To new beginnigns - Slavina

Quand je reviens au bar Nina n'est plus là et je demande à Camenko "où est-elle?" "Dehors, elle a eu un coup de fil" "Elle est toute seule ?" "t'inquiète pas j'ai demander à Cvetko de garder un oeil sur elle." Il me fixe d'un œil d'aigle qui devine tout "ça va ?" Je fais comme s'il parlait de Sonja qui est repartie dans la salle en me voyant aller parler avec Camenko "ouai, ouai, c'est rien, encore Polokov...faudra vraiment s'occuper de ça. Excuse moi..." Je coupe court à la conversation et je le laisse pour aller dehors, chercher Nina, je n'aime pas l'idée qu'elle soit seule même si automatiquement, les gars vont la protéger.

Personne ne me stoppe - j'ai de la chance ce soir, il semble que mon père ne soit pas là, une chose à la fois ! -  et une fois dehors j'aperçois Nina. Je respire. Je la rejoins en tirant sur ma clope à moitié consumée et me poste près d'elle, en attendant sagement qu'elle ait fini son coup de téléphone. Une fois que c'est fait, je demande non sans inquiétude. "tout va bien zlato ?"

Parler avec Dimitri m'aide à relâcher un peu la pression, même si je ne peux évidemment pas tout lui dire... En fait je pourrais, seulement je ne suis pas sûre de vouloir entendre en retour son avis sur la situation. Je sais très bien ce qu'il pense, ce que tout le monde pense, et à raison en plus. Sa présence me manque parce que j'aurais foutrement besoin d'un allié ici. Je réalise que je suis seule, qu'en-dehors de Slavenko je n'ai absolument personne dans ce pays sur qui je puisse compter. Bien-sûr je le savais déjà quand je suis arrivée, mais c'était différent parce que c'était provisoire, là je réalise que ça va être mon quotidien. Je n'ai pas envie de ça. Et ce que j'ai vu à l'intérieur m'a retourné le bide.

Je suis surprise de voir Slavenko me rejoindre, je pensais que la pute le tiendrait occupé plus longtemps, et je coupe court à ma discussion. J'hésite vraiment à mentir, prétexter une urgence pour me barrer mais je ne sais pas pourquoi je ne le fais pas. Je sors une clope moi aussi pour m'occuper les mains, l'allume en restant à distance raisonnable. Je réponds un laconique : Ouais. Et mon ton laisse parfaitement entendre l'inverse, bien évidemment. Je désigne la boîte derrière lui. Retournes-y, j'te rejoins. Je ne voudrais pas que ma présence l'empêche de se faire peloter, vous comprenez.

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Je bloque à son ton bref annonciateur de tempête, et son regard. Je ne sais pas quoi faire mais provoquer un esclandre ici et maintenant est une très mauvaise idée. Je hoche brièvement la tête. "ok mais ne traîne pas trop dehors..." Le regard assombrit, je fais demi-tour pour retourner dans le nightclub non sans un regard éloquent pour Cvetko. Qu'il ne lâche pas Nina des yeux !

Aussitôt ma clope finit, j'en rallume une au bar. C'est la Bosnie ici, on peut fumer à l'intérieur, personne ne viendra chouiner. Je reprends un verre de vodka, en faisant mine de me mêler aux conversations d'un air concerné alors que mon esprit est ailleurs, dehors. Le seul à ne pas vraiment être dupe c'st Camenko mais il finit par me laisser pour aller dans la partie privée réservée aux Tigrovi. A priori, un tournoi de baby foot l'attend. Je lui souhaite bonne chance en lui donnant une tape sur l'épaule. Je me place adossé au bar de façon à voir de loin la porte d'entrée. Autour de moi les Tigrovi discutent, échangent, boivent, rit.

J'essaie de me calmer parce que je sens bien que je brûle de colère contenue, et comme lui je suis parfaitement consciente que je ne peux pas me permettre de faire un scandale ici. Mais au-delà de ça, je sais que je ne pourrais pas non plus me le permettre une fois qu'on sera rentrés. Je sais déjà parfaitement comment ça va se passer, comment la discussion va tourner, parce qu'il va me répondre qu'il n'a rien fait de mal et dans le fond j'imagine qu'il a raison.

Je termine ma clope mais je n'ai aucune envie d'y retourner, en plus l'un de ses gars m'observe depuis tout à l'heure ce qui a le don de m'agacer prodigieusement. J'aimerais me barrer juste comme ça mais je crois que ce serait mal vu. Soit le Tigrovi va me suivre, ce qui m'étonnerait, soit il va aller voir Slavenko pour lui dire que sa femme s'est barrée. Sa femme. Tu parles. J'écrase mon mégot d'un coup d'escarpin agacé et je retourne à l'intérieur, évidemment suivie de près par mon chien de garde. J'aperçois Slavenko et, Ô surprise, aucune pute n'est accrochée à son cou. Je m'approche, me penche pour parler par dessus la musique. Je vais rentrer. Termine ta soirée. Voilà comme ça il pourra aller baiser dans les chiottes pour ce que ça change de toute façon.

