Dream life - Slavina

J'aime bien que Nina coupe mes cheveux. De corvée, ça devient un soin agréable et je sais qu'elle les coupera exactement comme il faut pour que je lui plaise. C'est important pour moi.

Il est agréable de se concentrer sur les sensations tactiles en ayant les yeux clos. C'est quelque chose de doux, une douceur inhabituelle à laquelle j'aspire aujourd'hui, peut-être bien parce que j'ai pu exprimer ma brutalité juste avant. J'ai été trop longtemps le gardien de Nina, elle a eu trop longtemps ce regard triste et de reproche en me regardant comme si j'étais responsable de la situation. Ou peut-être que j’interprète mal, je n'ai jamais été très doué pour déchiffrer les émotions même si j'ai une sensibilité particulière aux humeurs de Nina. J'ai envie de retrouver autre chose dans ses yeux. Ça passe par ces caresses sensuelles, le charnel exprimant bien mieux que les mots mes sentiments. Je ne suis pas doué avec les mots.

Je soupire et frémis aux frôlements de sa chair, je sens sa chaleur. Ma main remonte dans le creux de ses reins pour mieux appréhender les mouvements de son corps. Je laisse le mien répondre, tenter de s'accorder au sien pour mieux épouser son balancement. Nous ne sommes que tous les deux isolés du monde. Je m'autorise à gémir, Nina ne me juge jamais dans la vulnérabilité de mes émotions. Je me dépouille de mon armure qui est devenue si pesante ces derniers jours. J'entrouvre les lèvres pour accueillir la pointe d'un sein que je sens se durcir sous le frottement. Je darde une langue chaude sur lui. Une décharge me parcourt le bas ventre, me durcit contre Nina qui se frotte à moi. Un nouveau gémissement m'échappe et je finis par ouvrir un regard noyé de désir sur le corps de Nina. Ses seins sont contre ma bouche, un à un et je me tends pour accentuer ma caresse, aspirer le renflement crémeux quand il se présente à moi. Mais ce n'est pas le désir le plus difficile à gérer. Ce sont les bouffées d'amour si fortes qu'elles font tomber ma gangue de protection, morceau par morceau. Je suis ébloui, le cœur en vrac et en toute franchise, à deux doigts de chialer parce que j'aime trop Nina. Est-ce qu'on peut aimer trop quelqu'un ?

La situation est étrange, peut-être parce que c'est moi qui suis enceinte et qu'en plus c'est mon anniversaire, c'est aussi lui qui n'a plus voulu de moi, et moi qui craignais de ne plus lui plaire. On pourrait s'attendre à ce que les rôles soient inversés, il n'a pris soin de moi que très méthodiquement ces derniers temps, suivant les ordres des Tigrovi pour ma sécurité ou ceux de la gynécologue pour ma santé. Mais j'ai la sensation qu'il a besoin de ça sans que je m'explique pourquoi, tout comme je sens ses réticences tomber au fil de mes caresses apuyées. Je ne suis pourtant pas certaine de le sentir détendu. Au détour d'un geste plus possessif, je sens ses muscles se relâcher, mais sa mâchoire semble se crisper parfois, sans doute au fil de ses pensées que je n'arrive pas à deviner aujourd'hui.

Mon corps réagit, lui, avec un naturel qui ne s'embarrasse pas de mes réflexions ni de mes doutes. Il suffit à Slavenko de passer sa langue sur un téton pour que ce dernier se durcisse et se tende vers lui. Il suffit à ses mains de s'égarer sur ma peau pour qu'elle frémisse et s'éveille aux sensations qu'il veut bien m'offrir. Je cille lorsqu'il ouvre les yeux, quand je croise son regard sombre de désir mais trop brillant pour que ce soit anodin. Je ne sais pas déceler les émotions qui passent dans son regard, et j'ai beau sentir sa queue gonfler gentiment sous mon poids, je ne sais pas s'il a envie que je continue, que j'aille plus loin ou que je m'arrête. J'ai soudain l'impression de ne plus savoir comment le toucher, exactement comme c'est le cas depuis plusieurs jours en réalité et ça me blesse parce que tout a toujours été si naturel entre nous ! Mais j'ai surtout la sensation que je briserais quelque chose en m'écartant de lui maintenant ou en me montrant trop hésitante. Alors je laisse mes mains glisser le long de ses flancs, s'accrocher à sa taille quand je m'arrache à sa bouche pour descendre et poser la mienne sur son ventre.

Je mange Nina du regard, brillant et éperdu d'amour. A Sarajevo, à trop côtoyer les Tigrovi et surtout mon père, amour devient un synonyme de faiblesse. Et c'est un tort. Dans le creux de ce lit, ayant rendu les armes à Nina, je le sais. Il n'y a rien de plus beau que l'élan d'amour qui me porte vers elle.

Elle glisse plus bas sur mon corps qui réagit sans contrainte, toute barrière envolée. Je me suis soulevé pour la regarder faire. Je n'ai plus peur, je n'ai plus cette crainte de la blesser ou de mal faire parce que je suis serein. C'est la femme que j'aime. Ma femme. Je caresse le haut de son dos, une épaule dans un geste d'encouragement sensuel en soufflant une approbation avant de me laisser retomber en arrière dans les coussins, les yeux à nouveau clos pour mieux ressentir. Je passe la main sous la masse de ses cheveux, caresse sa peau, son cou, me perds dans sa crinière. Je ne suis pas impatient malgré le désir qui me taraude et me fait bander déjà dur. Parce que je suis dans une confiance totale. Je suis prêt à tout, jouer, me livrer, soupire, gémir, jouir ou repousser les limites, tout ce qu'elle voudra. Je suis à elle corps et âme.

Je guette, plus encore qu'à l'ordinaire, chacune des réactions de son corps. Le regard levé vers lui, je cherche anxieusement un signe de sa part, une invitation à continuer ou au contraire un indice qui m'indiquerait que je ferais mieux de m'arrêter là. Je crois bien que j'en tremble légèrement d'appréhension, en retenant mon souffle jusqu'à ce qu'il m'autorise à poursuivre en s'enfonçant dans les draps. Je reprends ma respiration dans une inspiration douloureuse et je me penche à nouveau, poursuivant ma progression le long de son corps que je réapprends chaque fois que je le parcours. Sa queue s'est tendue le temps que je descende et elle se dresse à présent fièrement vers moi. Je tends le bras pour m'emparer du flacon de monoi et j'en verse de nouveau dans le creux de mes paumes, sans quitter Slavenko du regard. Je ne me sens pas capable de repousser les limites ce matin, je ne sais plus où les siennes se situent et j'ai encore trop peur d'un rejet. En revanche j'aime la sensation de sa peau huileuse et souple sous mes doigts.

