Ça va attirer les rats et s'ils te mordent, ils vont attraper la rage - Slavina

Je ne dors pas même assommé par la morphine et le besoin de récupérer. La honte d'avoir sauté sur mon lieutenant me revient dans la gueule et me tient éveillé. L'envie de l'embrasser à nouveau aussi. Des images confuses me hantent dès que je clos les yeux. Au bout de quelques minutes je me saoule tout seul à ressasser! Je me lève et je décide de prendre une douche. Je me munis de fringues propres, d'une serviette, gel douche, tout ce qu'il faut. Quelqu'un d'autre est déjà là mais je ne m'en formalise pas et je m'enfourne dans une des cabines. Je fais couler lentement pour essayer de ne pas dégueulasser mon pansement. La tâche est compliqué. Je me savonne, effaçant le sang qui me macule, j'en ai jusque dans les cheveux ! Je ne reste pas longtemps parce que je ne me sens pas d’équerre. Je ressors pour aller m'asseoir sur un banc où je dégouline de flotte. Je m'essuie le visage, pose ma serviette sur mes genoux. J'appuie mon front sur ma main, vouté, accusant le coup de l'opération, de la mort de mon ami, de la balle qui aurait pu se loger dans mon crâne si le sniper avait été bon. Je suis tendu, d'adrénaline, de frustration, une putain de frustration de ne pas avoir buté ces gens, de ne pas avoir repris les filles, de devoir attendre.

La porte de la cabine occupée s'ouvre et je relève la tête en carrant les épaules, mâchoire crispée et regard sombre pour ne pas passer pour un faible. Mon regard s'écarquille en voyant Sykes. Oh merde, elle va croire que je la suis ! Je balbutie en me levant trop vite. "Aaah... Désolé." Je fais un geste trop vif pour prendre mon tee-shirt et l'enfiler et je me fais mal comme un con, à blêmir. Je me force à avoir des gestes plus lents, sans regarder Nina. Surtout pas la regarder ! Nina...non Sykes. Lieutenant Sykes. Je marmonne encore "désolé..." Mais c'est plutôt pour ce qui s'est passé avant que je m'excuse cette fois. Je parle - ça m'arrive quand je suis nerveux - "j'arrivais pas à dormir, je suis trop...énervé. C'est long d'attendre. Je vais descendre au bar boire un truc. Vodka de préférence. Tu veux ?"

Je reste bien plus longtemps que d'ordinaire sous la douche, parce que moi aussi j'essaie quand même de faire gaffe à ne pas bousiller mon pansement... Même si sur la cuisse, c'est assez difficile de l'épargner. Quand j'estime avoir repris mes esprits, je monte la température de l'eau pour tenter de détendre mes muscles endoloris, tendus de trop de frustration, de colère rentrée, de culpabilité aussi.

J'ai entendu les bruits à côté et je m'enveloppe de ma serviette avant d'ouvrir la porte pour récupérer mes fringues propres, laissées sur le banc pour ne pas les tremper. Je me changerais dans la douche pour éviter de tenter le diable, mais elles sont trop petites pour que les fringues soient à l'abri à l'intérieur pendant que l'eau coule alors je ruse comme je peux au milieu de tous ces mecs. Visiblement, j'ai du mal calculer mon coup parce que je tombe sur Drazavic et je fronce les sourcils, aussitôt sur la défensive alors que mes doigts se crispent plus fort sur la serviette. Je ne voudrais pas qu'elle tombe comme dans une mauvaise comédie romantique, sans déconner ! Je serre les dents pour ne pas laisser mes émotions transparaître, et j'ai envie de l'envoyer paître mais... Non seulement on va être amenés à bosser ensemble à nouveau, mais en plus c'est le fils de mon chef alors je peux difficilement faire comme s'il n'existait pas. Du coup, je décide de crever l'abcès tout de suite. Ok, j'te rejoins.

"ok!" Je suis sorti précipitamment avec mes affaires pour me rhabiller dans le couloir. Bon elle a vu mon cul brièvement, mais c'est mieux que la totale ! Maintenant je regrette ma proposition, enfin oui et non... Je sens qu'elle va me passer un savon mais c'est mieux que de rester sur un malentendu. Je m'habille et je descends au bar - désert. La boite est fermée, c'est encore le carnage mais il reste de la vodka c'est tout ce que je demande. Je choppe une bouteille et deux verres avant de passer un coup de torchon sur le bar pour virer les éclats de verres. Je débarrasse un coin et je sers deux shots. J'en avale un d'avance en soupirant avant de le resservir et de poser la bouteille. Mon regard erre sur le carnage, le sang au sol, des choses oubliées, sac à mains, fringues, des douilles. Des bruits de pas me font tourner la tête dans la direction. Réfugié derrière le bar, je pousse le short vers elle avant de prendre le mien.