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En fait les putes sont en train de faire leur taf, et ce n’est pas auprès des Tigrovi qu'elles auront de la thunes, dont elles sont soit déjà occupées à l'étage soit en train de chasser dehors, sur la piste de danse, dans les chiottes ou au bar. Les clients ne manquent pas ! Les extra qu'elles font pour les Tigrovi sont plutôt en début de soirée, dans la journée, ou en toute fin de nuit pour celles qui ont un régulier au sein des membres du groupe. Quelques unes en ont un. Mais je n'en ai jamais fait parti, il n'y a pas d'ambiguïté là-dessus avec aucune des putes.

Je secoue la tête quand elle revient et annonce brièvement. "non je t'accompagne." Je salue mes compagnons, une accolade par ci une poignée de mains par là et je me dépêche de suivre Nina qui a l'air décidé à se barrer d'ici. En plus j'ai la voiture et j'imagine bien qu'elle va se taper la route à pied jusqu'à l'appartement ! Et puis c'était le deal, elle me rejoignait, on restait un peu et on rentrait. Moi, je pensais qu'on allait danser un peu, boire quelques verres, la présenter, mais finalement rien ne se passe comme prévu et je n'oser rien lui dire. Dans la bagnole, j'allume une clope et avant de démarrer je regarde le visage fermé de Nina. Je pensais que le déménagement et surtout les quelques heures plus douces passées ensemble tout à l'heure avait changé la donne, mais je me suis de toute évidence trompé. Je nous ramène à la maison.

Ok, j'admets que je suis emmerdée qu'il m'accompagne, pour le coup, je crois que j'aurais eu besoin de me retrouver seule pour faire retomber la colère, la rancœur, tous ces sentiments délétères qui sont en train de me bouffer. Je crois qu'on s'est vraiment précipités dans la location de l'appartement, j'aurais dû être plus prudente, proposer qu'on vive séparément les premiers temps pour voir ce que ça donnait... Mais je n'ai jamais su maîtriser mon besoin de lui, et encore moins cette peur viscérale que j'ai de le perdre à nouveau maintenant qu'on s'est retrouvés. J'ai toujours eu tendance à fuir dans ces cas-là, pour me protéger, et je ne culpabilise plus du tout à ce sujet parce que de nous deux c'est encore lui qui a fui le plus loin, de la façon la plus blessante aussi.

Une fois immobile dans la voiture je réalise que je crève de froid et que j'ai oublié ma veste dans la boîte. Je croise les bras sur ma poitrine dans une tentative ridicule de me réchauffer en évitant soigneusement son regard. Moi aussi, je pensais qu'on danserait, qu'on resterait plus longtemps, que les choses se passeraient autrement... C'est sans doute moi le problème, mon incapacité à oublier, mais je crois qu'il serait malvenu qu'il me le reproche... Je garde le silence jusqu'à ce qu'on arrive à l'appartement où, complètement gelée, je vais chercher un plaid pour m'enrouler dedans.

C'est une des choses que je ne savais pas gérer. La distance qu'elle met brusquement entre nous quand je suis censé avoir fait un truc qui lui plait pas. Très souvent, je ne sais pas toujours quoi ou plutôt pourquoi. Je sais par exemple que c'est à cause de notre passage chez les Tigrovi, ça je suis pas con, mais les raisons exactes m'échappent. Est-ce de voir les lieux, l'ambiance ? Ou est-ce que j'ai dit ou fait quelque chose en particulier ? Aujourd'hui, je me tais, je fume ma clope e surtout je ne ferme ma gueule. Tout le temps du trajet, et même après. Si je note qu'elle a froid, et qu'on a oublié sa veste, je ne dis rien. Si elle s'enroule dans le plaid en évitant soigneusement mon regard et en me niant, je ne dis rien. Je n'ai pas d'autres attitudes puisque de toute façon je ne sais pas quoi faire de constructif.

Je la laisse pour aller rapidement prendre une douche et enfiler un jogging propre, pantalon et tee-shirt. Mon pas est silencieux sur le parquet neuf. je vais encore fumer, boire un verre d'eau avant d'annoncer "je vais me coucher." d'une phrase qui résonne dans la pièce. Je mets aussitôt à exécution en gagnant la chambre. Je cherche le sommeil, les yeux clos. Mieux vaut dormir que provoquer une explication qui tournerait à l'affrontement, ce qui serait surement désastreux dans la situation actuelle ! Je garde ma peur et mes doutes pour moi, solidement enfermés et je laisse la fatigue prendre le dessus, lentement.

Je ne m'attendais pas à ça. Le silence de sa part, l'absence totale de questions, le fait que ce soit lui qui mette un terme à la soirée. Quand il m'abandonne pour aller se coucher je me sens brusquement démunie, terriblement seule aussi. Je ne peux même pas passer la nuit sur le canapé, on n'a pas de canapé ! J'attends qu'il ait éteint la lumière de la chambre pour me déshabiller, aller me doucher à mon tour avant de mettre le pyjama que j'ai laissé dans la salle de bain. Évidemment ce n'est pas suffisant, on se caille sévère dans cette putain de ville. Je n'ai pas envie de dormir avec lui mais j'ai déjà beaucoup trop de sommeil en retard... Heureusement j'ai développé une méthode imparable, retrouvée suite à son absence, et je prends deux doses de kétamine pour être bien certaine de dormir d'un sommeil de plomb. Je fais passer les pilules avec une gorgée de la vodka qu'on aurait dû boire dans la baignoire, et je le rejoins dans le lit. Il est suffisamment grand pour que je puisse m'y allonger sans le toucher, alors je me recroqueville dans un coin, emmitouflée dans les couvertures, attendant fébrilement que la drogue fasse passer la boule de sanglots qui me noue la gorge.