Je passe sur ses flancs en un massage plus appuyé que réellement possessif, et je trace de ma langue un sillon humide le long de son ventre. Les muscles de ses abdos se contractent sous la brûlure de mon souffle, son sexe tressaille légèrement alors même que je ne l'ai pas touché. Je glisse une main huileuse sur son bas-ventre, dérive encore lentement jusqu'à passer sur sa queue que j'effleure tout juste. Je laisse sur sa peau une odeur entêtante de monoi, et je m'agenouille entre ses cuisses que j'écarte. Mon ventre se noue d'appréhension, le souvenir de son rejet récent est encore trop marqué dans mon esprit pour qu'il en soit autrement, et je me voûte pour le prendre dans ma bouche. Avec la même lenteur que celle de mes mains qui massaient sa peau, je le fais coulisser dans le fourreau chaud de mes lèvres, le plat de ma langue moulant le membre turgescent qui s'enfonce jusqu'à buter contre ma gorge. Je n'essaie pas de le faire languir, ni de le faire jouir à tout prix. Je me laisse guider.

Je grogne de plaisir quand elle malaxe mes flancs, mes hanches. J'aime ses mains sur moi, et déjà je la veux plus possessive, la sentant presque timorée. J'exhale un soupir quand sa bouche m'enveloppe. Je n'ai rien contre les pipes, je l'ai déjà dit ? Non là je suis certain que c'est partagé. On a pu faire l'amour avant, on le fera après, je peux l'interrompre pour baiser si je préfère, je n'ai pas la sensation que c'est juste pour nous conformer à une quelconque obligation du "moi je peux pas mais toi tu peux" et ça a une immense importance pour moi.

Entre ses omoplates ma main se pose, l'autre toujours perdue dans ses cheveux. Mon corps se tend vers elle au rythme du flux et reflux de plaisir. Je chavire complètement, me laissant aller en exclamations de plaisirs formulées, des "c'est bon", des "encore", parfois des jurons de plaisir. La vague enfle brûlante, et mon ventre se crispe d'avantage, ma queue occupe en entier sa bouche. Je me laisse aller complètement à sa merci et sous sa volonté, attendant le coup de grâce, l'accélération qui me fera jouir. Je l'incite malgré moi de coups de reins, de ma main qui se crispe dans ses cheveux. "plus fort, oui, srce... da... da... encore" Le flash de l'orgasme m'emporte, libérateur. Les spasmes me secouent, en vagues délicieuses et je respire soudain réalisant comme mon souffle était court et précipité. Tout de suite, je me détends, et me fait tendre, attirant Nina vers moi. Je me colle à son corps, dans le besoin de sentir sa peau, ma main file entre ses jambes pour la toucher, sentir l'humidité de son sexe. Je cherche sa bouche, l'emplit de ma langue dans un baiser infiniment possessif et langoureux. Je suis fou d'amour, dévoré de passion, merveilleusement ébloui et reconnaissant, amoureux à en mourir foudroyé."volim te, volim te"

Enfin, il lâche prise sous les vagues de plaisir qui enflent en lui. Je les sens gonfler sa queue sous ma langue, emplir son ventre avant de le creuser sous une expiration plus brusque qui le tend tout entier. Mes mains enserrent ses hanches plus fort, mes doigts s'enfoncent dans la chair sans la marquer quand il m'encourage à accélérer le mouvement. Je ferme les yeux pour me laisser toute entière guider par les réactions de son corps et ses exclamations de plaisir. Je le prends plus loin dans ma bouche, plus fort, me laissant moi aussi aller au désir qui me tiraillait depuis douze jours. Je le suce avidement, comme je crevais d'envie de le faire cette semaine, me nourrissant de ses frissons comme si son plaisir était le mien. Parce que c'est le cas, ç'a toujours été le cas. J'accentue mes mouvements, les rends plus rapides encore quand je le sens proche du précipice. Il bascule dans un grondement, se répandant en longs traits chauds sur ma langue, et je bois les spasmes de son corps comme on se repait d'une oasis dans le désert.

Je n'ai pas le temps de reprendre mon souffle que déjà il m'attire à lui. Je me coule sur le flanc contre lui, me jette fébrilement sur sa bouche pour lui faire goûter son propre goût sur ma langue. Je couine sans plus de retenue quand il plonge sa main entre mes cuisses, transportée par son orgasme et l'abandon dont il a fait preuve. Je le désire si fort que c'en est douloureux et j'accroche son poignet pour l'inciter, déjà, à aller plus loin. Je gémis contre sa bouche, surprise moi-même d'avoir si brusquement basculé dans le désir urgent que pourtant je connais bien quand il s'agit du slave. J'ai envie de toi, je te veux tellement, tellement. Je psalmodie son prénom contre ses lèvres, comme une litanie à présent.

Je ramène Nina contre moi, ma bouche pressée contre la sienne dans ce baiser où je nous goûte avec bonheur. Je ne la lâche pas, mon corps épousant le sien. Ses seins chauds et lourds s'écrasent contre mon torse, je ne trouve même plus étrange son ventre à la courbe plus prononcée qu'avant. Je réponds à sa requête muette, mouillant mes doigts de cyprine, les poussant en elle, la masturbant sur un rythme soutenu tant elle est déjà brûlante. "je sais, je te veux...je te sens, t'es chaude...mouille pour moi Nina, jouis pour moi" je raconte n'importe quoi contre sa bouche, gémissant et brûlant de passion. J'aurais pu, je la baiserais, j'en crève d'envie mais je sais que ce n'est qu'une question de temps. "J'te jure qu'après j'te baise... " Plus la matinée avance, plus je lâche la bride à mes désirs refoulés. J'ai la tête emplie d'images nées de mes envies, de mes besoin. Je la caresse et lui ronronne des promesses lubriques jusqu'à ce que je la sente se cabrer et palpiter plus fort. Je bois son souffle erratique, la tenant contre moi avec bonheur. "volim te. tako te volim. Ti si moj andjeo, moja dusa." Entre deux mots d'amour, ma bouche se perd sur son menton, sa gorge, ses seins, son cou. Je ne suis toujours pas décidé à la laisser en paix. La matinée avance et on va p'tre mourir de faim en fait.