J'enfile les seules fringues que j'ai sous la main ici, je n'ai pas eu le temps de passer chez moi chercher des affaires et il devient urgent que j'y aille. J'ai donc seulement un débardeur noir, un leggings de la même couleur, la tenue idéale quand j'ai besoin de ne surtout pas être entravée dans mes mouvements, en somme. En revanche ça protège pas grand chose, je vous l'accorde, mais le leggings a le mérite d'être élastique et donc de ne pas trop serrer ma cuisse blessée. Je remets mes bottes aux pieds et je sèche brièvement mes cheveux avec une serviette, ce qui ne les empêchera pas de dégouliner sur mes épaules, m'enfin j'ai l'habitude.

​Le temps que j'arrive en bas, il a déjà servi la vodka et je vide mon verre d'un trait avant même de prendre place sur l'un des tabourets de bar. Quand j'ai la gorge réchauffée par l'alcool, je m'installe et pousse le shot dans sa direction pour qu'il me resserve. Je n'ai pas pour habitude de tergiverser alors je dis ce que j'ai à dire direct, histoire qu'on puisse passer à autre chose. J'couche pas avec les Tigrovi. J'couche pas avec les types qui bossent avec moi. Ou pour moi.

Hum je savais bien qu'on y viendrait mais c'est tout à son honneur de le balancer d'entrée de jeu. Je hoche la tête, me fends d'un sourire qui se veut de bonne composition. "Ok, c'est noté. Désolé, c'était..." Je cherche mes mots "le contrecoup de l'adrénaline." je ne vais certainement pas avouer que je la trouve bandante, même encore maintenant dans cet ensemble noir ultra-moulant. Mes mains fourmillent de l'envie de se promener sur ses formes et c'est un effort de ne pas la mater ouvertement. Je hausse un sourcil avant de conclure avec une ironie salvatrice "je couche pas avec mes supérieurs" Je le dis parce qu'à part elle je n'ai que des mecs en supérieur hiérarchiques et que - et c'est là toute l'ironie - personne ici ne sait que je suis bi ! En plus la moitié de mes supérieurs sont de la famille, ha ha ha... Je me marre tout seul, mon regard seul se mettant à pétiller tandis que je me concentre pour nous resservir. Je relève la tête pour dévisager la femme devant moi avec curiosité "Jelenko m'a jamais raconté comme il t'avait recrutée." Je ne dis jamais mon père, en tout cas j'évite. Je me fais aussi peu Drazavic que possible, laissant volontiers à Camenko le rôle d'héritier bien qu'il soit bâtard et plus jeune. Je crois que mon manque d'ambition tuera mon père un jour.

Je lève la main, l'air de dire que ce n'est pas grave et qu'on n'en parle plus. Je ne réagirais pas du tout de la même façon si je ne lui avais pas rendu son baiser avec autant d'ardeur, ce serait ridicule et hypocrite de ma part de jouer la vierge effarouchée, blessée dans son honneur parce qu'il a osé m'embrasser sans me demander la permission. Je lui ai dévoré la bouche pendant trente bonnes secondes, alors bon, je ferme ma gueule. Je me fends même d'un sourire moqueur en répondant : Tant mieux. Puisqu'on est sur la même longueur d'ondes, tout va bien. J'essaie surtout de me convaincre que ce n'était qu'un baiser, c'est pas comme si on avait couché ensemble, ça reste rattrapable on va dire.

J'arque un sourcil en faisant tourner le shot entre mes doigts, surprise que son père ne lui ai pas raconté d'où je viens, ou plutôt que Slavenko n'ait pas posé la question, parce que je pense que Jelenko lui aurait répondu... Je reste volontairement vague en ce qui me concerne, parce que je suis bien consciente des rumeurs qui circulent à mon sujet... Et j'aime assez l'idée de ne pas les démentir, de laisser planer le mystère... J'attends qu'un jour l'un d'entre eux ait les couilles de me demander si je suis vraiment croate, s'ils ont une pure américaine à leur tête, si c'est vrai que j'ai couché avec Jelenko... Je vous jure, je sais que certains se posent la question. Ceux qui se la posent sont ridicules, si Jelenko avait couché avec moi, je crois pas qu'il aurait le moindre respect pour moi et que je me serais retrouvée lieutenant ! A son fils, j'avoue ce que je n'avouerais à personne d'autre... Parce que disons que j'imagine qu'il doit savoir ce que ça fait quand les autres pensent que vous n'avez obtenu votre place que par piston, alors j'ai la naïveté de croire qu'il ne me jugera pas si hâtivement : Jelenko était un ami de mon père. Un très bon ami. J'étais môme la première fois que j'l'ai vu mais j'l'ai pas revu souvent jusqu'à c'que j'entre dans l'armée.

