Tie me down don't leave my side || Slavina

19 octobre ; 19h43

Je jette un dernier regard à mon reflet dans le miroir, et pour la première fois depuis de longs mois, je suis plutôt satisfaite de l'image que la glace me renvoie. Tomas est né il y a un tout petit peu plus d'un mois maintenant, et si je sais que la plupart des femmes me haïront pour ça, je dois dire que mon corps a incroyablement récupéré. Je pensais que ce serait plus long, mais la faible prise de poids durant la grossesse, couplée au fait que j'ai accouché avec deux mois d'avance, n'y sont pas pour rien. Il paraît que le dernier trimestre est celui durant lequel le corps change le plus, il faut croire que j'y ai échappé. Mon ventre est redevenu plat, même si la peau est plus lâche qu'avant, mais ce n'est rien que des séances de sport ne sauront corriger. Je peux, en tout cas, porter cette robe moulante sans problème. Le tissu, bordeaux, tranche sur ma peau claire, en dévoilant la blancheur jusqu'au creux de mes reins laissé dénudé par l'échancrure du vêtement. Il commence à faire frais dehors dès que la nuit tombe, et j'ai pu enfiler des bas en nylon qui soulignent le galbe encore fuselé de mes jambes.

Si je suis encore fatiguée, Tomas est un bébé facile, qui se rendort rapidement après avoir mangé, et qui pleure peu pour autant qu'on réponde à ses besoins. Je n'ai plus ces cernes sombres sous les yeux, mon teint a retrouvé quelques couleurs et je commence même, doucement mais sûrement, à me remplumer un peu. En fait mon problème n'a jamais été de perdre mes kilos de grossesse, plutôt de réussir à les conserver. En ça, je dois dire que l'arrivée de Lorena dans notre vie a amplement changé la donne. Slavenko tenait à ce que la nounou ne se contente pas de s'occuper de Tomas, il voulait quelqu'un pour nous aider à la maison, afin de nous dégager du temps, et je crois bien que nous sommes parvenus à trouver la perle rare. Depuis que nous l'avons revue il y a deux semaines, elle est passée chez nous tous les jours. Elle m'a aidée à m'occuper de Tomas, veillant sur lui pendant que je prenais ma douche par exemple -la première fois a été une épreuve terrible-, ou me permettant de faire une sieste en occupant le bébé. Mais elle a également fait à manger, plusieurs fois, et je dois dire qu'elle cuisine divinement. Je suis même parvenue à la laisser seule avec mon fils, le temps de quelques heures qui m'ont permis de passer à l'agence, parce que j'ai partiellement repris le travail. Peu à peu, j'apprends à lâcher du lest pour ne pas l'étouffer, et à faire confiance à la nounou... Dans la mesure du raisonnable, quand je pars il y a un trackeur GPS dans les fringues de Tomas, traitez-moi de folle ça m'est égal.

Mais aujourd'hui, pour la première fois, elle va le garder toute une soirée, et sans doute une partie de la nuit. Il est grand temps qu'on se retrouve, Slavenko et moi, seuls. Il ne devrait d'ailleurs plus tarder à rentrer, maintenant, on a réservé au restaurant pour 20h30. Si j'appréhende de laisser mon fils, je suis aussi impatiente de retrouver un semblant de vie conjugale. Je noue un collier en argent autour de mon cou, repasse un coup de rouge à lèvres sans transfert sur mes lèvres, et sors de la salle de bain. Lorena est déjà là, occupée à préparer son repas du soir dans la cuisine, et je vérifie que toutes les affaires de Tomas sont en ordre.

Depuis quinze jours ma vie a repris une routine rassurante qui pourtant ne me satisfait pas totalement mais comme toujours, je fais ce qu'on attend de moi. Je partage mes journées entre le Klan et ma famille en préservant savamment cette dernière par le temps que je passe à la maison. Le matin et le soir, je passe au QG mais j'ai pour le moment fait fermer au public le Pussynight dont les filles ne travaillent donc plus qu'exclusivement pour les Tigrovi. Au sein de ces derniers, nous avons du mener un gros nettoyage et les esprits - s'ils ne sont pas tout à fait calmés - sont au moins assez prudents pour taire leurs protestations. Je sais très clairement sur qui je peux compter et sur qui j'ai des doutes, les autres ayant été éliminés d'une façon ou d'une autre. Nos premières actions ont été de consolider notre territoire pour éviter toute incursion Saranovic, et rassurer les politiques et partenaires avec qui nous travaillons. Je ne voulais pas de ce rôle et me voilà à aider Camenko à diriger les Tigrovi. Ça me laisse un goût amer.