Je gémis de plaisir et de frustration mêlés quand il plonge ses doigts entre mes cuisses. Je ne sais pas si c'est toute la tension des derniers jours qui s'exprime d'un coup, furieuse d'avoir été ignorée, mais je suis déchaînée alors qu'on a baisé il y a quinze minutes ! Je me cambre dans un feulement, trempe ses doigts de cyprine quand il les pousse plus loin en moi. Comme lui quelques instants plus tôt j'implore sans retenue. Encore, putain, encore, encore. Je suis au-delà de la raison, bien au-delà et je suis si excitée qu'il n'a pas besoin de me masturber longtemps pour que je jouisse à mon tour. Je pars dans un cri qui me vibre dans la gorge, le corps arc-bouté sous les spasmes de plaisir, mes ongles férocement enfoncés dans la chair de ses épaules.

L'orgasme me fait planer haut et je suis d'abord si groggy que j'entends à peine les mots d'amour dont il me berce. Les yeux clos, le cœur battant à tout rompre j'essaie de reprendre mon souffle, nichée contre lui, mes membres encore secoués de frissons de plaisir si intenses qu'ils en sont presque douloureux. Il a retiré sa main et je garde pourtant la sensation grisante de réalisme de ses doigts enfoncés en moi, mon sexe palpitant comme s'il cherchait à retenir un plaisir qui déjà se délite. Quand je parviens à reprendre mon souffle, je reviens aussitôt chercher sa bouche, entêtée dans l'élan désespéré qui me pousse vers lui. Mes barrières pulvérisées, je ne peux plus réprimer les reproches grondants de passion qui m'échappent. Tu peux pas me tenir à distance comme ça, tu peux pas, t'as pas le droit. Je presse ma main contre sa joue, cherche son regard, le mien brillant de larmes. J'ai besoin de toi, t'oublies toujours comme j'ai besoin de toi...

Elle relève mon visage vers elle et je me perds dans son regard mouillé. Quelque chose se bloque dans ma poitrine - surement un mélange de contrition, de culpabilité et de malaise - et transforme mon visage en le rendant grave, troublé, perturbé. Je me tais sous ses reproches mérités. Quoi dire ? Elle a raison, je fais sans cesse la même erreur parce que je suis comme ça, c'est dans ma nature. Et j'ai beau essayer, je n'arrive pas aller contre ça. Si la peur s'en mêle, ou l'angoisse, je me renferme comme une huître. J'ai besoin de contrôler. Quand tout m'échappe il faut que je contrôle, et je deviens...un connard ? Je pensais m'améliorer avec le temps, mais visiblement c'est pas encore ça. J'enfouis mon visage contre elle, la humant dans un soupir malheureux pour échapper à son regard et à la douleur qui me transperce le cœur. "Žao mi je, volim te"

Je la tiens fermement, le nez entre ses seins, un bras passé autour d'elle, pressé contre elle. La sensation d'avoir déconné ces derniers jours me colle à la peau. Mais depuis ce matin je revis et je n'ai pas envie de laisser passer ma chance. Je savais qu'ici j'avais toutes les chances de briser cette distance entre nous et j'en avais désespérément besoin, autant qu'elle. Je ne sais pas si elle le réalise.

Ses excuses à peine soufflées du bout des lèvres ne me rassérènent pas vraiment, etj je ne suis en réalité pas sûre d'attendre des excuses de sa part. J'essaie de comprendre ses réactions, son comportement toujours si opposé à ce dont j'aurais besoin alors qu'il me connaît trop bien pour ne pas savoir ce qu'il me faut. Il a raison, il s'est comporté comme mon gardien mais je n'avais pas besoin d'un gardien. Il y en avait six autres minimum, constamment en poste quelque part dans la maison. C'est de mon mari que j'avais besoin, de mon ami et de mon amant, parce qu'il a toujours été les trois à mes yeux. Ça me peine d'autant plus qu'il ne s'autorise pas à se confier à moi que j'ai pour ma part toujours cherché mon réconfort entre ses bras. Je ne sais pas ce qui nous a tant éloignés, et je doute que ce soit seulement la menace qui planait sur nos têtes il y a deux jours encore.

Ce n'est sans doute pas le moment, je sens bien qu'il est vulnérable et qu'il ne semble pas vouloir parler mais moi j'en ai douloureusement besoin. Il n'en faudrait pas beaucoup plus pour que je fonde en larmes, je le sens bien, et ma voix vibre d'ailleurs un peu trop quand je me décide à prendre la parole. Qu'est-ce qu'il s'est passé...? Quand est-ce que t'as arrêté de te confier à moi, de me considérer comme une amie, une alliée ? J'ai les deux mains accrochées à sa peau parce que je me rends bien compte que mes mots sont durs et je ne veux pas qu'il s'éloigne. Ce n'est pas tant à lui que j'en veux, comme toujours j'en viens à la conclusion que c'est moi le problème. Qu'est-ce que j'ai mal dit, ou mal fait pour que tu finisses toujours par me tenir à distance comme ça...? Ma voix tremble encore, mais je ne pleure pas parce que je sais qu'il me reprochera sinon d'être trop émotive. Il va me répondre qu'il ne peut rien me dire parce qu'un rien me fait pleurer.

Ses mots me frappent durement et je regimbe, me crispant, muscles à nouveaux tendus en quelques secondes, en quelques phrases. Seuls ses bras autour de moi m'empêchent de m'écarter pour respirer alors que j'ai le souffle coupé par ses reproches, une bouffée d'angoisse remontant follement. Elle est d'autant plus désagréable qu'elle est inattendue, me surprenant d'un moment de pure vulnérabilité. Dépouillé de mon armure d'efficacité militaire, dans l'abandon de l'amour et du sexe, les mots touchent leur cible avec précision.