Très sincèrement, je ne serais pas contre faire une exception. Je me rends compte qu'il y a quelque chose chez elle qui m'attire et me plait et l'adrénaline a bon dos. S'il n'y avait que ça, on n'a pas perdu toutes nos putes et je pourrais même me taper Ana qui pourtant m'insupporte sauf quand elle a la bouche pleine et qu'elle la boucle ! Heureusement pour moi la curiosité est forte et me permet de faire passer mon intérêt pour quelque chose de moins physique ! Sinon je crois que Sykes me collerait un pain en devinant mes pensées impures.

Je n'ai jamais posé de questions sur elle parce que je n'en pose jamais à mon père. Je me contente d'obéir aux ordres en bon soldat que je veux rester. Les officiers posent des questions. Les soldats exécutent les ordres et je ne veux pas que mon père croit que je suis autre chose qu'un soldat. Fils d'un héros de guerre, je suis voué à décevoir alors j'assume ce rôle avec un grand sérieux figurez-vous ! Mais là je suis sincèrement surpris ! "Ah ! Tu as fait l'armée ? Ici ou aux Etats-Unis ?" Je sais que ça peut surprendre mais mes meilleures années sont celles de la guerre, des guerres. J'ai longtemps été mercenaire, et puis mon père m'a fait revenir pour sa petite maffia, mais que les champs de guerre me manquent ! Dernièrement j'ai failli tout laisser pour me louer dans le conflit en Syrie, je me demande encore pourquoi je ne l'ai pas fait. Je le regrette parfois. souvent.

Je secoue la tête dans un sourire. Non, non, ici, tu penses bien... Je ne suis pas sûre que j'aurais pu rejoindre les Tigrovi si j'avais fait partie de l'armée américaine... Peut-être, je n'en sais rien, j'aurais pu être surprise mais très franchement j'en doute. J'explique dans un haussement d'épaules : J'ai la double-nationalité. Mais disons que l'éducation que j'ai reçue m'a poussée à me sentir plus proche d'un pays que de l'autre, je crois que c'est toujours comme ça. Pourtant j'ai passé les premières années de ma vie aux Etats-Unis, mais même lorsque j'étais là-bas, je baignais déjà dans la culture serbe.

Comme je n'aime pas trop les interrogatoires à sens unique, je relève le visage pour demander à mon tour : Toi t'as fait l'armée ici, c'est ça ? Je sais qu'il a été aux USA, d'ailleurs son anglais est impeccable même si la plupart du temps on parle serbe, mais je ne sais pas exactement ce qu'il a été y faire. Je nous ressers tous les deux, sans doute pour faire passer le léger trouble qui m'agite quand même après l'épisode de l'infirmerie.

"Ton père est serbe ? Je te croyais croate... " Je hausse les épaules, je ne veux pas l'insulter - bon mon demi-frère étant serbo-croate, et moi-même étant serho-hongrois (c'est fou comme mon père aime les étrangères ! ) je suis moins regardant que d'autres. "enfin c'est c'qui se dit" J'ai un geste vague en avalant mon shot de vodka. Les rumeurs ... "Ouai ouai, ici aussi, je me suis engagé pendant la guerre." J'omets de dire que je n'avais pas l'âge, ils étaient moins regardant sur les papiers à cette époque ! Et puis avant ça je trainais déjà dans les pattes de mon père - dès mon arrivée à Sarajevo.

"Je suis allé aux USA après le Kosovo..." C'est connu que j'ai été aux USA un moment. Je ne m'en cache pas, et je me fous des ragots à ce sujet. J'ai bossé pour la mafia serbe de NY, et puis j'ai travaillé pour Mirko et ses missions internationales comme mercenaire. Des frappes efficaces, brutales, brèves en général, pas plus de trois mois grand max. Jusqu'à ce que mon père sorte de taule. J'ai un machinal regard circulaire pour vérifier que nous sommes seuls avant de demander. "ça te plait ici ? Tu faisais quoi avant ? L'armée ou autre chose ?"

