tête.

« Ouais. En fait tu t'es fait arrêter à NY pour une connerie mais comme t'étais en conditionnelle, t'y es retourné pour plus longtemps.
On était fiancés à l'époque. Et non je t'ai pas cherché pour moi t'étais à Rikers et tu risquais pas d'en bouger avant un bon moment. »

En quelques phrases, Legence mettait des bribes de souvenirs en ligne, au carré. Ho, bien sûr, Clint, enfin Wyatt, ne savait absolument pas où foutre les morceaux mais étrangement, malgré la panique qui revenait comme un tsunami menaçant, il sait que ces bouts ont une vraie place et qu'il ne sont pas une hallucination. Il se sentait mieux. Non. Pas mieux. Soulagé. Il existe bien. Il a bien un passé. Il ne sort pas de nulle part et avec du travail et de la patience, même si ce n'est pas sa qualité première, il va remettre tout à plat. Il avait bien quelqu'un qui tenait à lui. Enfin qui avait tenu ? C'est pas très clair. Et il ne sait absolument pas comment se positionner par rapport à ça.

J'ai besoin d'un autre verre.

Il fait un signe et comme par magie, les verres sont remplis de nouveau. On sent ses habitudes.

Y a deux ans, on m'a retrouvé sur les berges de la Miljacka. Je suis resté dans le coma quelques jours. Ils ont cherché avec le bout de passeport qu'il restait mais l'ambassade a fait la sourde oreille.
On a fait des examens et... bah voilà. Trouble de la parole, mais c'est revenu. De la lecture, de l'écriture, de l'attention. Mémoire de merde. Le seul truc où j'étais bon, c'était en chimie. Pas la théorie mais la pratique, j'pouvais tout expliquer. Mon toubib, il connaissait Lukas alors il l'a fait venir et il m'a embauché. J'suis prof à la fac maintenant. Lukas m'apprend la théorie et on bosse ensemble. Et il m'a présenté Julia.

Wyatt s'arrête, réalisant que peut-être ça atteindrait Legence. C'est bizarre non ? Parce qu'il tient à Julia. Vraiment. Elle est gentille et drôle. Elle n'était pas déçue qu'il n'ait pas d'histoires personnelles à lui raconter. Il se contente de l'écouter et elle est contente. Du coup, il est content aussi. Pas une seule fois il s'est dit qu'il préférait les mecs. À la réflexion, en deux ans, il ne s'est pas tellement penché sur la question de la sexualité. Être hétéro semble être la chose la plus logique au monde. Et maintenant ? Il ignore si le trouble c'est parce qu'on lui a dit qu'il avait été gay ou si ça semble être une putain de vraie révélation.
Il convient de faire quoi dans ce cas ? Ils ont eu une relation mais faut attendre quoi aujourd'hui ? Il y a un petit bout de lui qui commence à paniquer totalement. Est ce que Legence s'attend à ce qu'il plaque tout ? Qu'il retourne avec lui ? Parce qu'il le connait après tout. Il doit s'attendre à retrouver son mec. Mais... Il n'est pas exactement le même, si ?
Faut changer de sujet. Parce que ça devient flippant. Et il va même pas imaginer un truc au plumard sinon il va faire un malaise.

Mais je comprends pas... La pharmacie ? C'est pas logique. Comme un chimiste peut tenir une pharmacie ?

Il fronce les sourcils. Il fait pas trop le lien entre la chimie et la pharmacie. Normalement, c'est plus en lien avec la médecine non ? Pourtant, il n'a aucune connaissance en médecine. Clairement. Déjà il avait du mal avec les pansements, alors les médocs ?! Non. Y a un truc qui va pas.

Pussycat qui en un an avait eu le temps d'être partout chez lui dans tous les bars que comptait la ville, fit un signe au serveur qui ne se fit pas prier. Il se recala dans son siège en faisant un effort conscient pour rattraper le fil de la conversation, ce qui ne lui arrivait pour ainsi dire jamais même lors d'affaires compliquées, et attaqua une gorgée de whisky un rien trop durement même pour lui.
Il étouffa une toux de débutant.