Je me lève dans la nuit pour aller sur le toit fumer une clope. Nina dort et je prends garde de me faire silencieux. Je ne sais plus dormir une nuit d'affilée et je me réveille souvent pour me lever dix minutes, quinze, une heure... ça dépend. Souvent je clope, je bois un verre de vodka, comme maintenant dans la cuisine déserte et inconnue. L'appartement me parait trop grand, trop froid - je ne parle pas de température. Dans le salon, j'essaye d'installer la télé devenue ma compagne nocturne, mais capter les chaines directement par voie hertzienne sans le câble se révèle mission impossible.  J'abandonne après avoir fait des branchements qui ne fonctionnent pas, la neige grise tombant sans relâche sur l'écran. Les installateurs doivent venir cet après-midi je crois, tant mieux.

Je traîne et je retourne dehors prendre l'air - froid - de Sarajevo tout en fumant, assis en tailleur à même le sol dans mon jogging-pyjama. J'ai l'habitude des insomnies, je n'ai pas comme Nina recourt aux cachets (je ne suis pas dupe, j'ai bien vu qu'elle prenait de la kétamine le soir mais quoi dire ?) Je lis des articles de journaux sur mon téléphone, en rapport avec les élections ou même le sports et les paris. Je souris à quelques sms reçus. Camenko qui me donne les résultats de leur tournoi, il a gagné et il a du picoler pas mal, son cyrillique est douteux, Sonja qui me demande qui était la fille avec moi au bar, elle a entendu dire que c'était ma femme ! Mais elle n'y croit pas (y a pas plus curieux que les putes), et mon père qui me demande de passer au QG demain, enfin tout à l'heure. Je réponds à tout le monde, pianotant sur mon clavier d'une main en fumant de l'autre, attendant que l'aube se lève.

Il reste sagement de son côté du lit, sans tenter le moindre rapprochement, sans m'adresser la parole et le sommeil qui me gagne enfin est amer. Je dors pourtant d'une seule traite grâce à l'aide des cachets, et quand j'émerge au matin la place à côté de la mienne sous les draps est vide et froide. Je me réveille avec à la fois une envie de vomir et de pleurer, quel cocktail délicieux ! Je réalise que c'était notre toute première nuit dans ce nouvel appartement, et c'est un véritable fiasco. Je trouve la symbolique assez forte, et les conclusions à en tirer assez évidentes ! J'ai été tellement ridicule de croire que l'appartement changerait la donne !

J'ai un mal fou à m'extirper du lit, et au silence qui règne dans l'appartement je devine qu'il est vide. La fenêtre du salon est ouverte, mais c'est tout. Avant, j'aurais sans doute fait un pas vers lui, je finissais toujours par le faire, j'aurais fait en sorte que les choses se tassent, peut-être même que je me serais excusée de ma jalousie. Mais ça ne marche pas. On vient tout juste de se réinstaller ensemble et je suis déjà rongée par la douleur et la rancœur. Il ne m'a jamais dit qu'il était désolé, il ne m'a pas demandé ce que j'avais fait après son départ, il n'a pas dit qu'il regrettait. Ses motivations étaient égoïstes à l'époque, elles le sont encore aujourd'hui. Il suffit qu'il me demande de revenir pour que j'accourre mais pourquoi ? Pour quel avenir ? Il n'y a pas moyen de s'occuper dans cet appartement vide alors je m'habille pour sortir, mais au moment où je me dirige vers l'entrée Slavenko apparaît dans le salon, je n'avais pas pensé qu'il pouvait être sur le toit ! Nos regards se croisent et j'ouvre la bouche, prête à débiter une longue tirade avant de la fermer en réalisant qu'il n'a pas demandé la moindre explication. Je finis donc par seulement souffler : J'y vais. Au cas où les chaussures à mes pieds ne seraient pas assez explicites.

Du toit - définitivement mon endroit préféré de cet appartement - j'entends du bruit dans l'appartement et concluant que Nina est levée, je me relève pour aller dans le salon. Je pousse vers la chambre et je croise Nina dans l'entrée, quasiment la main sur la poignée. Je me fige et l'esquisse de sourire qui avait fleuri à sa vue s'évanouit aussitôt.

A ses deux mots je palis comme si elle m'avait giflé. Elle ne dit pas je sors, elle dit j'y vais, et la nuance poigne mon cœur. Je ne comprends pas pendant un long moment. Je ne veux pas comprendre et surtout l'incompréhension vient du fait que je ne comprends pas pourquoi.
"tu y vas ? Tu vas où ?" Je fais un pas vers elle avant de stopper et de poser ma main contre le mur. Qu'est-ce que je dois faire, qu'est-ce qui se passe ? Ce sont les questions dans mon regard désemparé et mon cœur qui bat sourdement d'angoisse.