Un sourire amusé se dessine sur mes lèvres, je ne crois pas utile de répondre à sa question qui n'en est pas vraiment une, je ne sais pas pourquoi tout le monde s'imagine que je suis croate mais ça m'amuse grandement de les laisser penser ce qu'ils veulent. Il se dit beaucoup de choses. Beaucoup trop de choses, si vous voulez mon avis. J'ai toujours écouté les rumeurs, pour prendre la température, mais je n'y accorde jamais de réelle importance, je sais que la plupart ne valent pas grand chose.

Qu'est-ce que t'en a pensé, des USA ? Je suis curieuse d'avoir son opinion, beaucoup de serbes n'aiment pas les américains mais beaucoup n'y sont jamais allés ou seulement très peu de temps, j'aimerais bien savoir ce que lui en pense puisqu'il a vécu là-bas. J'aime les Etats-Unis, et je n'ai pas honte d'en avoir la nationalité, loin de là. Je hausse les épaules à sa question. J'aime beaucoup Sarajevo, je connais pas encore bien la ville mais pour l'instant ce que j'ai vu me plaît. Après... Je lève le nez pour croiser son regard, j'imagine qu'on est tous pareils là-dessus, plus ou moins : J'vais où je dois aller, je me demande pas tellement si ça me plaît ou pas. Je n'ai que peu d'attaches, alors je ne me pose pas ce genre de questions. Après l'armée j'ai fait plusieurs missions, beaucoup avec Jelenko, d'autre pas... Et puis il a fini par me proposer de v'nir ici.

J'ai un sourire amusé. Pour elle comme pour moi il se dit beaucoup de chose. Je connais la même vague de rumeurs à mon encontre. Moins maintenant, je suis là depuis plus longtemps qu'elle et finalement son arrivée a détourné les rumeurs de ma personne ! J'avale un nouveau verre, ressers machinalement en discutant. "Je suis resté à Vegas six mois et NY...une dizaine d'années. J'adore NY, surtout le Bronx. Mais bon, c'est tellement policé depuis 2011 que c'était devenu infernal. C'est après ça que j'ai fait d'autres trucs ailleurs avec Mirko."

Je hoche la tête quand elle me parle de Sarajevo. La ville a toujours été mon Amour, là où je me sens chez moi même si je suis loin d'elle. Et je comprends aussi parfaitement ce sentiment d'obéir aux ordres sans se poser de questions, mais elle, elle est lieutenant, là où moi je ne suis que soldat c'est différent je crois. Je fronce les sourcils très légèrement à ses explications sur mon père. Elle en parle comme d'un amant ou d'un père. C'est troublant. Enfin, je le saurais si il se la tapait non ? En toute franchise, non. Mon père est mon commandant, je ne sais pas grand chose de lui, la preuve j'ai appris il y a deux ans que j'avais un demi-frère ! "Est-ce que tu... Je veux dire... Toi et Jelenko ?" Me voilà foutrement mal à l'aise si j'ai embrassé la nana ou l'ex de mon père !

J'ai un sourire, presque nostalgique quand il m'avoue aimer New-York. Je suis heureuse d'être enfin tombée sur quelqu'un qui n'a pas que du mal à dire de l'endroit d'où je viens. Bien-sûr j'ai tout un tas de choses à reprocher à New-York, et aux USA plus généralement aussi, mais ça ne signifie pas que je n'aime pas ce pays, mon pays. Ouais, j'vois c'que tu veux dire. C'est sûr qu'ici c'est... Différent. On ne peut pas dire que ce n'est pas policé, seulement ici la police s'achète très facilement, la justice aussi... Tout, en fait.

Il a en revanche le malheur de me poser la seule question que je pensais qu'il ne poserait pas. J'aurais ri si quelqu'un d'autre l'avait posée, mais sachant qu'il est son fils, je ne trouve pas ça drôle du tout. J'écarquille les yeux, me redresse légèrement. C'est une plaisanterie ? On peut trouver que je suis proche de Jelenko, je ne le nie pas -du moins autant qu'il est possible d'être proche d'un homme dans son genre- mais ce n'est pas du tout le genre de relation que l'on a ! Il fait plutôt office de père de substitution depuis le décès du mien, et encore ! J'ai de l'admiration et du respect pour lui, je ne le prends pas pour autant comme un ami ou un confident, je ne sais que trop bien où est ma place. Bordel tu crois vraiment que j'serais lieutenant ici si j'me tapais ton père ?