Aujourd'hui, exceptionnellement, j'ai passé la journée entière au QG, parce que je savais que le soir, Nina et moi sortions. C'est elle qui a voulu cette soirée et je ne sais pas trop quoi en penser, ce qui me rend nerveux. J'ai pris mes affaires pour me préparer au QG, ou plutôt à l'appartement de mon père qui se trouve en face et que j'ai investi pour ma convenance personnelle. Je n'ai touché à rien et j'ai souvent le sentiment qu'il va surgir d'un moment à l'autre dans ce lieu qui respire sa présence bien plus que la maison familiale où il avait installé Aleksandra. Son appartement, sa vie, c'était ici, dans cette garçonnière en face du QG des Tigrovi. Cela n'arrange pas mon ambiguïté de sentiments quand au fait d'avoir tué mon propre père et j'enfouis tout ça avec soin, mais les cauchemars me tourmentent la nuit, me rappelant ce conflit non résolu. Cela se traduit par un calme étrange chez moi et de légères cernes.

Quand je pousse la porte de la maison vers 20h, je suis donc habillé de pied en cap. J'ai mis le costume offert par Legence. N'y voyez pas une provocation, je pense que Nina ne sait même pas qui m'a offert ce costard, simplement, ce costume est indéniablement celui qui me va le mieux avec ce vert qui soit-disant flatte mes yeux ! Je crois surtout que c'est sa coupe impeccable et le tissu recherché qui fait la différence. J'ai mis une chemise blanche au col ouvert sans cravate, et des chaussures de ville qui me font un peu mal aux pieds tant j'ai l'habitude des rangers. Je vais dans le salon où se trouve Lorena avec qui je suis toujours poli mais sans plus. Elle a été choisie avec soin par Camenko, c'est tout ce qui m'importe. "Bonsoir." Je vais surtout embrasser mon fils qui se tient dans un truc qui je crois s'appelle transat, les yeux ouverts. J'ai de la chance, en général il y reste 10mn avant de s'endormir et d'être remis dans son landau. "hey Beba." Je souris et m'accroupis près de lui en attendant Nina qui certainement, finit de se préparer.

Les talons qui claquent me font relever la tête et laissant mon fils, je me redresse pour accueillir sa mère qui m'apparaît. La vue de la robe bordeaux me fait sourire, c'est une couleur que j'aime particulièrement sur la peau blanche de Nina. Seule la présence de la nurse m'empêche d'être démonstratif et je retiens l'élan frémissant qui me portait vers ma femme, l'enveloppant seulement d'un regard que j'espère éloquent. Je ne sais pas s'il s'agit d'une simple remarque ou d'un reproche, mais je m'explique avec un air embarrassé. "Je savais que je rentrerais tard, j'ai pris mes affaires pour me changer là-bas." Je laisse Nina dire au revoir au bébé, me penche par convenance vers celui-ci pour faire de même et j'attends qu'elle donne l'enfant à sa nourrice avec les dernières recommandations qu'une mère peut faire à son bébé. J'ai été fort surpris que Nina veuille bien laisser le bébé à Lorena toute une soirée, sans que l'un de nous deux ne soit présent. Jusqu'à maintenant, je crois que la nourrice n'est pas restée plus deux ou trois heures seule dans la maison avec l'enfant.

Dans l'après-midi, j'ai pris le temps de laver la voiture et d'en aspirer l'intérieur, et la m-Mercedes nous attend donc rutilante sur le parking. J'essaye de me montrer gentleman en ouvrant la porte à Nina pour qu'elle puisse monter, avant de faire le tour pour prendre le volant. Comme nous sommes seuls, je peux prendre la main de Nina pour la porter à mes lèvres pour l'embrasser avant de déclarer gravement "ti si divna." Je démarre le moteur dans un grondement de basses vibrantes. "Où est-ce qu'on va ?" Je dois avouer que je ne me suis pas du tout soucié de la soirée, hormis pour savoir ce que j'allais mettre, Nina a tout organisé. Je n'aurais pas osé prendre l'initiative de l'emmener dîner dehors seule sans Tomas, de peur que cela ne la stresse trop. Je me contente de soirées à la maison, ou de petit-déjeuner pour tenter de montrer que je suis présent et attentif. Nous avons fait d'autres soirées "cinéma" dans le canapé, et lors desquelles systématiquement, je ne vois pas le film !

Je ne voudrais simplement pas gâté son maquillage si soigneusement élaboré et je me contente d'appuyer ma bouche sur sa main en la complimentant avec sincérité. J'ai appris la patience et même la retenue au cours de ces longs mois. Je secoue la tête quand elle me dit où nous nous rendons. "non, seulement de nom, mais je n'y suis jamais allé." J'ai déjà entendu ce nom dans la bouche de politique ou d'homme d'affaires, et j'espère juste que nous ne croiserons personne qui pourrait me gâcher la soirée. Mes nouvelles responsabilités et surtout ce qui s'est passé il y a moins de trois semaines a fait braquer les regards sur les Tigrovi et sur moi, chose que je ne désirais pas du tout. J'aime bien être dans l'ombre mais ce n'est pas le rôle qui m'est dévolu malheureusement. Il me semble toujours entendre le rire satisfait de mon père quand j'y pense.