Il blêmit dangereusement sans que je comprenne pourquoi, ce n'est pas comme si j'emportais mes valises avec moi... Encore que j'y ai pensé, ouais, ok. Je relâche la poignée de la porte, me tourne complètement vers lui. Je sais pas. Dehors. Faire un tour. J'ai besoin de prendre l'air et de toute façon qu'est-ce que ça change, ça fait des heures qu'on ne s'est pas adressé la parole, qu'on ne s'est pas touchés, qu'on s'est à peine regardés. À dire vrai moi non plus je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je sais très bien qu'une pute se frottant à lui n'est pas une raison suffisante pour me barrer, quand bien même il l'a laissée faire sous mes yeux. Ce que je ne sais pas en revanche c'est si je peux supporter ça, si je peux vivre comme ça. Je n'arrive pas à oublier, à pardonner, c'est plus fort que moi ça me bouffe complètement.

Elle me fait face et je ne suis pas sur de respirer mieux à sa réponse. Je demande spontanément "est-ce que je peux t'accompagner ?" Je suis en jogging et tee-shirt, je n'ai qu'à mettre mes godasses qui sont juste là dans cet fichu vestibule. Je ne sais pas pourquoi je lui demande de venir, je sais juste que je n'ai pas envie de la voir passer cette porte toute seule.

Je mords ma lèvre inférieure, embarrassée comme hier quand il a décidé qu'il rentrait avec moi alors que je voulais rentrer seule. Je ne comprends pas ce qu'il fait, pourquoi il veut venir quand il me semble pourtant évident que j'ai juste besoin de m'éloigner de lui. Je garde le silence un moment avant de lâcher : Si tu veux. Sans même savoir pourquoi je le fais. Sans doute pour la même raison qui fait que je me retrouve ici, à Sarajevo aujourd'hui quand je devrais être chez moi. Parce que je ne sais rien lui refuser.

J'attends qu'il enfile ses chaussures, pendant ce temps je mets une veste -moins chaude que celle laissée au club mais ça fera l'affaire- et on sort ensemble une fois qu'il est prêt. Je garde le silence parce que je ne sais pas quoi lui dire, les mains enfoncées dans mes poches.

Je n'ai jamais été aussi vite de ma vie pour enfiler les rangers, les laçant à moitié pour ne pas donner de prétexte à Nina de me laisser en arrière. J'ai le besoin vital de l'accompagner, de ne pas la laisser partir seule, parce que si elle s'en va toute seule, elle ne rentrera pas, j'en ai l'intime et terrifiante conviction.

Je ne veux pas l'ennuyer ou la mettre mal à l'aise, je ne sais juste pas quoi faire parce que je suis perdu. J'ai essaye de la laisser respirer puisqu'elle m'en voulait de quelque chose, je ne sais pas quoi mais peu importe, je suis rester là en marge et c'est ce que je continue à faire, entêté. Peut-être qu'elle me dira, peut-être que je vais comprendre au détour de... de quoi ? Une phrase ? Mais elle ne te parle pas, ne te regarde pas Slavenko ! Comment est-ce que tu vas faire ?

Le désarroi grimpe d'un cran tandis que je lui emboîte le pas, la suivant comme un chien et la comparaison est pathétique et me fait tiquer intérieurement. Est-ce que c'est ça la vie que je me prépare ? Je cille et tire une clope de ma poche. Je tends le paquet à Nina. "tu en veux une ?"

Je prends silencieusement une cigarette dans le paquet qu'il me tend et j'attends quand même qu'on soit sortis de l'immeuble pour l'allumer. Je n'ai pas encore bien compris où est-ce qu'on pouvait fumer ou non dans cette ville, et je n'ai pas pensé à demander. En plus ce n'est pas vraiment avec ce genre de question que je veux briser la glace, je ne suis même pas sûre de vouloir le faire à vrai dire. Parler me semble inutile parce que je sais très bien qu'il va trouver ma jalousie ridicule.

Pourtant je sais que ça ne va pas passer tout seul et qu'il faudra bien, à un moment donné, que je me décide à crever l'abcès. On commence à marcher, un peu sans but je crois, et je finis par lâcher : Tu vas trouver ça ridicule et t'as sans doute raison, mais j'vais le dire quand même. J'ai pas supporté de voir cette fille si proche de toi hier soir, et que tu la laisses faire, que tu t'barres à son bras alors que tu venais de me présenter comme ta femme, j'serais pas surprise que tu t'la sois tapée et je suis sûre que tout le monde le sait. C'était déplacé. Mais non j'exagère pas bordel ! Sérieux il me présente comme sa femme pour s'éclipser dix minutes après avec une pute dont il profitait encore quelques jours plus tôt ? Merde quoi. Dans tous les cas il peut dire ce qu'il veut sur ma jalousie déplacée, ma possessivité, le fait que je sois pète-couilles si ça l'amuse, au moins j'aurais dit ce que j'avais à dire, on ne pourra pas me reprocher mon manque d'honnêteté.