Ah j'ai fait une boulette ! C'est fou que je sois incapable comme ça de dissimuler les émotions qui me tiennent à cœur. C'est ma tare, être beaucoup trop émotif et je me bats tous les jours contre ça, tenir le rôle du mec impassible sur qui tout glisse. C'est épuisant mais j'ai ma technique. Je verrouille tout et de temps en temps je décharge dans une explosion de violence, parfois de sexe, ça tombe bien, les occasions ne manquent pas ! Le désarroi mêlé d'un air d'excuse teinte mon visage. "Heu...Je sais pas. Toi j'te connais pas et mon père...pas vraiment non plus !" En fait je connais mieux mon oncle. Mon père est resté longtemps en taule et il a toujours été une figure énigmatique pour moi. Avant j'étais trop jeune, durant la guerre, il était mon idole et je l'admirais, je lui obéissais au doigt et à l’œil. Et vous savez quoi, depuis sa sortie de prison, c'est la même chose l'admiration en moins. Personne ne pose de questions à Jelenko Drazavic, sauf son frère Mirko. Pour autant que je sache, il pourrait se taper cette fille. Ce serait pas choquant. Pas depuis que je sais pour Camenko. Je hausse les épaules en expliquant d'ailleurs. "J'ai un demi-frère. Tu le connais ? Camenko ? Il est souvent à Banja Luka... Je l'ai su y a deux ans. On a quatre ans d'écart."

Je secoue la tête dans un soupir de déception, parce que mon ego est blessé qu'il s'imagine que j'ai couché pour arriver là, sincèrement. D'un autre côté avec la mission foirée je peux difficilement me permettre de prétendre que je mérite ma place, aujourd'hui mon moral est au plus bas et je n'ai soudain plus l'impression de la mériter. Pourtant, pour une de loupée, j'en ai réussi bien d'autres, sinon je ne serais pas là aujourd'hui... Mais je retiens toujours mieux mes échecs que mes victoires. J'couche pas avec lui. J'te l'ai dit, j'couche pas avec les gars qui bossent avec moi. Et ça inclut aussi mes supérieurs, en fait.

Je vide mon verre de vodka, l'alcool ayant le mérite de me détendre même si pour l'instant il ne fait pas encore effet, à tel point que je ne songe pas que je bois peut-être un peu trop pour mon bien avec ce type à côté de moi... J'ai déjà rencontré Camenko, ouais. On a bossé ensemble quelques fois. Je ne dirais pas qu'on est proches pour autant, je crois qu'on s'entend pas trop mal et bien souvent, dans le taf, ça me suffit. Dans ma poche, mon téléphone vibre et je fronce les sourcils en lisant le message avant de jurer et de le ranger. C'est Aleska. On aura rien cette nuit... Ce s'ra demain au mieux, et encore. Et demain ça me paraît déjà trop loin.

"Désolé, j'voulais pas être offensant." Enfin j'ai le sentiment de l'avoir mise en rogne mais je ne vois pas pourquoi. "tu baises avec qui tu veux, c'est pas mon problème." Même mon père au final, ça me regarde pas. Moi je me tape bien des putes du taf. Elle pourrait même se taper ce puceau de Bratko, ça le décoincerait au moins. J'ignore la voix qui me dit ou toi, pas vrai Slavo. Connasse de voix intérieure, mêle toi de ton cul... hum. J'avale mon verre cul sec

Je soupire à la nouvelle, passe ma main valide dans les cheveux. "Bon, ben j'vais rentrer chez moi. Si je reste ici, j'arriverais pas à dormir. En plus j'ai la dalle." Je prends mon téléphone et j'appelle Flavio pour lui dire de me mettre en route une grande pizza quatre saisons supplément pepperonni et que je serais là dans dix minutes. Je raccroche et j'explique "J'ai une pizzeria en bas de chez moi, c'est devenu mon cantinier." Je souris en admettant quand même " c'est pas une pizza américaine, mais elles sont bonnes quand même !" Je me ressers un dernier verre pour la route, l'interroge du regard pour remplir son shot "J'habite à 5mn à pied, à deux rues." Donc conclusion, j'ai 5mn à tuer avec un verre ! ha ha "t'habite pas ici toi ? non ? Bratko va te ramener j'imagine. Tu vas pas conduire avec ta jambe en vrac."

Je me garde de lui dire que je n'ai pas dit le contraire, je sais bien que je baise avec qui je veux, seulement ça m'emmerde qu'on imagine que je me tape le chef, vous voyez. Et puis lui, particulièrement, ça m'emmerde qu'il pense que je couche avec son père. Peut-être parce qu'on s'est embrassés tout à l'heure, j'en sais foutre rien, je veux pas savoir, surtout pas comprendre parce que si je commence à m'interroger, je suis foutue.