De mon côté, je ne pense pas avoir jamais considéré Nina comme une amie. Une alliée, sans aucun doute ce qui est bien plus précieux à mes yeux. Je ne fais pas spécialement confiance à mes amis, d'ailleurs, je n'en ai pas vraiment. Eden était ma confidente, Legence a ce statut particulier qui n'a pas de mot. Camenko est mon frère et Eliza...elle est plus proche de mon frère que de moi. Même des amis comme Stefan ou Cvetko ne me connaissent pas vraiment. Je leur confie ma vie dans les missions parce qu'ils sont Tigrovi, que l'on s'épaule, mais je ne leur confie pas mes états d'âme. Ils ne savent rien de moi. Ma conception de l'amitié est sans doute abâtardie. A New-York c'était un peu différent, Goran me comprenait.

Nina est beaucoup plus qu'une amie. Mon alliée, ma femme, ma vie. C'est elle que j'appelle si je vais mal, ou que je suis dans la merde et quand je ne le fais pas c'est parce que je veux la protéger (ou soyons lucide quand je me sens fautif à son égard). Je refuse que quoique ce soit lui arrive de mal. Et je refuse de la perdre. Lui raconter mes états d'âme, mes coups de blues ne feraient que la peiner et nous éloigner. Pourquoi l'attrister avec ma propension à l'auto-destruction ? Pourquoi lui faire peur avec des démons invisibles à combattre ? Et au delà de ça, je ne parle pas de ces trucs là. Il n'y a pas de mal être possible chez un fils de Tigrovi, il n'y a pas de faiblesse, il n'y a pas de doutes, juste une mission à accomplir, un but, un idéal à atteindre.

Le silence s'est étiré dans mes pensées confuses. Bien plus longtemps que je ne le voulais. Nina a l'habitude de mes blocages, des mes conversations hachées. J'ouvre la bouche sans savoir ce que je vais dire, frustré. Je cille, soupire, m'agite un instant. Je réitère des excuses. "je sais, je suis désolé." Mais ce n'est pas ça qu'elle attend et je suis toujours inquiet, fébrile. "tu sais bien que je ne sais pas... dire les choses. " Aucune dispute n'a jamais été résolue par mes paroles maladroites, bien au contraire. En général, je dis ce qu'il ne faut pas et on part au clash, au drame. J'ai des milliers d'exemples en tête. "Comment tu veux que je dise un truc que je comprends pas moi-même ?" Je n'ai pas d'explications rationnelles à mon attitude hormis celle de la préserver, de la sauvegarder. J'ai du mal à gérer à la fois sa sauvegarde physique, et celle émotionnelle. La première est plus facile à gérer pour moi surtout vu le contexte.

Dans l'entourage de mon père et des Tigrovi, Aleksandra chez nous, les visites de Jelenko se faisant régulières pour montrer comme il est le bon patriarche s'occupant de sa famille, je ne suis pas libre. Le carcan de la tradition familiale m'oblige à agir d'une certaine façon. Une fois encore je suis pris entre les besoins de Nina et des obligations quasi ancestrales, une fois encore j'ai essayé de composer sans satisfaire personne. Je n'apprendrais jamais. Dire à Nina que j'ai le cul assis entre deux chaises ne la satisfera pas, je le sais d'avance. Qui veut être ex-aequo ? Personne ! Elle veut être la gagnante de cette lutte d'influence qui se joue sur ma vie. Le pire étant que je la comprends!

Je réalise brusquement quelque chose et le flot de paroles s'écoule, sans plus de considération sur le fait que je vais la peiner, surement me faire pourrir la gueule, et foutre en l'air une semaine de vacances, voire mon mariage et ma vie. A priori, j'aime bien ça tout foutre en l'air "Ce n'est pas toi...c'est...c'est moi. J'ai peur que tu me juges, comme tout le monde, que je ne sois pas à la hauteur. Il fallait que je te protège, que je vous protège, toi et le bébé. C'est à ça que ça sert un père, un mari. S'il t'était arrivé quelque chose, qu'est-ce que je deviens moi ? Tu crois que je laisserais à quelqu'un d'autre le soin de te défendre ? J'ai cru devenir fou quand je t'ai perdue dans la maison, lors de la soirée où tu as été attaquée. Et si...si on avait perdu le bébé, est-ce que tu voudrais encore de moi ? Alors que c'est ma faute ? Il n'est pas né que je le mets déjà en danger, qu'est-ce que ce sera après ?! C'est à moi de prendre soin de vous, pas à mon père ou aux Tigrovi et si je n'y arrive pas ? J'ai besoin d'être concentré, si...si je pense à tout ça, je vais craquer, je ne vais pas y arriver. Je ne peux pas me permettre de pleurer ou de...d'avoir peur ! par moment, j'ai l'impression que c'est trop dur, que de toute façon je n'y arriverais pas, que tout va se briser parce que je n'y arriverais pas, et alors ça me donne envie de tout saccager moi-même pour que ce ne soit pas un autre qui le fasse. Puisque de toute façon, ce serait quand même ma faute, et j'ai peur de moi-même, je m'en veux de penser ça, je ne suis pas normal " Je remue pour me dégager des bras de Nina, je suis en train d'étouffer, au bord du point de rupture qu'elle a provoqué avec deux petites questions. Soit je pars dans des pleurs hystériques, soit je me tire, dans tous les cas, je crois bien que je n'aurais plus qu'à me tirer une balle après ! Je suis mortifié, confit de honte et en train de me taper une crise d'angoisse en fait. Je m'assieds au bord du lit, la tête entre les mains, j'hyperventile en essayant de trouver mon souffle qui s'est fait la malle. Bravo Drazavic, bien joué ! T'es vraiment comme ton père le dit, une lavette.

Je retiens mon souffle parce que je le sens se crisper, soudain tendu entre mes bras. La culpabilité me poigne aussitôt parce que je sais qu'il n'avait pas envie de se livrer. Le problème c'est qu'il n'en a jamais envie, qu'il garde tout pour lui jusqu'au point de rupture et l'incompréhension entre nous s'accumule jusqu'à l'implosion. Je tentais déjà de le lui faire comprendre à New-York, c'est toujours le cas ici, pour moi le mariage ne signifie pas être avec un homme qui veillera à satisfaire mes besoins. Ça signifie être là pour lui, moi aussi, être capable de l'épauler. Et si c'est toujours si difficile c'est parce qu'il ne me laisse jamais l'occasion de le faire, il attend que la situation entre nous se tende à l'extrême avant de balancer des bombes que je n'ai pas pu anticiper. J'ai peur que ce soit encore le cas aujourd'hui mais je prends le risque parce que je n'en peux plus de ces ennuis qui nous éloignent toujours un peu plus.