On marche un peu et d'un seul coup Nina se décide à parler. Je hausse les sourcils en assimilant la tirade qu'elle me sort. Je me doutais que le Pussynight y était pour quelque chose et que l'avoir laissée quelques minutes seule faisait globalement partie du truc. Qu'est-ce que je dois répondre à ça ? La vérité j'imagine."humm...ouai Sonja c'est une pute du Pussynight, elle bosse pour les Tigrovi. C'est vrai que j'ai déjà..." je hausse les épaules, je n'ai pas besoin de faire un dessin. "Et d'autres aussi. Mais Nina, je t'ai dit que y aurait personne que toi. Alors quoi ? Qu'est-ce que je dois faire ? Je m'occupe de ce business aussi. Si une fille a un souci, elle vient me chercher. C'est tout, c'est juste ça. J'vais pas lui coller une torgnole parce qu'elle a posé sa main sur mon bras. Si?"

Quelques heures à peine avant, j'ai dit à Nina que c'était ok pour l'exclusivité, que je n'avais jamais vu ça autrement quand on était ensemble, quand on est ensemble. "T'as cru quoi ? Que je montais me taper une pute ? Sérieusement ? Mais personne a cru ça des Tigrovi ! Y a que toi qui a pensé ça... Les autres ils savent bien que je bosse et je t'ai présenté comme ma femme ! On est con mais quand même !"


Je soupire, quand même soulagé qu'elle me parle. "Si tu viens au Club, c'est sur qu'il y a surement masse de trucs qui te plairont p'tre pas. C'est à toi de voir Nina, je ne te force pas à y aller ni quoique ce soit. Je comprends que t'ais pas confiance en moi. Mais bon... tu pourrais quand même te dire que je suis pas crétin au point de me taper une pute si ma femme est dans le même bâtiment. " J'ai un demi-sourire d'humour noir, grinçant, moi je crois qu'elle me prend pour un crétin, comme beaucoup de gens. C'est pas très grave, c'est juste...nouveau je crois. A New-york, je n'avais pas ce sentiment, mais peut-être que je me trompais déjà ou c'est simplement mes conneries qui l'ont amenée à cette conclusion, ça serait pas idiot ! Je ne sais pas ce que je peux dire ou faire de plus...Je ne pense pas que ce que je dise change quoique ce soit de sa vision des choses en fait.

Je ne suis même pas surprise qu'il m'avoue s'être tapé Sonja, puisque c'est son nom. Si vous voulez mon avis il s'est tapé toutes les putes de la ville pendant que j'étais à New-York. Sauf que là c'est lui qui me prend pour une conne et ça ne me plaît pas, vraiment pas. Putain mais personne t'a demandé de lui en coller une, arrête un peu. Je crois pas que t'aurais été ravi de me voir partir pendue au bras d'un autre type. Après une pause, je corrige : Enfin j'en sais rien, p't'être que ça t'est égal en fait. Après tout il s'est barré, c'est bien qu'il s'en branle, je ne vois pas pourquoi ça me surprend.

Bien-sûr que non j'ai pas pensé que tu montais pour te la taper ! C'est lui qui me prend pour une débile en fait. C'est quoi le truc ? Vu qu'il l'a pas baisée dans la boîte j'ai rien le droit de dire ? Je secoue la tête, franchement désespérée. Tu comprends pas en fait. T'as pas la moindre idée de c'que ça fait. En même temps, a-t-il seulement cherché à le comprendre ? Est-ce qu'il s'est demandé une seule seconde ce que je pouvais ressentir ? Quatorze mois plus tôt mais aussi maintenant. Je cesse de marcher pour me tourner vers lui. Tu t'es barré, Slavenko. Tu t'es barré et t'as passé l'année à te taper des putes à la vue de tout le monde. Peu importe qu'on ait été séparés, on était encore mariés. Moi non plus je n'ai pas été chaste mais c'est différent, il n'a pas à fréquenter les hommes que je me suis tapée. Tu sais c'que ça fait de moi aux yeux de tes gars, aux yeux de tout le monde ? Je passe pour la petite américaine cocue suffisamment conne pour rejoindre son mari sur son territoire. T'imagines même pas à quel point ça peut être humiliant pour moi ! J'ai l'impression de ramper à tes pieds comme un gentil chien dès que tu me demandes de revenir, c'est suffisamment difficile de devoir fréquenter les nanas que tu t'es tapé quand tu t'es barré mais en plus j'devrais les voir se coller à toi comme si t'étais une putain d'propriété publique ? C'est leur territoire ici, le vôtre ! Ce pays, cette ville, ta boîte de nuit, je parle même pas serbe bordel ! Aucun d'tes gars, aucune de ces putes aura jamais le moindre respect pour moi. Même toi t'as pas été foutu d'en avoir.

Elle s'énerve et moi je ne suis pas sur de comprendre pourquoi alors que je n'ai pas haussé le ton. Elle s'arrête pour m’asséner des trucs qui  n'ont rien à voir avec hier soir, mais bien avec la situation globale. Moi je m'assombris, parce que ouai, je culpabilise. Bien sur que je culpabilise. Non partir comme ça n'avait pas été classe, pas la chose à faire, mais c'était fait !