J'acquiesce quand il dit qu'il va rentrer, je trouve que c'est une riche idée et moi aussi, je vais rentrer chez moi, je ne dors pas souvent au QG si je peux l'éviter. T'as bien d'la chance. Moi j'ai un super bon resto juste en bas mais bon.. Faut avoir l'temps de bouffer au resto quoi. Et l'envie de manger seule au restaurant, aussi. Je secoue vivement la tête à la mention de Branko et lâche, sans trop m'en rendre compte, j'oublie de tourner ma langue sept fois dans ma bouche : Ah non, pitié, il me ramène nulle part. J'l'ai renvoyé chez lui. Je lève le nez, secoue la tête dans un léger rire quand je réalise l'empressement avec lequel j'ai répondu... Et j'explique : Il me colle aux basques c'est insupportable... Il est... J'sais pas... Il est là à balbutier et à tortiller du cul parce qu'il peut pas prendre de décisions... Non sérieux, me faut une pause avec ce type, c'est pas possible. Navrée si c'est son pote, hein, mais franchement ! J'vais appeler un taxi, ça fait rien.

j'ai un éclat de rire grave et spontané à son exclamation venue du fond du cœur "t’inquiète, il gave tout le monde. Il veut trop bien faire. Je crois que Goran va lui dévisser la tête s'il continue, tu seras débarrassée." Dernier verre avalé, je propose dans la même spontanéité où je ne réfléchis pas que je devrais m'abstenir vu ce qui s'est passé dans l'infirmerie et vu comme mon regard n'arrête pas de revenir à ses nibards plutôt que ses yeux !  "Tu veux que je te dépose ? Je récupère ma pizza et je t'emmène. J'peux conduire, ça va. J'ai ma caisse devant le club. "

Je contourne le bar pour me diriger vers la sortie, sans vraiment m'attendre à des protestations, ou plutôt sans les prendre en compte. On est entre Tigrovi et je l'aurais fait pour n'importe lequel d'entre nous. On n'a pas besoin de faire des ronds de jambes pour se rendre service. "t'habite dans quel coin ?" De loin j'ouvre la golf. Ouverture centralisée et à distance des portes, c'est la classe, ha ha. C'est bien tout ce que cette bagnole a de bien, faut que je fasse réparer la clim mais comme on arrive à la saison froide ça attendra.

Son rire en amène un autre, plus détendu, chez moi, presque soulagé qu'il ne me fasse pas la morale en me sortant qu'on doit tous s'entraider et blablabla. Bien-sûr qu'on doit tous s'entraider mais c'est bien parce qu'on est comme une famille qu'on peut se permettre de le dire quand y a un casse-couilles, non ? Si c'est pas Goran ce s'ra quelqu'un d'autre... P't'être qu'il comprendra comme ça. Je ne dis pas qu'il faut le virer, seulement qu'il faut qu'il change parce qu'au quotidien c'est pas possible.

A sa proposition, je hoche la tête parce que contrairement à Branko je peux prendre une décision sans tortiller du cul ! (Mais c'est plus agréable pour les yeux si je tortille un peu, enfin...) Ouais, j'veux bien. Je me lève, récupère mon sac et le suit en claudiquant un peu parce que bon, avec ma cuisse j'ai pas vraiment la démarche d'une danseuse étoile là, tout de suite. Vratnik. Je grimpe dans la caisse, côté passager évidemment, et je lance dans un sourire amusé : Comme ça j'aurais droit à une part de pizza.

Je ris encore et je propose sur le ton de la plaisanterie "tu veux que je m'en charge ? Confie le moi quand l'affaire sera réglée." Je n'ai aucun problème à casser la gueule de Bratko pour qu'il nous lâche un peu et même Jelenko n'y trouvera rien à redire. Il suffit d'une soirée où on se bouscule un peu...Mais je vais attendre que mon bras soit fonctionnel parce que s'il est pénible, au corps à corps il a l'enthousiasme de la jeunesse. ( Et là en sortant, je me dis que j'aurais du passer derrière elle pour la voir tortiller du cul ! bref... )

"Je veux bien t'en filer un morceau mais ses pepperonni arrachent, t'es prévenue." En moins de deux minutes nous sommes devant la pizzeria et je récupère le carton contre quelques billets. Je reviens vers la voiture et en reprenant ma place, je choppe une part dans le carton avant de le poser sur les genoux du lieutenant. Je mâchouille en me cramant la gueule et en soufflant en même temps "en route pour Vratnik" Je démarre en passant difficilement les vitesses à cause de mon bras mais finalement je m'échauffe et ça va.