Les frissons de plaisir qui s'accrochaient à ma peau s'étiolent dans l'angoisse qui me gagne, mais je ne fais rien pour le presser, le laissant chercher ses mots parce que je sais que j'en ai déjà fait suffisamment. Je secoue doucement la tête, répondant d'une voix tout aussi douce pour ne pas l'effaroucher. Je sais bien mon ange, je sais qu'on est différents là-dessus... Exprimer ses émotions n'est pas une chose facile pour lui, de la même façon il a toujours beaucoup de mal à comprendre les miennes ou à savoir de quelle façon y réagir. En ça je n'ai jamais réellement pu m'appuyer sur lui, moi non plus, il a tendance à vite paniquer quand je vais mal et ça se traduit chez lui par une colère sourde et une rage froide qui finissent toujours par se retourner contre moi. Il faut qu'on se déchire, qu'il ait peur de me perdre pour enfin redescendre et être capable de m'écouter. J'aimerais qu'il en soit autrement mais je ne peux pas le changer...

Et puis le flot de paroles s'écoule de sa bouche en un flux ininterrompu qui me glace un instant. Je me prends de plein fouet toutes ses craintes, ses angoisses, sa colère, ses remords et ses questions auxquelles je n'ai pas de réponse. Il me faut, à moi aussi, quelques instants pour encaisser ses mots, les assimiler et surtout me maîtriser. Je me souviens parfaitement de ses reproches, du fait qu'il pense ne rien pouvoir me dire parce qu'il ne me croit pas capable de prendre sur moi, parce qu'il ne me pense pas assez forte pour le comprendre ou l'aider. Je ne veux pas reproduire la même erreur. Il a attendu bien trop longtemps pour se confier, je ne peux pas me permettre de mal réagir. J'essaie de me mettre à sa place, de faire preuve de cette empathie que je lui reproche de ne pas avoir envers moi. D'autant que je comprends ses peurs, et finalement ses mots m'émeuvent bien plus qu'ils ne me blessent. C'est pire encore lorsqu'il s'éloigne de moi, se déprend de mes bras, visiblement dévasté.

Je ne veux pas le laisser s'éloigner mais j'ai peur de sa réaction si je lui impose un contact dont il ne veut pas. Prudemment je m'extirpe des draps pour aller m'asseoir à côté de lui, à genoux sur le matelas. Je pose une main sur son bras, doucement, d'un geste hésitant, et je commence par ce qui me semble être le plus important. Je voulais ce bébé avec toi, Slavenko, avec personne d'autre... Et je voulais de toi quand tu ne voulais pas d'enfant... Je voudrais encore de toi, toujours, même s'il était arrivé quelque chose... Bien-sûr j'en aurais été bouleversée, je ne sais pas si je m'en serais remise mais ça n'aurait pas remis en cause mon amour pour lui. Il n'était pas responsable de la fusillade. Ce n'était pas de ta faute, ils m'ont confondue avec Aleksandra, tu n'es pas responsable de ce qu'il s'est passé Slavo... Je sais déjà qu'il pensera le contraire malgré tout mais je ne peux pas ne pas le dire. Je sais qu'on est en désaccord sur le sujet, que ce n'est pas comme ça que tu as été élevé mais je le répète malgré tout... Tu n'as pas besoin d'être infaillible, pas avec moi. Tu as le droit de pleurer, d'avoir peur, d'être inquiet ou en colère. Je ne te jugerais pas, je ne t'ai jamais jugé et je ne verrais pas ça comme un aveu de faiblesse. Tu n'en seras pas moins fort à mes yeux, je ne serais pas moins fière de toi... Ça te rend seulement plus... Plus humain ? Je sais bien que je m'emporte parfois, et que tu as peur que je m'en aille quand je t'en veux ou que je suis en colère mais ce n'est pas le cas. Je ne demande que ça, d'être là pour toi, je n'ai toujours voulu que ça mais tu ne me laisses pas faire... Tu attends qu'il soit trop tard pour me parler et je ne sais plus ensuite comment t'aider...

Je me risque à tendre ma main libre pour la poser d'abord sur son épaule, puis je remonte jusqu'à sa nuque. Je me penche, me voûte sur lui, dans son dos, mon front se pose sur son omoplate, mon autre main passe finalement sur son flanc quand je l'enlace. Je hume son odeur, longtemps. Je t'aime, Slavenko. Je t'aime plus que ma propre vie, je t'ai aimé dès la première seconde et je n'ai jamais cessé ensuite. Je ne sais pas si ça suffit, si c'est assez pour te rendre heureux mais toi... Toi tu me suffit. Ne saccage pas tout seulement parce que tu as peur, je saurais pas vivre sans toi... S'il te plaît... J'ai beau essayer d'étouffer mes émotions, je ne peux rien faire contre la note implorant qui achève ma phrase. Je le sais, je ne supporterais pas de le perdre à nouveau.

Il y a ce moment où Nina me fait craquer, me pousse si fort dans mes retranchements que je suis acculé et le flot de paroles sort, brutal, désordonné, violent. Elle m'enlace et j'ai juste envie de mourir pour ne pas pleurer devant elle. Si la foudre pouvait me tomber dessus, merci. Je n'ai jamais pleuré que pour Nina, à cause d'elle, pour elle, dites le comme vous voulez. Je me cache, mes poings serrés sur mes yeux pour les empêcher de faire n'importe quoi et dans cette attitude enfantine aussi : "si je ne vois pas, on ne me voit pas". Si elle ne me juge pas - dit-elle - moi je me juge, et c'est déjà bien suffisant. Je sens le poids des regards, les jugements des autres, imaginaires ou pas, et ça me flingue.