« Ouais ils risquaient pas de trouver grand-chose vu que c'était un faux nom... »

Il hocha de la tête, pas étonné par les aptitudes en chimie, s'il avait été présent il aurait pu leur expliquer que ce qu'ils prenaient pour des séquelles n'étaient en fait que des caractéristiques pré-existantes ; mais voilà il n'avait pas été là.
Et il ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir un peu même si ça s'apparentait à regretter de ne pas avoir de don de divination. Il tiqua discrètement à l'évocation de Julia, qui lui avait tout de même piqué son fiancé ; Wyatt avait toujours eu le droit de se taper d'autres mecs – puisqu'à l'époque il ne s'agissait que de mecs – tant qu'il était prudent et discret.
Autant pour la discrétion, du coup. Il eut toutefois un mouvement de main impatienté :

« Vas-y contiue. Ah la pharmacie. Comment dire ça... »

Il avala une autre gorgée de whisky qui lui mit le feu à la gorge :

« En fait on n'a jamais été foutus d'être honnêtes tous les deux, j'ai toujours été dans les trafics divers, et toi tu … eh bien tu créais et dealais de drogue. De la très bonne drogue. La chimie ça a toujours été ton truc.
Et t'as jamais vraiment su lire ou écrire, parler c'est pas ton point fort, et t'as réellement une mémoire de merde, tu te rappelais de mon anniversaire parce que c'est avant la St Valentin et le tien. »

Pour gérer un événement qui mine de rien le déstabilisait énormément, Leg tentait de le traiter à distance, pile comme ses affaires ; sauf qu'il n'avait pas autant de charge émotionnelle dans ses affaires, et tout ça s'avérait très compliqué.
Il n'était pas souvent mis en défaut mais là oui, et cette petite douleur sourde d'avoir été juste oublié n'était pas agréable du tout.

« Tu gérais ça sous couvert d'une pharmacie, dans le Bronx. Moitié ibuprofène de contrebande, moitié coke, et t'en sniffais pas mal au passage. »

Le choc n'aurait pas pu être pire que celui là. À côté, apprendre qu'il était gay – enfin supposément, il a du mal à faire passer la pilule, finalement, il va peut-être retourner chez un psy – c'est fingers in ze noze à son humble avis.
Lui ? Un... Un dealer ?
Il allait boire une gorgée d'alcool mais cette dernière ressortie par le nez, sous le choc.

Je te demande pardon ?

Son téléphone vibre et il le récupère pour taper nerveusement un message. Tant pis pour Julia et le déjeuner. Ça peut attendre. Il saurait se faire pardonner. Une vague de culpabilité se déverse en lui alors qu'il envoie le SMS et éteint le téléphone qu'il balance sur la table avec un geste moitié de dédain, moitié de frustration.
Et il fait signe.

Non non, pas le verre. La bouteille. C'est mieux là.
Je... je me drogue ? Enfin me droguais ?

Il a un rire totalement incrédule, avant d'ajouter, surtout pour lui :

Bah putain, déjà que je me fais engueuler pour une clope de merde. Mais... j'suis qu'un camé qui fait du blé sur le dos des pauvres gars sans espoir ?

Est-ce qu'il y a chute plus rude que celle-là ? Lui ? Un dealer ? Jamais de toute sa vie – ok, elle n'a que deux ans mais quand même – il ne s'était posé la question. À la limite, qu'il ait fait des conneries, oui, fumer des pétards, fait la fête, bu plus que de raison dans sa jeunesse, pourquoi pas. Qu'il ait pu conduire trop vite, ça irait assez bien avec ce qu'il a pu expérimenter. Mais dealer.
Ses yeux se relèvent vers Legence.

Et tu voles aussi.

C'est même pas un reproche. Parce que sans ça, il aurait continuer pour le restant de ses jours de se prendre pour quelqu'un qu'il n'est pas. Mais ce Wyatt, là, il a pas l'air net. Et il n'a pas vraiment envie de faire ça. Dealer ? Sniffer ? De la taule aussi.

Donc si je résume, je suis un abruti fini qui sait pas lire et écrire, qui a fait de la taule, sûrement pour des trafics je suppose. Avec pour seul talent un petit don en chimie. Et qui est une tafiole.
Bien. Super tableau.

Merde. Il a parlé trop vite. Beaucoup trop vite.

J'suis désolé. J'voulais pas être blessant. Juste que... bah... je sais pas. C'est bizarre non ? Enfin... j'me suis pas posé la question.

Putain, il va dire quoi à Julia ? J'ai retrouvé mon m-ex ? Super. Elle va être ravie. Et Lukas va se sentir trahi aussi. Par un putain de blaireau américain.