Comment lui dire que mes gars s'en foutent parce qu'elle n'est qu'une femme ? Qu'ils trompent tous les leurs ? Que certains sont même régulier d'une pute ? Je réalise le gouffre entre Nina et moi, nos deux mondes si différents. Je ne sais pas s'ils sont compatibles mais je sais déjà qu'ils ne le seront pas si elle réagit comme à NY, si elle ne trouve pas une façon d'être différentes des femmes d'ici, si on n'a pas confiance l'un en l'autre aussi.

Je ne sais pas quoi dire parce que je suis au pied du mur et que je n'aurais de toute façon jamais aucune excuse valable. "Je sais très bien ce que j'ai fait Nina, et non je te vois pas comme quelqu'un qui a rappliqué parce que je lui ai demandé. J'ai peur. Du moment où tu décideras que ça marchera pas et que tu partiras. Je sais que c'est possible, est-ce que ça te rassure ? Quand tu me parles pas et que je dois essayer de deviner pourquoi, j'ai peur, quand tu veux venir au club et que je sais que ce sera difficile, j'ai peur,  quand je dois partir bosser, quand je sais que toi tu bosses, quand t'as ton associé au bout du fil, quand tu me dis de me taire parce que je te dis que je t'aime. Oui j'ai peur. Je prends rien pour acquis !

Je ne sais pas ce que je dois faire. C'est...c'est mon monde c'est vrai mais je voudrais que tu y ais ta place. Si quand tu regardes ces filles tu vois une rivale, elles vont le sentir. Si tu montres tes doutes, bien sur que ce sera dur. C'est comme ça ici. Je ne sais pas comment faire pour que ça aille. Dis moi, je le ferais Nina. Je le ferais parce que j'ai pas envie que tu rentres à NY."

C'est bien ça le problème, ce qu'il ne comprend pas et ne comprenais de toute façon pas quand on était encore à NY. Je ne veux pas que ses gars, sa famille, que qui que ce soit me voit comme les autres filles, les putes ou les régulières des Tigrovi. Je suis incapable de faire semblant, de les laisser parler en me disant que moi je sais bien ce qui est vrai ou pas. Ça ne fonctionne pas pour moi. Je ne veux pas qu'on puisse s'imaginer que je me laisse faire, que Slavenko me trompe, que je me contente d'être gentiment soumise. Le regard qu'ils portent sur moi a de l'importance, il en a toujours eu.

Mais c'est pas ça le problème ! Le problème c'est pas que je les voies ou non comme des rivales, c'est ton comportement, ta façon d'agir. Ce que tu leur permets ou pas. J'en ai rien à foutre que ça fonctionne comme ça ici, que ce soit normal, qu'elles soient toutes comme ça, que les mecs s'en branlent. Je suis pas comme ça, je l'ai jamais été et si c'est ce que t'attends de moi alors oui, c'est clair que je vais rentrer à New-York. Fallait te macquer avec une de ces filles-là. Bien-sûr que je suis en colère, j'en tremble tellement je suis en colère, et terrifiée aussi, blessée. C'est ça qu'il ne comprend pas, je suis blessée jusqu'au plus profond de mon être, les plaies encore à vif comme s'il était seulement parti hier.

Moi aussi, j'aurais voulu avoir ma place dans ton monde. Mais je suis pas sûre de vouloir de la place que tu me réserves. Non, servir de faire-valoir à son bras ne me satisfait pas, être comme ces autres filles ne me convient pas. J'en sais rien, Slavenko. C'est toi qui t'es barré. C'est pas ces filles que je vois comme des rivales, c'est toi, toute la vie que tu mènes ici puisque tu m'as violemment fait comprendre que j'y avais pas ma place. Comment je suis censée faire semblant d'ignorer ça ? Si toi t'y croyais pas comment je suis censée y croire ? Comment voudrais-tu que j'aie pas de doutes alors que tu m'as donné aucune foutue raison d'avoir confiance en toi ? C'est comme ça ici. C'est trop facile, c'est à moi de m'adapter, toujours, à moi de faire les efforts, à moi de changer. Et si je ne veux pas ? Et si je n'y arrive pas ? Je peux pas faire ça. Je peux pas être forte, faire semblant que ça m'atteint pas, que je suis sûre de moi, parce que je suis pas sûre de moi. Je suis pas sûre de toi. Tout ça, c'est tout ce que t'as choisi, toutes ces choses que t'as préférées à moi, qui étaient plus importantes pour toi, qui passent avant moi. Je sais pas si je pourrais faire partie de ton monde quand je sais que ça passe avant moi, toujours.