Le GPS sur mon téléphone, accroché par un aimant au tableau de la voiture, nous guide vers le lieu en dehors de la ville. Il s'agit d'un domaine viticole qui offre d'autres prestations. Lors du trajet, je ne cherche pas spécialement à faire la conversation parce que je ne trouve pas le silence pesant. Mes pensées errent, vagabondes, et je réprime une envie de cigarette. Je fume parfois au QG mais pour l'instant j'ai toujours réussi à ne pas fumer à la maison. La voiture est un espace particulier, entre deux, et je ne sais pas quelle attitude adopter. La présence de Nina m'empêche de me décider à allumer une cigarette malgré ma nervosité. Via le rétro central, je lui jette un regard, admirant le port de la robe bordeaux que j'ai toujours aimé, particulièrement pour le décolleté du dos qui m'est pour l'instant caché et pour sa couleur.

Nous pénétrons dans le restaurant, et je jette un regard autour de moi avant de suivre Nina et le serveur. La hantise c'est de croiser un client ou un partenaire, mais j'ai de la chance ce soir, personne que je connaisse et je me détends sensiblement. A l'étage, l'autre table et déserte et après nous avoir désigné notre table, le serveur s'éclipse une seconde. J'en profite pour regarder la vue près de la baie vitrée avant de me tourner vers Nina pour lui sourire en répondant. "C'est magnifique." J'ai toujours aimé les hauteurs de Sarajevo, qui donnent une vue splendide sur la vue. J'aide Nina à s'asseoir en tirant la chaise pour elle et une fois qu'elle est installé, je me penche pour embrasser son cou et humer son parfum. Puis, je vais m'asseoir à mon tour, juste avant le retour du serveur qui amène les cartes et demande si on désire un apéritif. J'opte pour une vodka belvédère glacée, pour ne pas changer de mes habitudes et ce malgré une carte des vins impressionnante.

C'est la première fois que nous sortons en tête à tête dans un restaurant depuis une éternité et je ne sais même plus quand été la dernière fois. Avec tous les événements récents, je peine à reprendre pied dans une normalité tranquille. L'enterrement de mon père est loin d'avoir clôturé l'affaire. La succession est embrouillée par les enfants illégitimes comme légitimes, les relations avec Aleksandra sont tendues, et je patauge au milieu des Tigrovi que je peine à considérer encore comme des camarades. Mes seuls soutiens sont Stefan, et Sonja que j'évite autant que je peux pour ne pas 1/ créer une ambiguïté qui me desservirait, 2/ que Nina m'arrache les yeux. Je ne suis pas loin d'envisager de me débarrasser de la prostitué afin de me simplifier la vie. Ça parait si simple de tirer un trait définitif sur certains problèmes que ça pourrait être effrayant si je n'étais aussi détaché émotionnellement de ces méthodes expéditives.

Je passe la main dans mon col pour le replacer ou l'ouvrir, dans un geste trahissant le fait que je suis un peu mal à l'aise dans ce décor trop beau après des mois enfermé à un régime militaire. Je sors de mes pensées pour me concentrer sur Nina et lui sourire. "Comment tu as trouvé cette adresse ? On te l'a conseillé ?"

Ah, Dimitri... il était déjà si loin de mes pensées que j'avais oublié son existence. Un instant je me demande si Nina correspond encore avec lui, non par jalousie mais parce qu'il lui a fait tant de mal lors de la séparation de Come with Me que je crains qu'il ne la blesse encore. Je sais, ça parait ridicule venant de moi qui ne cesse de lui faire ce mal que je ne tolère pas de la part d'autres, peut-être parce que c'est mon apanage ou simplement parce que je n'arrive pas à rectifier le reste.

Assis à coté de Nina, ma main est posée sur la table, orpheline de la sienne qu'elle garde sur ses genoux. Je cherche son regard avant de répondre. "Je suis allé au QG donner les missions comme tous les matins... pour donner les missions. Après j'ai fait l'inventaire du stock d'armes. J'ai fait du sport, j'ai mangé une pizza chez Flavio, il te passe le bonjour. Après-midi, je suis allé dans l'appart de mon père pour trier les papiers, d'ailleurs, j'aurais besoin de ton aide pour quelque chose. Et puis je suis retourné au QG pour les débriefs du soir avant de me changer... J'ai eu une journée bien remplie. Et toi ? Comment ça se passe avec l'agence ?"