Sarajevo n'est pas une très grande ville et Vratnik est tout près. Si on met plus de quinze minutes c'est que je roule comme une tortue, d'abord parce que je mange, que j'ai un bras en vrac et parce qu'on cause de tout de rien, des parfums de pizza que propose Flavio, du resto où elle bouffe, de son appart', du mien, de New-York... Et quand je me gare, je me tourne vers elle avec regret parce que j'aimais discuter avec elle. "Voilà t'es arrivée. C'est bien là ?"

J'arque un sourcil, amusée. Eh fais gaffe, j'te prends au mot ! Quand c'est terminé, j'te l'laisse. Mais pas maintenant, on a besoin de tous les Tigrovi et en bon état de préférence. Et non, je n'ai pas le moindre scrupule à ce qu'il se prenne quelques coups, c'est pas comme si on allait le blesser pour de bon, moi aussi j'ai pris des raclées avant d'arriver à mon poste et il m'arrive encore d'en prendre parfois. C'est sûrement parce qu'il n'a pas encore pris la sienne qu'il est comme ça, c'est tout.

Je récupère une part de pizza dans la boîte et je mange tout en discutant, absolument insensible au piment ce qui fait que je ne me retrouve pas à devoir vider une bouteille d'eau pour retrouver un semblant d'apaisement. La discussion s'enchaîne bien plus naturellement que je ne l'aurais cru, peut-être parce qu'on n'est plus au QG, qu'on n'est plus en mission, qu'ici il n'y a que nous... Je propose naturellement quand on arrive en bas de l'immeuble, alors que ce n'est pas du tout quelque chose que je fais normalement, personne des Tigrovi n'a vu mon appart', pas même Jelenko. Tu veux monter boire un dernier verre ? Pour digérer ta pizza. Oui, bah oui, c'est tout à fait pour ça.

Comme je suis pas un gars connu pour être raisonnable (ça se saurait), j'acquiesce illico "ouai j'veux bien. Je t'ai fait découvrir une super adresse de pizzeria et à deux pas du taf, ça vaut ! " En plus je suis curieux de voir où elle crèche. J'abandonne le carton de pizza vide dans la caisse et je la suis pour monter à son appartement. Cette fois je suis derrière elle et elle a un leggings. moulant. Et un cul parfait, je peux le jurer sous serment ! En plus elle marche lentement à cause de sa jambe, j'ai tout le temps que je veux pour la mater éhontément !

Je me dandine dans l'entrée, attendant qu'elle m'invite et m'autorise à m'asseoir sur son canapé où je me pose sans moufter. Son appart n'a rien à voir avec le mien qui ressemble plus à une piaule qu'autre chose. Je n'ai pas un sens extraordinaire de la déco figurez-vous. "Je peux fumez chez toi ou bien ... ?" Oui c'est tellement bien chez elle que je me sens obligé de demander !

Je secoue la tête. Moi c'que j'ai vu c'est qu'tu connais l'pizzaïolo et que tu devrais ramener les pizzas pour tout le monde de temps en temps. Enfin, il l'a peut-être déjà fait avant que je débarque, pour ce que j'en sais... Mais je veux bien concéder malgré tout que la pizza était foutrement bonne et qu'en prime le type les prépare rapidement, avec notre boulot disons que c'est un sacré avantage.

On sort de la voiture et on regagne l'appartement. Je suis au premier étage sans ascenseur et d'habitude ça m'est égal mais ce soir je douille quand même pas mal. Je serre les dents, je ne vais pas montrer au soldat que j'ai encore mal, merde. Je prendrai double dose d'antidouleurs avant d'aller me pieuter, voilà tout. Vas-y, y a un cendrier sur la table basse. Moi, je récupère la vodka au congélo et deux verres avant de le rejoindre. J'ôte mes pompes pour être plus à l'aise et je m'installe à côté de lui sur le canapé parce qu'il n'y a pas vraiment d'autres places disponibles. L'appartement est un meublé, j'ai pas encore eu le temps d'acheter grand chose mais j'ai mis le prix et les meubles sont de qualité, le peu de déco qu'il y a aussi. Je lui troque une cigarette contre son verre de vodka mais cette fois je l'allume moi-même pour ne pas reproduire la scène de l'infirmerie ! J'aurais pu trouver un truc plus près du QG mais j'aime bien couper vraiment quand j'suis chez moi. Et je ne suis pas souvent chez moi.

"t'es dingue, t'as vu les morfals ? Ma solde y passerait." Déjà que c'est un luxe que je m'octroie d'avoir un F1, parce que moi je suis en bas de l'échelle et payé en conséquence. La chair à canon coûte pas bien chère, même quand on est le fils du Commandant, on peut pas dire que j'ai des passes droits sur la question. Après je me débrouille pour faire des à-coté...