Bien sur je repense à Legence, à ce soir où j'aurais pu bafouer mon mariage et je fonds brutalement en larmes quand Nina m'implore. Le remord se mêle au soulagement de ne pas avoir céder à mes sombres pulsions auto-destructrices. J'en remercie mentalement mon ami parce qu'il se serait montré plus insistant, je ne suis pas sur que je ne me serais pas jeté dans le précipice tête la première. J'ai toujours eu ce sentiment d'être anormal - peut-être qu'à force d'être traité de psychopathe ça n'aide pas vraiment - et c'est pesant, terrifiant. Je secoue la tête, essayant de ravaler ces larmes qui coulent à flots honteux. "Je n'ai rien saccagé." bien que ma voix - en serbe, je suis trop bouleversé pour m'en rendre compte - sorte étouffée entre mes mains, il y a une note interrogative parce qu'il est possible que Nina estime que si, je ne suis pas très sur de moi "je ne veux pas tout casser"

Il n'est pas étonnant que j'ai longtemps refusé de fonder une famille quand on voit la pression que ça me met, mais maintenant que j'ai passé le pas, je veux aller au bout et je ne veux pas renoncer, ni à Nina, ni au bébé. "Je t'aime, toi et le bébé"

Je suis stupéfaite qu'il fonde en larmes, je ne m'attendais pas à une telle réaction de sa part. Contrairement à moi, Slavenko ne pleure pas aisément et je sais que chaque fois, c'est parce qu'il a accumulé son malaise depuis trop lognrleps. Ça me fait d'autant plus de peine qu'il ne m'a pas appelée à l'aide une seule fois. Il ne s'est pas confié à moi, ne m'a pas pensé capable de lui venir en aide sans doute et je désespère de trouver un jour le moyen de gagner sa confiance. Le pire c'est que si les rôles étaient inversés, il se mettrait probablement en colère. Comme le soir où je lui ai annoncé ma grossesse. J'étais dévastée mais il a fallu que je fasse un malaise et termine aux urgences pour qu'il daigne tenir compte de mes états d'âme. Dans ces moments là je me dis toujours que je lui rendrais la pareille mais le moment venu j'en suis bien incapable, je l'aime trop pour lui vouloir le moindre mal.

Je le serre plus fort contre moi, à l'étouffer, mon nez enfoui contre sa peau nue. Dieu merci je suis loin de me douter du fond de ses pensées et je ne perçois pas la note interrogative dans sa voix pour ce qu'elle est vraiment. Je pense seulement qu'il s'en veut d'avoir été si distant ces derniers jours. Je secoue la tête et presse mes mains contre ses flancs. Je lui réponds dans sa langue moi aussi, avec ma connaissance bancale et sant doute souvent erronée du serbe. Non, non tu n'as rien cassé mon amour... Je voudrais essuyer ses larmes mais j'ai peur que le geste le tétanise complètement alors je me contente d'embrasser sa peau au hasard. Je presse mes lèvres sur une épaule, sa nuque, contre son bras, le haut de son dos. Je suis là pour toi Slavo, je serais toujours là pour toi, je t'aime, ne sois pas triste, je t'en prie, tu n'as pas de raison de l'être...

Non, je n'ai pas égratigné le contrat mais la simple pensée d'avoir failli le faire m’anéantit. Durant douze jours, j'ai caché mon malaise, le poussant de coté en me servant de l'excuse du travail, de la menace, de ce que je devais faire, mais mon reflet dans le miroir me mettait mal à l'aise. Aujourd'hui confronté à la détresse de Nina, la mienne fait un écho d'une indicible douleur. Pourtant je ne peux rien lui dire. Je sais qu'elle ne me pardonnerait pas mes errements, même sans que j'ai couché avec Legence. Je suis bien sur que pour Nina avoir pensé la tromper, avoir joué avec le feu est bien suffisant. Je me souviens de mon aveu concernant Eden. Alors à quoi bon la blesser et mettre d'avantage en péril notre couple. Mais paradoxalement, je me sens manipulateur ce qui me renvoie à l'image de mon père. Quand je disais que je lui ressemblais trop. Je me donne envie de vomir.

Les paroles de Nina me rendent encore plus triste et amer mais la crise finit par passer et mes larmes se tarissent d'elles-même. Je ne pleure pas souvent et c'est toujours avec une violence qui s'épuise vite. Je me sens gauche et bête, épuisé et pas vraiment soulagé. Calmé, lessivé par la violence de la déferlante d'émotions, je me tourne à demi vers Nina pour caresser son bras. Je souffle en guise d'excuses à cette scène hystérique et indigne "je suis désolé." J'embrasse rapidement son épaule et j'évite son regard avant de me lever gauchement pour aller dans la salle de bain qui se trouve à coté. J'ai besoin de me passer de l'eau froide sur le visage. Ma main tremble en tournant le robinet du lavabo pour le mettre au glacé. Je n'ai pas d'autre choix que ravaler mes remords en évitant mon reflet.

Après avoir déballé tout ce qu'il avait sur le cœur et que je ne soupçonnais même pas, il se tait, brusquement avare de mots. Je sens bien que ma tentative pour le réconforter est infructueuse et je me laisse retomber sur les draps, malheureuse comme les pierres, quand il s'écarte de moi. Je le regarde s'éloigner sans un regard vers moi, puis disparaître dans la salle de bain et je me sens brusquement démunie. Je me doutais que la conversation serait difficile mais je ne pensais pas qu'elle le mettrait dans un état pareil. J'ai l'impression qu'il regrette d'avoir voulu cet enfant, qu'il se sent oppressé dans la vie qu'on mène aujourd'hui, comme s'il était en train de réaliser que finalement, il n'en voulait plus. J'ai fait de mon mieux pour l'apaiser mais il faut croire que je ne sais pas m'y prendre, peut-être que je ne le connais pas aussi bien que je le pensais.

Le cœur au bord des lèvres, c'est moi qui suis nauséeuse maintenant, je sors du lit et enfile la première robe qui me passe sous la main pour sortir. Je redescends sur la terrasse, récupère le plateau du petit-déjeuner pour le ramener à l'intérieur, ranger et faire la vaisselle pour m'occuper les mains. Je me sens mal de cette journée gâchée, de l'anniversaire qu'il m'a organisé sans que je comprenne pourquoi puisqu'il est si malheureux avec moi. Tout m'apparaît à présent comme un grand mensonge mais je ne peux pas partir, on va encore me traiter d'hystérique et ça appuiera ses propos quand il dit qu'il ne peut rien me confier. Je ne veux pas lui donner raison sur ce point. Alors je m'occupe en serrant les dents, ravalant mes larmes.