T'as d'autres trucs glauques à me balancer ? Tant qu'à faire ?
Et... T'as pas l'air bien sûr de... heu... ta relation avec... lui enfin moi mais... enfin Wyatt. Ouai, c'est moi mais voilà quoi. Enfin bref. J'veux dire... t'as quelqu'un ? T'as refait ta vie du coup ?

Pas qu'il soit intéressé. Juste de la curiosité. Là de suite, il a plus envie de se couper la bite et de plus jamais penser au sexe de toute sa vie.

Le surréalisme prenait de l'ampleur et eut son apogée, son bouquet final et sa haie d'honneur à l'expression parfaitement surprise, limite outrée, de Clint le faux Wyatt mais en bien-pensant, qui demandait à Legence de répéter.
Là Pussycat eut vraiment envie de se mettre à pleurer pour la première fois depuis de très, très nombreuses années. Il n'avait pas spécialement bien vécu l'incarcération de Wyatt pour une connerie de conditionnelle des années plus tôt, mais ça faisait partie des risques du métier et ça il pouvait l'encaisser comme si de rien n'était en apparence.
Là c'était autre chose, c'était beaucoup plus compliqué, et il avait beaucoup plus de mal à gérer le fait d'avoir été totalement oublié et effacé, ainsi qu'en fait, le mec qu'il avait connu – et le seul qu'il ait aimé. Comme toute personne nerveuse, il masqua sa gêne extrême derrière un rire parfaitement malvenu, attrapant son verre de whisky.

« Ouais j'me doute, ça doit faire un choc. »

Il grimaça à la description rapide de Wyatt par … eh bien Clint qui n'était pas Wyatt, blessé effectivement. Oui, vu comme ça, c'était pas glorieux, mais putain, c'était juste méchant de le présenter comme ça, et il manquait tout le sel de leur relation.
Legence n'était pas grand orateur sauf pour vendre quelque chose à quelqu'un – qui en général n'en avait pas besoin. Il se contenta de hausser des épaules :

« C'était pas que ça, c'est... enfin laisse tomber. Si tu t'en souviens tu verras. Mais évite d'en parler comme ça, tu es effectivement très blessant. »

Un regard couleur silex acéré comme la pierre du même nom se porta en direction de Clint.

« J'me demande bien en quoi ça t'intéresse. Non j'ai pas refait ma vie, j'la refais jamais si c'est pas avec toi. Enfin, avec Wyatt. »

Une corde près du cœur se pinça quand il se rappela qu'il aurait peut-être pu avec Slavenko mais que les choses ne s'étaient pas passées ainsi, et que bon, la solitude lui allait finalement plutôt bien au teint.
Il chercha une cigarette au parfum riche, l'alluma sans seconde pensée pour la législation du lieu, tenta de prendre un air dégagé.

« Tu as d'autres questions ? »

Je voulais pas être blessant. Je suis profondément désolé. Sincèrement. C'est de la maladresse, rien de plus.

Et il l'est, à voir son air de chien battu alors qu'il fixe Legence. Et puis il y a, dans ce qu'il lui a dit, un truc qui lui pince méchamment le cœur, tout en le réchauffant. Apparemment, leur truc à ce Wyatt et lui, ça comptait vraiment. C'est assez chouette comme sentiment. De savoir que ça compte à ce point-là. Avec Julia, c'est pas comme ça. C'est sympa, vraiment. Mais s'il disparaissait, il doute qu'elle tienne ce genre de discours. Ou alors il a juste pas de cœur. C'est possible aussi apparemment, vu ce qu'il vient d'apprendre.

C'est tellement... Surprenant. Pas en mal hein. Simplement, tout ça d'un seul coup.
J'en ai rêvé au début et puis avec le temps j'ai simplement fini par... Je sais pas. Laisser tomber.
Personne ne me cherchait aux Etats Unis. Ni ici. C'était pas très utile d'espérer un miracle. J'suis pas très croyant.
Enfin... J'le suis sinon ?

C'est totalement délirant de parler enfin de lui mais d'avoir l'impression de parler d'un parfait inconnu.
Il avait pas réfléchi à la question de la foi. Julia l'a amené à l'église une fois. Il s'est fait chier et il a décrété qu'il n'était pas religieux. Il avait même pas tenté une autre religion. Wyatt Bell ? C'est juif ça comme nom ? Non. Ça n'a pas l'air. Ouai donc bon... C'est pas un truc là-haut qui allait lui ramener la mémoire.

Ça te fait un choc aussi je suppose ?