Les larmes commencent à me monter aux yeux, c'est dangereux. Tu sais ce que je me dis à chaque fois que je rencontre quelqu'un ici ? Chaque fois que tu me parles de ta vie ? Quand j'ai vu cette pute se frotter à toi hier soir ? Je me dis que c'est pour cette vie-là que tu t'es barré. Je me dis que t'as préféré cette vie-là à ce qu'on avait, à ce qu'on aurait pu avoir. Il ne s'est pas rattrapé de ce qu'il m'a fait, il n'a pas tenté de panser mes blessures, et pour l'instant il n'a certainement pas regagné ma confiance. En fait il attend que les choses se fassent, d'elles-mêmes, mais elles ne se feront pas. Je secoue la tête, le corps tendu à l'extrême pour ne pas craquer. Je sais pas comment faire pour que ça aille. En fait je suis pas sûre que ça puisse aller. Voilà, c'est dit.

"Si j'avais voulu me macquer avec une de ces filles là je l'aurais fait depuis le temps, tu crois pas ?" Sauf que...sauf que je n'arrive pas à oublier Nina, je ne peux pas l'oublier. J'ai essayé, et même comme ça, je n'ai voulu donner à personne la même place que je lui avais laissé prendre. "y a jamais eu personne comme toi dans ma vie, et je ne veux personne d'autre que toi comme ça." Je ne peux pas être plus clair que ça et en toute franchise, je crois que les putes au travail ont compris puisque je n'ai jamais pris de régulière, ni n'ai de petite amie serbe, ce que normalement je serais censé exhiber.

"je n'attends rien de spécial de toi Nina, enfin si essayer. Essayer - même pas de me pardonner - mais essayer qu'on reconstruise quelque chose. Si c'est encore possible. J'ai envie que ce soit possible. Tu crois que j'imagine pas ce que tu ressens, que je ne sais pas ? Je ne te demande pas de devenir qui tu n'es pas... " très franchement, je ne me sens plus aucun droit sur elle, sur nous, il suffit qu'elle me regarde avec tristesse ou colère et je ne me sens plus aucune légitimité.

Je ne suis pas sure que ça puisse aller... Ses paroles me font blêmir une nouvelle fois parce que c'est ce que je pressentais depuis hier soir et dans ses silences. "Je sais, je me suis barré, et du coup je ferme ma gueule. J'ai eu tort, j'ai des regrets, la preuve, je veux qu'on essaye encore mais j'peux rien faire sans toi. Je peux pas quitter les Tigrovi si c'est ce que tu me demandes. C'est ce que tu me demandes ?" Je lui ai demandé de mettre son alliance, de venir avec moi pour que je la présente comme ma femme, je croyais avoir montré toute ma bonne volonté à ce qu'on soit légitime. Je ne sais pas ce qui foire. Cette pute avec sa main sur mon bras ? Est-ce que je suis en train de tout perdre à cause de ça ? Je déglutis péniblement, tends les mains pour prendre les siennes "S'il te plait, s'il te plait, reste encore, on va trouver, faut juste... qu'on trouve nos marques. Et ça ira."

Je secoue la tête. J'ai pas besoin d'imaginer quoi que ce soit. Je sais très bien que tu ne sais pas ce que je ressens. Tu ne peux pas savoir. Il n'arrête pas de prétendre que j'ai voulu le changer, que j'attendais de lui qu'il soit quelqu'un qu'il n'est pas mais c'est faux. La seule chose que je lui demandais c'était de ne pas me faire de mal, c'est pour ça que je voulais qu'il maîtrise sa violence, ses élans rageurs. Je ne lui ai jamais demandé de quitter son boulot, de cesser de faire ce qu'il faisait. Il se place en martyr, pauvre petit enfant perdu élevé à la guerre et que sa femme ne comprend pas mais j'emmerde cette vision des choses parce qu'elle est fausse, elle ne fait que servir d'excuse à son départ. J'ai toujours accepté ce qu'il était et je l'ai toujours dit. L'inverse n'est pas vrai, loin de là.

Putain mais tu m'emmerdes avec les Tigrovi ! Je réponds en haussant le ton, ce qui attire les regards autour de nous mais ça m'est égal. Je t'ai pas demandé de les quitter quand on était à New-York et je te demande pas de les quitter maintenant ! J'ai très bien compris qu'entre eux et moi ton choix était fait, va, t'en fais pas pour ça je pense que ton départ a rendu les choses très claires à ce sujet. C'est toi qui persistes à penser que tu peux pas concilier les deux, la vérité c'est juste que y a des concessions que t'es pas prêt à faire, des choses que t'es pas prêt à dire. Il aurait dû se battre pour moi, il aurait dû se battre pour m'imposer auprès de sa famille. Et non, ça ne voulait pas dire quitter les Tigrovi, ça signifiait seulement faire en sorte qu'on m'accepte quand même. Il a préféré se barrer, c'était son choix. Oui, il a merdé, et oui, ça restera.

Il prend mes mains dans les siennes et je sais bien qu'à cet instant précis la colère se mêle à l'amour que je ressens encore pour lui, que je n'ai jamais cessé de ressentir. C'est bien parce que je l'aime que je le déteste autant. Je suis pas partie. Pas encore en tout cas.