Je m'octroie un petit peu de temps pour me reprendre. Et comme j'entends Nina se lever et descendre, je prends même une douche. Je me sèche et m'habille, absolument déprimé d'avoir gâché la matinée, si ce n'est tout le séjour. J'ai une merveilleuse surprise pour elle à 16h et ce soir, et je ne suis pas du tout sur qu'elle veuille encore la partager avec moi. j'enfile le bermuda acheté pour Bali, les chaussures en toile qui vont avec et un tee-shirt propre. Une casquette, mes lunettes - double utilité aujourd'hui ! - et je descends rejoindre Nina en mettant de coté mes états d'âme. Il est grand temps que je me reprenne en main et c'est ce que je comptais faire durant cette semaine de vacances.

Je récupère mon téléphone et consulte la map en retrouvant Nina sur la terrasse. "on y va faire ces courses ? La supérette est à deux rues d'ici, on peut y aller à pied. Je prends des sacs, il doit bien y avoir ça quelque part dans la cuisine." Et puis réalisant qu'elle est encore très peu vêtue voire pas du tout, j'ai un léger rire. "humm tu devrais quand même enfiler quelque chose avant, sinon ça va jaser !!"

J'entends l'eau de la douche et tout ce à quoi je pense c'est qu'il a préféré la prendre sans moi. Je me renferme tout à fait, étouffant comme je peux mon envie de m'en aller. De toute façon où est-ce que je pourrais aller ? Il revient plus tard, l'air de rien, me proposer d'aller faire les courses comme si de rien était et je voudrais très franchement lui dire d'y aller seul mais je me ravise, je vais éviter de déclencher une guerre et puis pour quoi faire de toute façon ? Six nuits, putain que ça va être long. Je me surprends presque, pour la première fois, à espérer que son père l'appelle pour une mission quelconque qui écourterait notre séjour.

Je baisse les yeux sur ma robe, légère certes mais je ne crois pas qu'elle attire les regards pour autant. J'ai enfilé quelque chose. Tu veux que je me change ? Ma tenue est trop courte pour son pays de pervers qui ne savent pas mater une meuf sans lui sauter dessus ? Je hausse les épaules et le laisse chercher des sacs pendant que je récupère des sous-vêtements dans la valise histoire de ne pas sortir à poil. Je change même de robe pour en prendre une autre, plus longue, je voudrais froisser personne. Quand je redescends, on est prêts à partir et je me dirige vers la porte sans rien dire. Plus jamais j'essaie de parler.

Bon sang, j'ai de la merde dans les yeux. "Non, non désolé, c'est très bien" marmonné-je contrit. Décidément, rien ne va plus. Le temps d'aller chercher des sacs dans la cuisine, Nina s'est changée sans que je comprenne bien pourquoi. Un autre mystère féminin sans aucun doute. J'ai un peu mal au crâne et je suis bien content d'avoir mes lunettes. C'est la fin de matinée et le soleil se fait brûlant. Je marche à l'ombre de la rue à coté de Nina. On ne parle pas mais ce silence en dit long et je ne comprends pas bien ce qui se passe à dire vrai. J'ai une fois encore l'impression que je n'aurais pas du parler et le sentiment de honte me colle à la peau.

A mi-parcours selon mon gps, je suis pris d'une bouffée d'angoisse. Désemparé je m'arrête et je prends la main de Nina pour l'arrêter. Inquiet, je cherche son regard voulant y lire autre chose que la colère et la rancœur, mais c'est ce que j'y trouve. "Duso." Les sourcils légèrement froncés d'appréhension, le visage grave, je m'avance vers elle en me voûtant pour un baiser, espérant qu'elle ne me repoussera pas dans cette rue sans passant.

Le problème, comme souvent, et c'est en ça qu'on ne se comprend pas, ce n'est pas tant ce qu'il a dit que la façon qu'il a eu de le faire et surtout sa réaction ensuite. C'est finalement exactement ce dont je parlais. Il attend que son mal-être pourrisse sans m'en parler, et puis il me balance à la figure une bombe pour me dire à quel point il se sent misérable dans notre vie, avant de brusquement s'éloigner de moi sans même répondre à mes tentatives de le rassurer. Il se contente de tout me faire péter à la gueule et de tourner les talons avant de revenir comme si de rien était. Bien-sûr que je suis déçue et en colère ! Comment pourrait-il en être autrement ?

On marche dans un silence de plomb dans les rues peu fréquentées, le soleil frappant mes épaules et mon dos pour les rougir. Je cille, sourcils froncés, quand il stoppe net pour attraper ma main. A dire vrai je m'attends à tout sauf à ce petit surnom dans ces circonstances, ou à ce qu'il se penche pour réclamer ma bouche. Je lui rends son baiser du bout des lèvres, dans une moue boudeuse, avant que bien malgré moi mes sens s'éveillent sous la chaleur de son souffle. Je tends un bras vers lui pour l'enrouler autour de sa taille et le ramener contre moi, l'embrassant plus fort. Qu'on ne s'y trompe pas, je suis toujours en colère, mais je ne résiste pas à ses baisers.

Je perçois son hésitation, vibrante dans l'air, teintée de colère mais elle ne me rejette pas. Elle ne semble céder que sous mon baiser, et finit par me ramener à elle. Un hoquet de soulagement meurt sur mes lèvres scellées aux siennes. Je passe mes bras dans son dos pour me serrer contre elle, voûté à cause de notre différence de taille. Mon cœur explose en battements sourds, la chaleur dans mon ventre dénoue l'angoisse latente. Elle ne peut pas me chambouler, me retourner l'âme, le cœur, les tripes et m'en vouloir ensuite, n'est-ce pas ? Ce serait trop cruel.

Du revers de la main, je caresse sa joue en murmurant encore contre sa bouche "duso, duso..." Mon nez frotte le sien dans ce geste de réconfort animal que nous avons souvent avant que je ne bécote à nouveau sa bouche, en un millier de baisers légers, symptômes de ma peur de la perdre, de mon malaise face à son rejet, de mon amour démesuré pour elle malgré toutes mes maladresses. "duso, ja volim te, duso"

J'ai l'impression qu'il le sait, qu'il sent comme ce surnom est capable de m'émouvoir seulement parce qu'il me renvoie à la passion qui nous liait autrefois. Avant, parce que je ne suis plus si sûre qu'elle soit encore là aujourd'hui, ou du moins pas réciproque. Un instant je me demande s'il en joue pour m'amadouer et briser mes défenses, mais je ne l'ai jamais pensé si manipulateur et je ne pourrais pas lui faire confiance si j'avais des doutes à ce sujet.