Ouai, bien sûr que Clint, enfin Wyatt – ça sonne mieux Wyatt mais ça reste trop étrange dans l'instant – est choqué mais lui aussi non ? Ça doit être rude. Malgré son envie d'en savoir plus, leur enfance, New York, pourquoi ils s'étaient retrouvé tous les deux de ce côté du globe, il cherche plutôt à se montrer... empathique (oui Clint, lui, il connait ce mot).

Je sais pas pourquoi ça m'intéresse. Curiosité ? C'est juste que... C'est supposé être moi et en même temps... C'est comme demander des novelles d'un gars dont on connait juste le nom. Mais toi c'est pas ton cas. Ça m'impacte évidemment mais toi aussi. Et t'as rien demandé. Pardon.

Et peut-être bien qu'au final, c'est plus compliqué pour lui parce qu'il va ressasser un passé que Clint ignore. Le fait que Legence soit capable de les différencier, c'est bien. Et en même temps, ça l'emmerde un peu. Ils sont de parfaits inconnus l'un pour l'autre au final. C'est un peu emmerdant. Il avait pensé qu'en revoyant un visage familier, il aurait un déclic.

Je sais pas. Non. Pas dans l'immédiat. Je crois pas. Faut que je... qu'on digère ça je suppose ?

Clint glisse soudain une main dans sa veste pour en sortir une carte de visite. Il y a son – faux – nom, et deux numéros de téléphone. Celui de la fac et son perso.

Je les donne à mes élèves mais... enfin... je sais pas. J'suppose que t'as pas trop envie de me voir ou me parler. Mais si jamais. Je suis désolé. Pardon. J'aimerais vraiment bien me souvenir tu sais.

Même si y a des points totalement dérangeants. Pendant un instant, il se demande qui fait la femme mais il se retient de poser la question. Ça ne le ferait absolument pas. Et il pique un début de phare en imaginant les rôles. Ouai. Non. Il y réfléchira plus tard. Ça va pas du tout.

Mais honnêtement, ton visage m'est familier. Je me souviens pas. Mais je savais que je t'avais déjà vu.

Il aurait bien aimé lui dire d'arrêter de s'excuser parce que Wyatt ne le faisait que lorsqu'il avait fait une connerie grosse comme lui et que c'était trop bizarre, mais d'un autre côté une amnésie totale et ne plus se rappeler de lui c'était une sacrée grosse connerie. Donc ça se tenait. Il rit :

« Non tu l'es pas. Du tout. Moi non plus, on a vite laissé tomber parce qu'on cadre... ait pas trop avec la religion et tout ça, tu sais les gars qui te vouent aux flammes de l'enfer, tout ça. »

Le point culminant du bizarre fut atteint quand il tenta de s'intéresser au ressenti de Pussycat lui-même ; il ne faisait pas ça. Wyatt chargeait comme un bœuf en estimant avoir raison parce que c'était ce que lui pensait et le regard d'acier de Legence se fixa sur son visage en semblant se demander où diable était la mauvaise blague.
Il repensa à sa sœur qui était tombée dernièrement dans les histoires de karma, ces trucs-là, et se dit que si c'était ça le karma eh ben il lui avait mis, et profond. Et il n'était vraiment pas certain d'apprécier.
Il fit un sourire parfaitement faux, mais convaincant.

« J'ai connu plus simple à gérer. »

Legence était capable de draper ses sentiments dans un mouchoir de la taille d'une nappe format repas de famille, ce qu'il était précisément en train de faire ; il était particulièrement douloureux d'avoir été simplement effacé d'un coup d'un seul de la vie du mec qui comptait le plus pour lui même actuellement.
Et d'être seul à se rappeler de choses qui avaient été mais qui ne seraient rappelées que par lui, avec personne à qui les partager. Il récupéra la carte de visite d'un geste d'homme d'affaires, la gestuelle reprenant le dessus.

« Merci. Je pense que ça serait mieux qu'on prenne du temps... Je ne sais pas trop, j'ai jamais été dans ce genre de euh... histoire. Le mieux c'est que toi tu me contactes si tu veux savoir des trucs je crois. »

Lui ne serait pas raisonnable et sincèrement il trouvait toute cette plaisanterie cosmique très, très amère. Il se mordit la langue à la réflexion finale de Wy... Clint.

« C'est cool, ça me fait plaisir. Je vais y aller, j'ai des tonnes de trucs à faire, hésite pas d'accord ? »