"merci" je ramène le cendrier plus près sur la table et j'allume une clope avant de m'installer plus confortablement, tourné vers mon hôtesse. "ha moi ça me dérange pas la distance. Une fois que la porte est fermée, c'est tout. Et puis comme ça j'peux dormir dix minutes de plus le matin" C'est dit sur le ton de l'humour parce que je n'ai jamais été un gros dormeur. J'ai un sommeil compliqué et capricieux depuis des années. Je dors par tranches de quelques heures, comme à l'armée pendant les opé. Faut vraiment que je sois déchiré par une soirée pour me taper huit heures de sommeil d'affilé ! Ça m'arrive de temps en temps ! "Mais là où t'as raison c'est que Vratnik c'est vraiment un chouette quartier ! t'es déjà allé à la citadelle et dans la veille ville ? C'est super sympa. Bon c'est vrai que ça grimpe sévère mais la vue est magnifique. Après ici, j'pense que c'est plus cher que dans le quartier Tigrovi pour un Tigrovi et t'as pas de pizza !" Je me fends d'un sourire qui se veut, se voudrait ? - attirant à défaut d'être séducteur faut pas pousser.

Un rire franc m'échappe à son exclamation soudaine et je secoue la tête. Ouais, t'as raison, c'est une mauvaise idée... Bon, ramène de la pizza seulement pour moi, alors. Je papillonne des cils avant de sourire à nouveau, de bien meilleure humeur que tout à l'heure je dois l'admettre. Je suis mieux payée que lui, de par mon poste, mais ce que je ne dis pas forcément c'est que moi aussi je fais toujours des à-côtés. Jelenko et Mirko sont au courant, parce que je pense qu'ils auraient fini par le découvrir autrement, pour le reste ce n'est pas quelque chose que je cache, mais pas non plus quelque chose que je crie sur tous les toits.

Je hausse les épaules. J'ai pas de caisse dans l'coin, c'est pour ça que la distance m'emmerde un peu. J'vais me racheter une moto, mais j'attends qu'elle sorte du garage, là. J'ai toujours préféré me déplacer en deux roues, c'est bien plus pratique et puis en plus comme ça... Branko ne peut pas me suivre ! Je dodeline de la tête à sa question. J'ai déjà été y faire un tour, j'aime bien connaître un peu le quartier où je suis, mais j'ai pas eu le temps de vraiment visiter pour l'instant. Ni Vratnik, ni le reste de la ville malheureusement, j'ai été très occupée depuis mon arrivée et je ne m'en plains pas, je ne supporte pas de rester inactive. C'est clair que c'est plus cher, mais c'était joliment meublé et j'ai pris le premier truc que j'ai trouvé... Rien m'empêche de déménager... Plus près d'une pizzeria. Je réponds dans un sourire, sur le même ton.

"humm je peux...Qu'est-ce que tu aimes comme parfum ? Moi c'est une spéciale que Flavio me fait. 4 saisons pepperonni, tu as aimé ?" Certes elle a mangé mais on crevait la dalle de toute façon, alors je me demande ce qu'elle aurait choisi, elle.

Ses sourires qui répondent aux miens font battre mon cœur plus vite. Instinctivement, j'ai la sensation qu'on est plus proche, dans nos postures peut-être ou est-ce seulement dans mes rêves ? "Tu fais de la moto ! Ah ! c'est vrai que c’est pratique. Moi avec mon gabarit j'ai toujours l'air d'un crapaud sur une boite d'allumettes. J'ai renoncé ! La bagnole c'est bien, et pour le fusil le coffre c'est plus pratique qu'un étui à violon, ha ha ! " Elle doit être très sexy en moto, je l'imagine avec une tenue aussi moulante que celle qu'elle porte actuellement, hummm vision divine.

"C'est dommage, tu devrais consacrer une journée un de ces quatre. Tiens en fait t'es pas très loin de la citadelle, deux, trois bornes en coupant par les ruelles." J'acquiesce "Bien sur tu peux toujours déménager c'est vrai. Mais la seule vraie bonne pizzeria c'est celle de Flavio, ça ferait de nous des voisins. Quoique j'aimerais bien retourner en RS. Enfin tu vois si j'achetais, pas si je louais...j'irais à Pâle. C'est à quinze bornes d'ici. C'est pas loin. Je pourrais faire la route. " Alors là, je lui confie un rêve - appelons ça comme ça - dont je n'ai jamais parlé à quiconque. Mais pour le réaliser il faudrait que je me fasse plus de thunes.