Je geins tout bas contre ses lèvres qui dévorent les miennes lentement, boivent mon souffle jusqu'à ce que ce dernier me manque. Mes doigts s'accrochent bien malgré moi à son tee-shirt, ma main libre s'est frayée un chemin sous le tissu pour se presser contre son dos et y sentir la chaleur de sa peau. Que ce soit volontaire ou pas, ça fonctionne parce que ses mots d'amour m'électrisent, j'ai toujours été trop faible face à lui, ma volonté se fait la malle dès qu'il pose les yeux sur moi. J'entrouvre la bouche, passe doucement ma langue sur ses lèvres, les suçote dans un soupir avant de venir chercher la sienne. Le désir fait un rush brutal dans mes veines, comme toujours lorsqu'il faut chasser l'angoisse, mais ce n'est plus ni le lieu, ni le moment pour ça. Déboussolée, le regard brillant, je relâche sa bouche, à bout de souffle, mon front contre le sien. Ma voix rauque me trahit quand je murmure enfin : I ja volim te...

Cette fois, ce n'est pas de la manipulation consciente - à peine comme lorsqu'elle glisse ses mains dans mes cheveux pour m'amadouer - mais ce mot est simplement le plus fort dans ma langue pour décrire ce qui lie deux êtres, le plus intime. Etre l'âme de l'autre, sa moitié, je n'aspire qu'à ça avec Nina. Je ne la manipule pas pour qu'elle me pardonne, ce n'est pas son pardon que je veux, c'est son amour parce que de mon coté, je me consume douloureusement. Ce serait terrifiant que ce soit à sens unique, ou qu'elle se lasse de moi et de mes conneries. Je frissonne à la sensation de ses doigts sur ma peau, le désir brûlant dans mes veines de nos baisers entêtants.

Si je perds le souffle cette fois, cela n'a rien à voir avec l'angoisse. Les battements de mon cœur précipité ne charrie plus que le besoin de Nina. Le désir enfle et chasse tout sur son passage. Il n'y a plus que Nina et mon désir d'elle, et celui que je lis dans ses prunelles sombres quand elle répond qu'elle m'aime. "moja dusa." Mes doigts glissent dans son cou, vers la peau douce et tendre en un attouchement intime, caresse la nuque sous la masse de ses cheveux sombres. "ti si divna." Je ne l'ai jamais trouvé si belle qu'en cet instant où le soulagement se mêle au désir, où l'amour est si oppressant et fort que je la vois dans un halo de lumière éblouissant alors que nous sommes à l'ombre du mur des maisons qui bordent la rue. Sur sa gorge, mes doigts sont doux et possessifs comme je peux l'être dans les prémisses de l'amour. Au milieu de la rue, je souffle "zelim te..."

C'est vrai qu'il y a un avant et un maintenant, avant, je l'aurais sans doute baisée dans une rue du Bronx. Mais ici, je me vois mal trousser ma femme enceinte dans la rue. Ma mâchoire se crispe de frustration, et j'adopte la seule solution possible, celle de prendre Nina par le poignet et faire demi-tour vers la villa que nous avons louée !

Je ferme les yeux sous la douloureuse onde d'émotions qui me transperce de part en part au seul contact de ses mains sur mon cou. C'est un mélange violent de désir, d'amour, d'angoisse aussi, de tendresse infinie. Il ne fait qu'effleurer ma peau mais je sais, comme lui, que ce geste est le prémisse à d'autres plaisirs. Les deux mots qu'il souffle tout bas contre mes lèvres achèvent de m'embraser toute entière, charriant sous mes paupières un instant closes des images crues et terriblement réalistes. Je n'ai pas besoin de me concentrer très longtemps pour imaginer, et presque pouvoir sentir la caresse de ses doigts glissant plus bas sur ma peau. J'imagine ses mains passer sous le décolleté ample de ma robe, empaumer mes seins, et dériver possessives sur mon ventre.

J'irradie de désir quand il prend mon poignet entre ses doigts pour nous faire faire demi-tour. Je cligne des yeux sous la douloureuse reprise de contact avec la réalité. Un instant j'ai oublié où nous étions et moi je n'aurais pas vu d'inconvénients à ce qu'il me pousse contre le mur pour me prendre là. Je me laisse pourtant faire sans broncher, et Dieu merci la villa n'est pas très loin parce que je ne suis pas sûre que j'aurais pu tenir très longtemps. Nous passons tout juste le seuil de la porte d'entrée que je me jette à son cou dans un baiser enflammé, toute retenue envolée à présent que nous sommes à l'abri des regards.

Je fais demi-tour comme un taurillon chargeant un toréador énervant et resserre ma prise sur le poignet de Nina, mes doigts incrustés dans sa chair. On passe le portail luxueux par l'entrée des piétons qui se claque à nouveau derrière nous. Aussitôt, nos bouches se retrouvent avidement et je me voûte pour saisir Nina à la taille avant de la soulever, de l'amener à ma bouche en la faisant s'étirer sur le bout des pieds puisqu'elle a déjà ses bras autour de la taille.

Je retrousse sa robe sans façon, agrippant ses cuisses sans douceur, avec cette envie possessive qui me fait la pousser contre le portail en bois. Je mords sa bouche, la lâche pour mordre son cou dans un baiser mouillé, arrachant déjà sa culotte en essayant de la baisser. Le fait s'avoir baisé plusieurs fois auparavant n'entrave pas mon désir parce que celui-ci est né de l'angoisse. Le besoin est irrépressible de posséder Nina, de la faire mienne encore. Nos disputes et nos éloignements sont souvent le déclencheur de pulsions que j'ai besoin s'assouvir pour simplement me sentir mieux, et savoir que tout va bien entre nous malgré nos déchirements.

Je m'écarte en la retournant, pour qu'elle me présente ses fesses, la laissant s'appuyer au haut portail en bois qui nous cache à la vue de tous. Son cul à la peau d’albâtre est absolument bandant ainsi offert et j'étouffe un juron en défaisant précipitamment mon bermuda. Je reviens contre elle pour une prise de possession brutale, une main agrippant ses hanches, l'autre fourrageant sans ses seins délicieusement lourds. Mes coups de reins sont durs, profonds et rythmés, parce que Nina est à moi, à moi seul et je ne me prive pas de lui dire à coup de ti si moja grondants.