En moi les émotions tourbillonnent, rougissent mes pommettes, assombrissent mes yeux. Parce que je ne sais pas quoi faire, ni sur quel pied danser, et que ça me met en colère - une colère que je n'ai pas le droit de ressentir - que ça m'attriste - idem et que ça me met dans un drôle d'état émotionnel renfermé, comme une cocotte minute sous pression. Quand elle m'envoie bouler avec les Tigrovi, moi je ne comprends plus rien. Je ne sais plus du tout ce que je dois faire ou dire. Elle présume de mon intelligence là et je crois que le plus profond désarroi (et peur ! ) se lisent dans mon esprit. Comment je peux rectifier si je ne vois même pas ce qu'elle attend de moi. Cette incompréhension de ma part me terrifie parce que je sais déjà que je vais forcément merder dans ces conditions. "Quoi ? Mais j'essaye de concilier les deux...C'est ce que je voulais hier soir" Du coup, les paumes moites avec les mains de Nina dedans, je suis comme un con. Même si elle me dit qu'elle reste, c'est une épée de Damoclès au dessus de ma tête.

Je souffle un "ok" vraiment pas assuré et sans lâcher sa main, je fais mine de retourner vers l'appartement. Je ne sais pas ce que je vais trouver comme solution, mais il faut urgemment que je trouve. Disons qu'après l'après-midi de la veille, j'ai l'impression d'avoir fait trois grands pas en arrière après un petit en avant. je mêle mes doigts à ceux de Nina pour m'y accrocher fermement comme si ma vie en dépendait, ce qui est surement pas faux. Après un moment sans parler, je finis par demander, parce que après réflexion, c'est encore la meilleure question à poser. "quelles concessions ? Fais moi la liste, même pour quelques unes pour commencer. Quoi ?"

C'est bien parce qu'il n'essaie même pas de nier quand je rétorque que s'il avait à choisir entre les Tigrovi et moi, le choix sera vite fait. Et ça me tue, je crois que ça va me ronger de l'intérieur comme de l'acide jusqu'à me dévorer toute entière. C'est sans doute égoïste, malsain, ou ce que vous voudrez mais il ne m'a pas habituée à cette tiédeur qui me donne la nausée. Entre nous tout était exclusif, passionnel, le désir qui nous liait me semblait à la fois urgent et vital. Je ne lui aurais jamais demandé de choisir entre les Tigrovi et moi, mais j'aurais eu besoin d'être malgré tout la personne la plus importante de sa vie. J'aurais eu besoin de savoir, avec certitude, que je passais avant. J'aurais bien moins de doutes, beaucoup plus confiance en lui, en nous, si je pouvais entrer au Pussybox, affronter sa famille, les putes qui pensent avoir des droits sur lui, en étant intimement convaincue que s'il y avait un choix à faire il me choisirait moi.

Je n'y arriverais pas. Il y a cette voix qui tourne en boucle dans ma tête et qui me répète que je ne suis que le second choix, qu'un accessoire dans sa vie, que je ne lui suis pas nécessaire comme il peut l'être pour moi. Il ne serait pas revenu si on ne s'était pas croisés par hasard. Je ne suis rien de plus qu'une opportunité qu'il a saisie. Et je sais déjà que ça ne fonctionnera pas, parce que je n'arrive pas à vivre avec ça. J'essaie, vraiment j'essaie, mais ça me heurte à chaque fois avec la violence d'un coup de poing dans le bide et je n'y arrive pas. Il reprend le chemin de l'appartement, sa main dans la mienne et j'ai envie de hurler. Il ne comprend pas ce que je dis. Je secoue la tête. C'était à New-York qu'il fallait les faire. Ici la seule qui peut faire des concessions c'est moi. Bien se faire voir de la famille Drazavic, ne pas faire de vagues, se faire accepter pour ne pas qu'il m'abandonne encore. QU'ILS AILLENT TOUS SE FAIRE METTRE. Je cesse de marcher brusquement, les yeux remplis de larmes, de tristesse mais de colère surtout, je secoue la tête. Ecoute je... J'ai besoin d'être seule, j'ai besoin de réfléchir. J'ai besoin d'air, pitié, je vais imploser. Je cherche son regard. Je te promets que je reviens... S'il te plaît...

Elle s'arrête, tire sur ma main, me lâche. J'avance d'un pas vers elle, ému et retourné par les larmes dans ses yeux et son regard. J'esquisse un geste, effleure son bras. Je n'ai pas envie de la laisser, je crois que ça se lit sur mon visage complètement ouvert comme un livre. Je croise son regard, et qu'est-ce que je peux dire sinon un "si tu veux" soufflé du bout des lèvres. Pourtant je peine à bouger, je reste figé là inutilement. Je ne suis pas sur de supporter le miroir de ses yeux me reflétant la souffrance que je lui ai infligé. Et pourtant, ce n'est que ma juste peine après tout. a nouveau je tends la main vers elle, pour caresser une mèche de cheveux et finalement je baisse le bras. J'esquisse un sourire triste pour elle et on se sépare. Mes jambes sont comme du coton jusqu'à la maison où je rentre pour l'attendre.

L'appartement, nouveau et inconnu me parait hostile et vide. J'avale un verre de vodka, puis deux, je fume une cigarette, puis deux. Je tourne en rond. Tout est au passé dans la bouche de Nina, comment avancer alors ? Que puis-je faire contre le poison qui l'empoisonne et que j'ai instillé moi-même ? Je deviens fou à rester là !